Culte du 31 décembre 2023 à 10h à Noiraigue
Prédication de Séverine Schlüter
Lecture :
- Luc 2, 21-40
Prédication : une lumière dans la toile de nos vies
De Séverine Schlüter
Nous voici à la charnière de deux années. Avec toute la palette des émotions qui colorent en général ce moment : les couleurs vives des joies et instants de bonheur traversés ; avec peut-être même quelques paillettes pour des moments particulièrement lumineux ; les couleurs plus ternes des instants de tristesse, des regrets ; les teintes franchement obscures des épreuves et peines endurées.
L’épisode de la présentation au temple est elle-même également toute teintée de contrastes.
La peinture qui est reproduite ici est l’œuvre de Rembrandt, le célèbre peintre hollandais du 17ème siècle.
Cette peinture représente Syméon au Temple, tenant l’enfant Jésus dans ses bras.
Cette toile, inachevée, a été retrouvée dans son atelier après sa mort.
Rembrandt a eu un rapport bien particulier avec cette scène de l’évangile de Luc; en effet, auparavant, il l’avait déjà représentée 17 fois, sous forme de dessin, de gravure ou de peinture. Cela nous montre combien cette histoire devait résonner, évoquer quelque chose de profond en lui. Il n’est pas le seul d’ailleurs à avoir été interpellé par cet événement. Beaucoup d’autres peintres, des sculpteurs, des musiciens ou des poètes ont été inspirés par cette rencontre.
Qu’a donc ce récit de si particulier , pour qu’on prenne ainsi le temps de s’y arrêter ?
Ce qui frappe, c’est le contraste qui existe entre ces deux personnages, cette réunion entre une vie sur le déclin, et une autre qui commence.
Remarquez au passage que nulle part dans le texte il est dit que Syméon est vieux, même si c’est souvent sous les traits d’un vieillard qu’il a été représenté. Il est juste dit au verset 26 que l’Esprit Saint lui avait révélé qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, c’est-à-dire l’envoyé, du Seigneur.
De son âge, on ne sait rien. Mais après tout, quel qu’ait été l’âge de Syméon à ce moment-là, l’image de cet homme qui prend spontanément ce tout petit enfant dans ses bras est touchante. Si touchante pour notre illustre peintre que ce face à face entre Syméon et l’enfant va suffire à remplir son tableau.
A ce propos, on ne sait pas qui acheva l’œuvre de Rembrandt, mais on sait qu’à l’origine, il n’y avait que deux personnages qui y étaient représentés: Syméon et Jésus, en vis à vis.
Olivier Pigeaud, qui a fait un commentaire de ce tableau, le dit en ces mots :
« La toile sombre est animée par deux taches de lumière, cette lumière dont le peintre joue si souvent pour mettre en valeur tel ou tel personnage, ou telle action: ici, la tête ronde du vieillard barbu et celle, plus petite, mais ronde aussi, de Jésus.
Cet enfant était un inconnu pour lui, avant qu’il l’accueille dans ses bras; mais maintenant, la relation qui se joue entre eux a quelque chose de très fort, puisque Syméon s’en trouve transformé: ses yeux ont vu le salut de Dieu ! »
L’attente du Messie était très vive dans le peuple juif à l’époque de la naissance de Jésus. L’espérance de Syméon est tout aussi forte, tout comme sa foi en la puissance libératrice de Dieu. Et voilà que ce jour-là, il tient cette puissance entre les mains… dans la fragilité d’un enfant nouveau-né.
Au-delà des apparences, Siméon reconnaît dans ce tout petit la «lumière venue pour éclairer les nations». C’est comme s’il s’ouvrait à une nouvelle dimension.
Luc d’ailleurs, pour parler de ce garçon “premier-né”, utilise l’expression biblique de “celui qui ouvre le passage du sein maternel” ; le même verbe utilisé aussi lors de la manifestation du Ressuscité aux disciples d’Emmaüs, quand leurs yeux s’ouvrent, et qu’ils reconnaissent le ressuscité dans leur compagnon de route arrivé à l’improviste.
Cet avenir que Syméon perçoit sera tout en contraste lui aussi, avec en filigrane les contestations que Jésus va susciter, et l’ombre de la croix qui se dessine.
Cela n’empêche pas Siméon de proclamer : « Maintenant, Seigneur, (…) tu peux laisser ton serviteur s’en alleren paix, car j’ai vu de mes propres yeux ton salut…». Car ce signe de libération promis, il l’a tenu dans ses mains, il l’a contemplé au fond des yeux, et sa lumière ne le quittera plus.
Cette paix est plus vaste, plus profonde, que la paix que des humains peuvent décider entre eux. Plus qu’une paix à faire, c’est une paix à recevoir, à habiter, à faire vivre. Et qui peut être donnée même dans les circonstances les plus pénibles de nos vies…
Le salut qui est présenté ici, c’est d’abord une présence qui nous est donnée; c’est ce Dieu qui est venu parmi nous, ce Dieu qui est avec nous.
Pourtant, il y a parfois dans notre vie ou dans notre monde de quoi se demander où Dieu reste caché…
Dans ces moments-là, que faire avec cette promesse qui nous a été rappelée à Noël, que Dieu est avec nous ?
En Syméon, et Anne aussi, quelque chose s’est produit, quelque chose que tous deux ont eu envie de faire partager à leur entourage.
Rembrandt, pour en revenir à sa peinture, nous invite à regarder en nous-même: cette histoire peut-elle donner un sens à notre vie ?
Rembrandt lui en a trouvé un de sens. En effet, sous les traits de Syméon, il s’est représenté lui-même, comme il l’était au soir de sa vie; s’identifiant à Syméon, il semble dire que, face à la mort qui l’attend, il a trouvé la paix, et la lumière, lumière reflétée sur le visage des deux personnages de sa toile.
Il nous invite à notre tour à intégrer cette présence divine sur la toile de nos vies, à nous laisser imprégner par elle dans la trame toute en nuance de nos existences, à l’image de cette prière inspirée par Gaston Lecleir :
Seigneur, tu nous offres ce temps à venir comme un vitrail à rassembler avec des morceaux de toutes tailles, de toutes couleurs, de toutes formes…
Tu nous invites à y mettre le rouge de notre amour et de notre enthousiasme, le mauve de nos peines et de nos deuils, le vert de nos espoirs et le rose de nos rêves, le bleu ou le gris de nos engagements ou de nos luttes, le jaune et l’or de nos moissons…
Le blanc sera réservé pour les jours ordinaires et le noir pour ceux où nous te sentirons absent.
Nous cimenterons tout par la prière de notre foi et par notre confiance sereine en toi.
Seigneur, nous te demandons simplement d’illuminer, de l’intérieur, ce vitrail de notre Église par la lumière de ta présence et par le feu de ton Esprit de vie.
Ainsi, par transparence, ceux et celles que nous rencontrerons y découvriront peut-être le visage de ton Fils bien aimé, Jésus-Christ, notre Seigneur.
Amen.