Une tentation différente de Jésus au désert!

Message de Ion Karakash pour les cultes du samedi 20 février à Couvet et du dimanche 21 février aux Bayards

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Jésus-Christ dans le désert de Alessandro Bonvicino (Moretto Da Brescia)

Lecture biblique :

  • Marc 1, 9-15

Message

« En ce jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et il fut baptisé dans le Jourdain par Jean. Aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe, descendre sur lui ; et il y eut une voix des cieux disant :

Tu es, toi, mon Fils bien-aimé ; en toi je me suis complu !

Aussitôt l’Esprit le chassa dans le désert.
Il fut durant quarante jours dans le désert, mis à l’épreuve par Satan ; il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée proclamant la Bonne Nouvelle de Dieu et disant :

Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche. Changez de manière de penser et croyez en la Bonne Nouvelle ! »

***

Quarante jours d’isolement au désert, exposé aux suggestions malintentionnées de Satan après son baptême au Jourdain : combien de fois n’avons-nous pas entendu le récit des tentations de Jésus ?!
Ce que nous venons de lire dans l’Evangile de Marc a pourtant dû vous surprendre : c’est que nous connaissons les tentations d’après Luc et Matthieu dans leurs Evangiles.

Ils évoquent trois tentations particulières auxquelles Jésus fut exposé en situation de faiblesse, – trois mises à l’épreuve qui résument symboliquement les principales tentations auxquelles l’être humain peut se trouver confronté.

* Mettre en œuvre son savoir-faire en transformant en pains des pierres pour s’en nourrir et apaiser sa faim : l’être humain n’a-t-il pas été appelé par le Créateur à maîtriser la terre ?!

* Se jeter publiquement du haut du Temple de Jérusalem en comptant sur une intervention providentielle des anges : Dieu n’a-t-il pas promis de préserver ses bien-aimés ?!

* Se soumettre au Tentateur pour obtenir en retour le pouvoir de régner sur le monde : l’être humain n’a-t-il pas été créé à l’image et ressemblance du Tout-Puissant ?!

La tentation technicienne de recréer le monde selon nos propres besoins ou nos appétits du moment ;
la tentation religieuse de mettre en œuvres des forces surnaturelles en nous prévalant des promesses divines ;

la tentation politique du pouvoir sur les foules et les nations par n’importe quels moyens, fussent-ils diaboliques.
L’actualité ne cesse de nous rappeler combien ces tentations demeurent vives et périlleuses, lorsque les hommes se méprennent sur Dieu comme sur eux-mêmes, sur leurs capacités…

***

Or il n’y a rien de tout cela dans le récit que donne Marc de la tentation de Jésus au désert :

– Il n’y a pas trois mises à l’épreuve particulières, mais une unique période de quarante jours pendant lesquels Jésus est tenté d’une manière que l’évangéliste ne précise pas, parce que là n’est pas l’essentiel de ce qu’il voudrait nous faire comprendre.

– Il n’est pas davantage question d’un Jésus qui se trouvait en position de faiblesse, affamé, livré à lui-même : bien au contraire, Marc se plaît à souligner que ‘des anges le servaient’ au désert, … et il permis de supposer qu’un tel serviceangélique comprenait certainement aussi la nourriture quotidienne !

– Enfin, Marc ajoute un détail qui modifie radicalement la nature même de la tentation : ‘servi par des anges’ au désert, Jésus y était, écrit-il, ‘avec les bêtes sauvages’ ; non pas menacé par les fauves, mais ‘avec’ eux, – à l’image de ce que le prophète Esaïe avait annoncé d’un temps béni à venir où ‘le loup habitera avec l’agneau et où le nourrisson côtoiera la vipère’, sans crainte ni péril ! (Esaïe 11/6-9)

Ce que Marc semble suggérer ainsi, c’est qu’au désert Jésus rétablit l’être humain véritable, – celui que Dieu projetait en lui destinant le jardin d’Eden… avant que l’homme ne succombe à la tentation et qu’il en soit exclu.
D’ailleurs, lors du baptême qui précède immédiatement le récit de la tentation, Jésus est désigné par la voix céleste comme le ‘Fils bienaimé’ de Dieu, – et voici qu’au désert il résiste au Tentateur comme le ‘nouvel Adam’, l’exemple de cette nouvelle humanitéà venir, conforme enfin aux desseins de son Créateur.

