Pr\u00e9dication sur Matthieu 25\/31-46<\/p>\n\n\n\n
Ce dimanche est le dernier de l\u2019ann\u00e9e liturgique : samedi soir prochain, nous entrerons dans le temps de l\u2019Avent, orient\u00e9s No\u00ebl et \u00e0 l\u2019ann\u00e9e nouvelle.<\/p>\n\n\n\n
Dans l\u2019attente de la venue de J\u00e9sus, – non pas celle d\u2019il y a deux mille ans, pass\u00e9e presque inaper\u00e7ue, mais celle, glorieuse, \u00e0 fin des si\u00e8cles -, la tradition de l\u2019Eglise a choisi pour ce jour le dernier enseignement de J\u00e9sus avant son arrestation, son proc\u00e8s et sa mort, d\u2019apr\u00e8s l\u2019\u00e9vangile de Matthieu.<\/p>\n\n\n\n
Il y est question d\u2019un jugement \u00e0 venir qui s\u00e9parera nations et gens en moutons <\/em>ou en boucs, <\/em>en brebis<\/em> ou en ch\u00e8vres.<\/em><\/p>\n\n\n\n Les trois textes qui composent le 25\u00e8me<\/sup> chapitre de Matthieu \u00e9voquent tous un tri, une s\u00e9paration :<\/p>\n\n\n\n – la parabole des dix jeunes filles<\/em> qualifi\u00e9es de sages<\/em> ou d\u2019insens\u00e9es<\/em> selon qu\u2019elles ont pens\u00e9 ou non \u00e0 prendre assez d\u2019huile avec elles pour garder leurs lampes allum\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 l\u2019arriv\u00e9e promise de l\u2019\u00e9poux<\/em> ; les premi\u00e8res peuvent entrer \u00e0 la f\u00eate tandis que les autres doivent rester dehors ;<\/p>\n\n\n\n – puis celle des trois serviteurs<\/em> qualifi\u00e9s de bon et fid\u00e8le<\/em> ou de m\u00e9chant et paresseux<\/em> selon qu\u2019ils ont choisi ou qu\u2019ils ont eu peur d\u2019investir les biens, les talents<\/em> que leur ma\u00eetre<\/em> leur avait confi\u00e9s en partant ; les deux premiers sont r\u00e9compens\u00e9s tandis que le troisi\u00e8me est jet\u00e9 dehors ;<\/p>\n\n\n\n – et enfin l\u2019histoire des brebis <\/em>et des ch\u00e8vres<\/em> qu\u2019un roi<\/em> s\u00e9pare en deux troupeaux aux destins oppos\u00e9s, les uns appel\u00e9s \u00e0 la vie \u00e9ternelle, les autres condamn\u00e9s \u00e0 un enfer sans fin.<\/p>\n\n\n\n (Ces trois r\u00e9cits pourraient faire respectivement allusion \u00e0 l\u2019esp\u00e9rance (les dix jeunes filles)<\/em>, \u00e0 la foi (les trois serviteurs)<\/em> et \u00e0 l\u2019amour (les moutons et les boucs)<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Le tri ultime entre brebis <\/em>et ch\u00e8vres<\/em> aurait de quoi susciter notre crainte. Il rappelle les grandes fresques des peintres d\u2019autrefois repr\u00e9sentant le jugement dernier : d\u2019un c\u00f4t\u00e9 un cort\u00e8ge de personnages sereins emmen\u00e9s par des anges jusqu\u2019au ciel accueillant – et de l\u2019autre des figures grima\u00e7ant de douleur et d\u2019effroi que des diables entra\u00eenent jusqu\u2019au plus bas de flammes infernales\u2026<\/p>\n\n\n\n Je crois que le r\u00e9cit du jugement qu\u2019op\u00e8re le roi<\/em> \u00e0 la mani\u00e8re d\u2019un berger s\u00e9parant les moutons<\/em> des boucs<\/em> de son troupeau est la r\u00e9ponse de J\u00e9sus \u00e0 une question que lui avaient pos\u00e9e ses disciples :<\/p>\n\n\n\n Quand donc les temps de la fin arriveront-ils, et \u00e0 quoi les reconna\u00eetrons-nous ? (Matthieu 24\/3)<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Ce que leur enseigne J\u00e9sus, c\u2019est que dans chacune de leurs rencontres actuelles la fin des temps est d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sente, – ou, pour le dire autrement, que chaque visage qu\u2019ils croisent sur leur chemin quotidien est porteur d\u2019une part cach\u00e9e d\u2019\u00e9ternit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n * * *<\/p>\n\n\n\n En relisant ce passage bien connu, plusieurs \u00e9l\u00e9ments ont attir\u00e9 mon attention ; ils nous invitent \u00e0 y voir autre chose que l\u2019annonce mena\u00e7ante d\u2019un jugement qui nous attendrait.