Prédication de David Allisson, 9 février 2014, Travers
L’auteur a choisi cette prédication pour participer au Prix Suisse de la prédication 2014
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Lecture de la Bible
Prédication
La lumière vous l’avez, alors soyez lumineux.
Cela fait au moins 2500 ans, selon l’estimation de la date à laquelle les paroles d’Esaïe ont été prononcées, que la religion juive appelle à la solidarité, au souci des pauvres, au don, au partage. Et d’autres avant Esaïe avaient déjà lancé cet appel. Il y a deux millénaires, le Christ a relancé l’appel. Et toujours il y a besoin de relancer et relancer.
La chaîne du bonheur relance la machine, les ONG plus souvent qu’à leur tour, la campagne de carême commencera dans un mois, le CSP va nous solliciter avec son habituel appel de mars. Si cette énumération était le début d’une liste, elle pourrait continuer bien longtemps.
La foi et la quête du sens de la vie et d’humanité vont tous dans le sens de ces appels à la solidarité, au souci des pauvres, au don, au partage. J’ai évoqué la religion juive, et le Christ, mais l’Islam aussi souligne l’importance du don et de l’entraide, de même que les autres religions du monde. Cet appel à la solidarité est relayé dans beaucoup d’endroits à toutes les époques.
Et tout cela pour quoi ? Il y a peut-être 2500 ans que le prophète Esaïe lançait cet appel de la part du Seigneur :
« Le jeûne tel que je l’aime, le voici, vous le savez bien : c’est libérer les hommes injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les tient esclaves. C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, fournir un vêtement à ceux qui n’en ont pas, ne pas te détourner de celui qui est ton frère. » Es 58,6-7
Alors, ce sont 2500 ans pour rien ?
Aujourd’hui, c’est toujours pareil. Rien ne change.
Les travailleurs sont exploités pour terminer à temps les travaux des routes et des stades pour les jeux olympiques. Et cela sera la même chose pour les prochains jeux d’été ou coupe du monde de football. Les étrangers sont accusés d’être la cause de nos difficultés économiques. Nous votons, aujourd’hui en Suisse. Nous sommes contents d’acheter des fruits, des habits ou des ordinateurs bon marché en faisant semblant d’ignorer que les travailleuses des pays lointains qui produisent ces biens ne gagnent pas de quoi se nourrir tout en s’épuisant au travail. J’ai souvent autre chose à faire que de partager mon temps avec une telle ou un tel qui souffre de solitude.
Oui, c’est toujours pareil. Rien ne change.
Laissons tomber cette impossible solidarité. Une belle idée, mais irréalisable.
Essayons au moins de nous en sortir, chacun pour soi, Dieu pour tous, selon la formule. Et si je m’en sors, cela fera toujours un malheureux de moins, non ? C’est cynique, mais bien tentant tout de même.
Devant la tentation de tout laisser tomber, Esaïe interpelle.
Il commence par nous signaler une chose à ne jamais oublier : « Le jeûne tel que je l’aime, (…) c’est ne pas te détourner de celui qui est ton frère. »
Essayons de comprendre ce que cela veut dire, ne pas se détourner de son propre frère : il est pareil à toi, celui qui a faim, qui est sans-abri… ça pourrait être toi. Ce n’est pas la peine de se replier, de mettre des barbelés à ta clôture, des barreaux aux fenêtres, un peu comme dans ces villes ou quartier hautement sécurisés qui portent des noms paradisiaques et où s’isolent des personnes qui en ont les moyens. Nous aimerions bien que cela soit là-bas au Etats-Unis ou autre, mais ce genre d’installation se met en place aussi plus près de chez nous.
Non, cet autre qui souffre n’est pas tout à fait autre, ou alors, c’est un autre toi-même, il est fait de chair comme toi.
« A quoi bon ? » (Es 58,3) Ce questionnement, « à quoi bon ? » a bien souvent été le refrain d’Israël. « A quoi bon pratiquer le jeûne, si le Seigneur ne nous voit pas ? A quoi bon nous priver s’il ne le remarque pas ? »
Et il est vrai que dire cela ne changera rien. Même si on le disait pendant toute une vie. Si on veut vraiment que les choses changent, peut-être faut-il commencer par croire que le changement est possible. Ou alors, c’est qu’on est bien satisfait du monde tel qu’il est.
Et Esaïe l’affirme : oui, c’est possible, les choses peuvent changer, être rétablies. Dieu promet : il n’y a pas de fatalité, le pire n’est jamais sûr. On pourrait se sentir écrasé par l’ampleur de la tâche, démesurée pour chacun pris tout seul, mais c’est ici que l’interpellation divine prend sa dimension, parce qu’elle affirme la possibilité de la réalisation de ce projet.
Cela s’appelle l’espérance. Le combustible qui met en route. Les chrétiens sont des producteurs et des consommateurs d’espérance. Il ne s’agit plus de dire : « c’est toujours pareil », mais : « les choses peuvent changer ». Et de commencer à les changer. Les fruits ne pousseraient pas si quelqu’un, un jour, n’avait pas eu assez de confiance pour les avoir semés. Et cette espérance naîtra de la promesse.
Dans les quelques phrases que nous avons entendues de l’évangile de Matthieu, la promesse prend la forme d’un double constat : « C’est vous qui êtes le sel du monde. » [Mt 5,13] « C’est vous qui êtes la lumière du monde. » [Mt 5,14]
La lumière, vous l’avez, alors soyez lumineux.
Le sel, vous l’avez, alors ayez du goût.
Vous pouvez chercher les excuses que vous voulez ou dire que vous n’avez pas tellement de goût ou que vous ne brillez pas très fort, c’est quand même de vous, de moi, de nous qu’il s’agit ici.
Voilà la promesse de la parole de Jésus : vous avez du goût et vous êtes lumineux.
Ce serait un rude gaspillage que de nous dire que nous préférons attendre que le vrai sel et la vraie lumière arrivent.
Nous savons bien que nous sommes limités. Nous souffrons régulièrement de nos propres limites et aussi des limites des autres. La perfection n’est pas de ce monde. Non, c’est vrai, la perfection n’est pas de ce monde.
Mais ce monde a du goût. Ce monde est éclairé.
Il l’est par le bien que vous faites et les hommes qui voient cela louent votre Père qui est dans les cieux [Mt 5,16].
Alors, non, ce n’est pas parce que l’appel au soin de l’autre est répété de proche en proche depuis des millénaires que rien ne peut changer.
Les chrétiens sont des producteurs et des consommateurs d’espérance. Les choses peuvent changer. Et cela commence par des choses toutes simples, comme la personne qui me disait avant-hier qu’elle invitait toujours quelqu’un à venir au culte avec elle parce qu’elle a besoin de pouvoir partager sur le chemin du retour ses impressions, ses joies, ses colères, tout ce qui la touche dans ce qui est dit au culte.
On place la lampe sur son support, d’où elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Le support de la lumière que vous êtes, ce sont tous les gestes, les mots, les présences que vous saurez inventer pour faire briller cette lumière que le Christ met en vous.
La lumière vous l’avez, alors soyez lumineux.
Amen.