Une joie démesurée – Prédication des 10-11 septembre 2022

Texte : Luc 15, 1-10

Prédication « Une joie démesurée »

de Patrick Schlüter

On dit parfois que l’évangile de Luc est celui de la tendresse. Cette thématique est au cœur des 2 paraboles que nous avons entendues. Jésus les raconte en confrontation avec les scribes et les pharisiens qui lui reprochent sa proximité avec les gens de mauvaise vie.

Ces deux petites histoires ont la même structure : les 2 paraboles parlent d’une personne qui a perdu quelque chose. Ensuite, Jésus pose la question de la réaction face à la perte. Il décrit ensuite une recherche active, puis quand la chose est retrouvée, il y aura de la joie partagée avec les amis et les voisins. Enfin, Jésus conclut en indiquant que c’est la même logique dans le ciel quand un pécheur commence une vie nouvelle.

Tout semble donc simple à première vue pour nous qui avons l’habitude de ces paraboles. En sommes-nous si sûrs ?

En effet, dans la plupart des paraboles, c’est une histoire de la vie quotidienne qui est racontée. Il y a dans le récit un élément de surprise, quelque chose d’inhabituel afin de nous faire entrer dans la logique du Royaume de Dieu. En lisant ce texte, je me suis demandé où est la surprise, l’élément inhabituel dans ces 2 paraboles ?

Je crois que c’est l’élément de la démesure qui constitue la surprise ici :

Moi aussi, il m’arrive de perdre quelque chose et de le rechercher. Comme je n’aime pas cela, je suis capable de chercher assez longtemps ! Mais il m’arrive aussi d’un peu calculer et de renoncer en me disant que je vais perdre trop de temps et que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Ou tout simplement, je sais que d’autres choses sont prioritaires, par exemple les autres tâches ou personnes dont je dois m’occuper.

Et puis, franchement, cette brebis perdue, elle est un peu casse-pied, non ? Est-ce qu’elle mérite qu’on lui consacre autant d’énergie par rapport aux 99 autres ?

Oui, il y a quelque chose d’un peu démesuré dans l’énergie mise dans la recherche, mais pas seulement !

Il y a aussi cette joie partagée avec les amis et voisins : franchement, moi si je perds et que je retrouve quelque chose, je ne sais pas si j’irais aussi loin. Je me sentirais peut-être un peu bête d’avoir laissé filer un mouton ou d’avoir été si peu soigneux avec mon argent ! Est-ce que j’irais fêter avec mes voisins pour cela ? J’aurais peur de déranger, d’en faire un peu trop, d’étaler mes petits soucis du quotidien à la vue de tous !

Oui, cette joie à partager est sans doute assez démesurée.

Et vous avez pensé à la brebis qui se fait trimballer sur les épaules pour aller visiter les voisins et raconter son histoire ! Pauvre bête ! Elle ne doit pas être très fière de ce qui lui est arrivé : elle a sans doute eu peur et elle préférerait probablement rentrer discrètement dans son enclos plutôt que d’être promenée à la vue de tous !

Et puis, il y a encore les voisins et amis : qu’est-ce qu’ils vont dire et penser ? Au mieux, ils seront contents de faire la fête, surtout si l’apéro est offert. Ce n’est pas précisé dans les paraboles qui disent seulement qu’ils sont invités à partager la joie de la personne qui a retrouvé sa brebis ou sa pièce d’argent !

Mais, ils se diront peut-être : il est sympa celui-là, mais un peu tête en l’air quand même ! Je ne lui confierais pas mes brebis ou mon argent ! Peut-être qu’ils ricaneront aussi un peu sous cape en racontant l‘histoire !

La joie de ces deux paraboles a quelque chose de démesuré ! Cela nous dit quelque chose de Dieu et de la vocation de l’être humain à être en lien avec les autres :

Dieu nous aime sans compter, au-delà de tous les obstacles. Ce n’est pas un Dieu comptable de nos bonnes et mauvaises actions, mais un Dieu qui aime par-dessus tout et qui est prêt à tout par amour !

Cela nous dit aussi que la logique du Royaume, c’est d’aimer, de nous réjouir des réussites des autres, sans être jaloux ou moqueur, de nous réjouir vraiment de la vie.

Finalement, je me sens un peu ambivalent face à ces 2 paraboles. Je suis touché et j’ai envie de me laisser entraîner dans cette logique du Royaume de Dieu, mais je sens aussi qu’en moi, il y a des choses moins reluisantes qui résistent à cet appel… ne serait-ce que la crainte de passer pour un naïf !

J’aimerais pour conclure vous raconter une histoire amérindienne :

Un vieil indien initiait son petit-fils à propos de la vie :

« Une lutte est en cours à l’intérieur de moi », disait-il à l’enfant. « C’est une lutte terrible entre deux loups. »

« L’un est plein d’envie, de colère, d’avarice, d’arrogance, de ressentiment, de mensonge, de supériorité, de fausse fierté.

L’autre est bon, il est paisible, heureux, serein, humble, généreux, vrai, rempli de compassion. Cette lutte a aussi lieu en toi, mon enfant et en chaque personne. »

Le petit-fils réfléchit un instant et interrogea son grand-père : « Lequel de ces deux loups va gagner la lutte ? »

Le vieil indien répondit simplement : « Celui que tu nourris ».

Amen.