<\/p>\n\n\n\n Premi\u00e8rement, je remarque que tous sont surpris lorsque le roi <\/em>leur explique son jugement : les b\u00e9nis <\/em>comme les autresne se rappellent pas quand ils ont, – sans le savoir -, accueilli et nourri, visit\u00e9 ou r\u00e9confort\u00e9 le Fils de l\u2019homme <\/em>en la personne d\u2019un \u00e9tranger, d\u2019un malade, d\u2019un d\u00e9tenu ou d\u2019un affam\u00e9, – ni quand, \u00e0 l\u2019inverse, ils ne l\u2019ont pas fait\u2026<\/p>\n\n\n\n C\u2019est dire qu\u2019il n\u2019y a pas une somme de devoirs, un catalogue de commandements que nous pourrions mettre en \u0153uvre pour \u00eatre s\u00fbrs par avance de nous trouver du bon c\u00f4t\u00e9, – d\u2019\u00eatre brebis<\/em> plut\u00f4t que ch\u00e8vres <\/em>dans le troupeau de Dieu : la v\u00e9ritable port\u00e9e de nos actes, Dieu seul la conna\u00eet !<\/p>\n\n\n\n Nous n\u2019avons donc pas \u00e0 nous efforcer de m\u00e9riter, par discipline ou par ob\u00e9issance, la bienveillance de Dieu : nous ne sommes pas en mesure d\u2019\u00e9valuer en v\u00e9rit\u00e9 nos actes ni de savoir comment Dieu les \u00e9value ou les \u00e9valuera.<\/p>\n\n\n\n Mais cette ignorance, nous ne devons pas la craindre ni la regretter : elle est une lib\u00e9ration pour ceux qui croient en J\u00e9sus Christ, puisque celui qui juge et qui jugera notre existence est celui-l\u00e0 m\u00eame qui nous a rejoints dans les \u00e9preuves et les dilemmes de notre vie, – J\u00e9sus, notre fr\u00e8re en humanit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n * * *<\/p>\n\n\n\n D\u2019ailleurs, – et c\u2019est ma deuxi\u00e8me remarque -, je constate que l\u2019histoire des brebis <\/em>et des ch\u00e8vres<\/em> telle que la rapporte l\u2019\u00e9vang\u00e9liste Matthieu ne peut pas se r\u00e9sumer \u00e0 un jugement qui classerait les \u00eatres humains en deux troupeaux, deux cat\u00e9gories bien s\u00e9par\u00e9es en fonction de leurs agissements pass\u00e9s : tous les bons<\/em> d\u2019un c\u00f4t\u00e9, tous les m\u00e9chants<\/em> de l\u2019autre.<\/p>\n\n\n\n En effet, qui d\u2019entre nous peut affirmer n\u2019avoir jamais rencontr\u00e9 un malade, un affam\u00e9 ou un \u00e9tranger \u2026 et \u00eatre pass\u00e9 \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui sans lui venir en aide ?<\/p>\n\n\n\n Et \u00e0 l\u2019inverse, y a-t-il un seul, une seule d\u2019entre nous et m\u00eame d\u2019entre tous les humains qui n\u2019ait jamais accueilli un \u00e9tranger, r\u00e9confort\u00e9 un malade, nourri un affam\u00e9 ou visit\u00e9 un prisonnier ?<\/p>\n\n\n\n C\u2019est dire qu\u2019aucune, aucun de nous n\u2019est ou ne sera enti\u00e8rement et exclusivement d\u2019un c\u00f4t\u00e9 ou de l\u2019autre : parfois nous aurons \u00e9t\u00e9 parmi les moutons<\/em>, parfois parmi les boucs.