La tentation de Jésus est totalement dédramatisée par l’évangéliste Marc : il n’est pas question de la faim de Jésus ni de sa solitude qui le rendrait vulnérable, ni même d’une série de suggestions malignes que lui ferait le Tentateur, – comme si Marc ne voulait retenir du passage de Jésus au désert qu’une seule chose, l’unique essentielle pour éclairer la foi des lecteurs de son Evangile : ce Jésus que Satan tente au désert n’est autre que le Fils de Dieu, – celui qu’annonce et salue déjà le tout premier verset de l’Evangile :

‘Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ Fils de Dieu.’ (Marc 1/1)

C’est comme Fils de Dieu que Jésus se révèle dans son séjour au désert, servi par des anges et entouré d’animaux sauvages qui ne l’agressent pas, mais lui tiennent compagnie !

***

D’ailleurs, immédiatement après la tentation, Marc évoque l’arrestation de Jean Baptiste ; c’est à partir de là que Jésus prend le relais, parcourant villes et villages de Galilée pour proclamer l’Evangile, la Bonne Nouvelle de Dieu :

‘Le temps est accompli et le Règne de Dieu est imminent : changez de vie et croyez à la Bonne Nouvelle !’

Pour Marc, cette Bonne Nouvelle n’est pas une affaire de morale : ce que Jésus enseigne et dont sa vie entière est l’illustration, ce n’est pas que les humains devraient savoir résister aux tentations du Malin, mais plutôt qu’ils sont appelés à vivre dans la confiance en Dieu, puisque ‘le Règne de Dieu est là’, – il affleure déjà, tout près, tout autour d’eux… et de nous !

L’important, pour l’évangéliste, ce ne sont pas les bonnes œuvres que les humains devraient accomplir pour mériter le pardon et la bénédiction de Dieu ; ce ne sont pas non plus les diverses sortes d’abus de pouvoir dont ils devraient se garder, – celles que détaillent les trois tentations qu’évoquent Luc et Matthieu. Non : l’unique chose essentielle, d’après Marc, c’est que les humains mettent leur confiance en ce Dieu qui les accompagne et les assiste dans leur affrontement quotidien avec les formes multiples du malheur et de la malveillance.

Pour le dire autrement : qu’eux aussi, comme Jésus, – et comme chacune / chacun de nous -, se sachent soutenus par des ‘anges’ et n’aient pas peur des bêtes, même les plus sauvages!

***

Cette même confiance qui reflète dans l’une des premières décisions publiques de Jésus : s’entourer de disciples, – douze apôtres qu’il appelle à agir avec lui.
Pierre et André, Jacques et Jean, Thomas, Judas et les autres quittent alors leurs filets, leur champ ou leur table de collecteur d’impôts pour se mettre à l’œuvre derrière lui.

Pour annoncer au monde que Dieu règne malgré les menaces et les attaques du Malin, Jésus se fait accompagner dès le début de quelques compagnons, – dont il connaît pourtant les limites et les faiblesses !

Ce choix de Jésus est l’expression de sa confiance en l’être humain.
Et il est pour nous une invitation à nous faire confiance les uns aux autres, quelles que puissent être nos failles, – comme Jésus nous fait confiance, à vous et à moi, aujourd’hui. Une double confiance, – confiance en Dieu et en l’humain -, qu’aucune tyrannie politique, aucune démesure technicienne, aucune déraison religieuse ne sauraient réduire à néant.

***

Nous avons commencé par évoquer la tentation de Jésus, … et nous voici appelés à faire confiance à l’être humain, – non pas à cause de ses savoirs multiples, de ses puissances politiques ou de ses qualités morales, mais à la lumière de ce Dieu que Jésus incarnait, présence proche et bienveillante sur les chemins de toutes les Galilées du monde, au plus aride des déserts comme au cœur même de l’humain, sa créature, son enfant…

Ion Karakash

Parole d’envoi :

‘Jésus était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient…’

Le récit de la tentation dans Marc ‘nous révèle à travers le Christ notre état d’homme’ : ‘… nous aussi dans notre désert intime nous avons affaire à des bêtes sauvages

– nos monstres intérieurs – cependant que des anges – des inspirations bénéfiques – veillent sur nous.’

Georges Haldas (‘Le Livre des trois Déserts’ ; 1998)