<\/em><\/p>\n\n\n\n L\u2019impossibilit\u00e9 de ce \u2018tout ou rien\u2019, de ce \u2018toujours ou jamais\u2019 me semble sugg\u00e9rer que J\u00e9sus ne parlait pas de deux esp\u00e8ces distinctes d\u2019humains dont les uns seraient destin\u00e9s au \u2018paradis\u2019 et les autres aux \u2018enfers\u2019, \u2026 ou alors nous nous retrouverions tous dans un \u2018purgatoire\u2019 n\u00e9 de l\u2019imagination de certains th\u00e9ologiens, mais dont la Bible ne parle jamais !<\/p>\n\n\n\n Plut\u00f4t que d\u2019un jugement des personnes, ce r\u00e9cit \u00e9voque un jugement, un tri de leurs actes : je le vois comme une sorte de tamis qui r\u00e9v\u00e9lera la vraie valeur de nos actions, s\u00e9parant celles qui, – sans que nous le sachions alors nous-m\u00eames -, \u00e9taient des signes et des semences de vie \u00e9ternelle<\/p>\n\n\n\n de tout ce qui, dans nos rencontres de tous les jours, n\u2019aura eu aucune utilit\u00e9, laissant le mal et la mort faire leur travail de destruction dans notre vie et celle de nos semblables.<\/p>\n\n\n\n Et je sais qu\u2019il y a des vies, m\u00eame br\u00e8ves, qui auront \u00e9t\u00e9 pleines d\u2019actions et de relations f\u00e9condes au regard de Dieu et de son amour cr\u00e9ateur, tandis que d\u2019autres, bien plus longues, en seront rest\u00e9es vides\u2026 ou presque.<\/p>\n\n\n\n Plut\u00f4t que de nous insuffler la peur d\u2019un jugement dernier, je crois que cette narration de l\u2019Evangile nous appelle \u00e0 vivre nos relations et nos rencontres pr\u00e9sentes en sachant que celui qui nous voit et qui nous jugera est \u00e0 la fois le roi <\/em>et notre compagnon, le Fils de l\u2019homme <\/em>et notre fr\u00e8re<\/em> en humanit\u00e9, – le fr\u00e8re<\/em> en particulier de ceux qui vivent dans la pr\u00e9carit\u00e9 et la d\u00e9tresse, l\u2019humiliation ou l\u2019exclusion.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est le sens de la parole de J\u00e9sus :<\/p>\n\n\n\n Chaque fois que vous l\u2019avez fait \u00e0 l\u2019un de ces petits de mes fr\u00e8res, c\u2019est \u00e0 moi que vous l\u2019avez fait.<\/em><\/p>\n\n\n\n Et je suis persuad\u00e9 que ce n\u2019est pas par hasard que J\u00e9sus, d\u2019apr\u00e8s l\u2019\u00e9vangile, la pronon\u00e7ait \u00e0 la veille du jour o\u00f9 il allait lui-m\u00eame \u00eatre arr\u00eat\u00e9 et jug\u00e9, condamn\u00e9 et ex\u00e9cut\u00e9, comme un petit, <\/em>un humili\u00e9 parmi deux autres\u2026<\/p>\n\n\n\n Chaque \u00eatre humain, tel que le voyait J\u00e9sus, tel qu\u2019il le rencontrait sur les chemins de Galil\u00e9e, \u00e9tait une personne unique aux yeux de Dieu, un visage \u00e0 nul autre pareil, – et c\u2019est ainsi, comme un enfant de Dieu, qu\u2019il nous invite \u00e0 le voir et \u00e0 le rencontrer aussi dans nos carrefours de tous les jours.<\/p>\n\n\n\n N\u2019est-ce pas justement l\u00e0 le sens profond de l\u2019Avent que nous nous appr\u00eatons \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer : la venue de J\u00e9sus, fils de Dieu qui a pleinement partag\u00e9 les \u00e9preuves et les crises, les difficiles choix de notre quotidien d\u2019humains en nous appelant \u00e0 d\u00e9couvrir que nous sommes tous, comme celles et ceux qui croisent notre route, ses fr\u00e8res et ses s\u0153urs, enfants d\u2019un m\u00eame P\u00e8re que lui ?…<\/p>\n\n\n\n Ion Karakash<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"