Un bras de fer avec Jésus

Prédication des 19 et 20 août 2023 à Môtiers et à La Côte-aux-Fées

de René Perret

Texte biblique : Matthieu 15, 21-28

     Le récit d’Evangile que nous méditons aujourd’hui est un exemple parlant pour moi d’un concept que l’Eglise a défini au début de son histoire : celui de Jésus vrai homme et vrai Dieu.

     Permettez moi cette introduction, car je la crois importante pour notre lecture des Evangiles, ces quatre témoignages différents d’une même vie, celle de Jésus notre Christ.

     Pour le dire en deux mots : si Jésus était seulement vrai Dieu, il n’aurait pas vraiment souffert et ne serait pas vraiment mort à Golgotha. Et s’il était seulement homme, il ne serait pas vraiment ressuscité au matin de Pâques.

     Mais garder les deux dimensions de Jésus – vrai homme ET vrai Dieu – pose parfois question, et c’est le cas aujourd’hui.

     Contrairement à bien des théologiens et bien des Eglises, catholique et évangéliques, je crois ici Jésus aussi vrai homme, et c’est ce qui fait le sel de notre récit.

     Pour terminer avec mon introduction, Jésus était vrai homme à Gethsémané, quand (pour Matthieu) il connait l’angoisse et la peur ; (pour Marc) qu’il confie à ses disciples que son âme est triste à en mourir » ; (pour Luc) que sa sueur était comme des caillots de sang. Et de même sur la croix, pour Marc et Matthieu, Jésus criant « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ne cite pas simplement le Psaume 22, il crie avec les mots que tout Juif connait, et il meurt en poussant un dernier cri.         

     Ici, Jésus vient de quitter son pays, après une explication avec des Pharisiens et des scribes de Jérusalem venus l’interroger sur ce qui est pur et impur. La réponse de Jésus est claire : ce qui sort de la bouche de l’homme, donc ce qui vient de son cœur, voilà ce qui le rend pur, ou impur.

     Cette notion est importante : se laver les mains avant de manger, manger un jour de sabbat, tout ça c’est secondaire pour Jésus, même si pour les Juifs ce sont des prescriptions importantes.

     Partons donc dans la rencontre qui nous attend avec cette notion : ce qui sort de la bouche, et donc du cœur, voilà ce qui rend pur ou non.

     Pourquoi Jésus est-il venu à l’étranger ? Matthieu ne le dit pas. Après cette rencontre, il sera de retour en Galilée. Pour l’heure, il est dans le pays de la femme qui vient à sa rencontre.

     Et cette femme a entendu parler de lui. Elle croit qu’il peut venir à son secours, et la délivrer de ce qui la tourmente, la maladie de sa fille. C’est pourquoi elle fonce sur lui et lui demande son aide à grands cris.

     Jésus ne lui répond pas un mot. Comme l’image sur la feuille de chants, Jésus est muet, bras croisés. Etonnant, pour celui qui est tout accueil ! J’aime le commentaire que fait Luther de cette attitude :

     « Pleine de foi dans ce qu’on lui a annoncé du Christ, la femme vient à lui, mais voilà qu’il apparaît tout différent, comme s’il voulait tromper la foi et la confiance qu’elle a et rendre fausse l’idée de lui qu’elle désirait avoir : est-ce là cet homme si bon et amical ? Sont-ce là les bonnes paroles que j’ai entendu dire de lui et auxquelles j’ai cru ? Cela ne peut être vrai. Il est ton ennemi, il ne veut pas de toi. Il pourrait au moins dire un mot, me dire : je ne veux pas.

     Mais il se tait, comme un caillou ! C’est vraiment une sale histoire si Dieu se montre si sérieux et en colère, et s’il cache sa grâce si haut et si profond…

     Et maintenant, que fait la petite femme ? Elle ne s’occupe pas de ces façons désagréables et dures du Christ, elle ne se laisse pas tromper, elle ne se fâche pas ; elle continue à croire dur et ferme au bien qu’elle a entendu dire de lui et elle ne renonce pas. »

     Les disciples de Jésus, eux, ne perdent pas de temps : en bons garde-du-corps de Jésus, ils veulent que Jésus la chasse, car elle les dérange.

     Quand Jésus parle enfin, c’est pour dire à cette maman que Dieu ne l’a pas envoyé pour des étrangers.

     Mais cette femme continue : elle veut absolument que Jésus intervienne pour sa fille. Elle croit en lui malgré son silence, sa réponse négative.

     Jésus continue de résister à cette maman. Il lui parle de chiens et de petits enfants, et la femme comprend qu’il la compare à de petits chiens. C’est une image très dure pour elle, elle pourrait la prendre comme une gifle.

     Mais cette femme continue : si elle ne vaut pas mieux aux yeux de Jésus qu’un petit chien, qu’au moins elle ait une miette de son aide !

     Et c’est là que Jésus craque ! Elle l’a convaincu d’agir, même s’il ne l’avait pas prévu. Il reconnait que sa foi est grande, et il exauce sa demande : sa fille est délivrée.

     Jésus ici a été vrai homme. Fidèle à la mission qu’il a reçue, ce n’est qu’après sa résurrection qu’il s’adressera aux nations. Ce sont d’ailleurs les dernières paroles qu’il donne à ses disciples quand il les retrouve en Galilée : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples… »

     Jésus vrai homme résiste à cette femme, dans un dialogue qui ressemble à un bras de fer entre deux volontés. Et la femme le fait plier par sa foi, par ce qui sort de son cœur et de sa bouche. Et là, Jésus reconnait que la pureté de sa demande exige une réponse qu’il n’avait pas prévue.

     J’insiste : je ne crois pas à Jésus testant la foi de cette femme, comme il le fait parfois. Et c’est pourquoi j’apprécie cette note de la théologienne Françoise Dolto :

     « À cause de la parole de cette femme… Jésus découvre l’étendue des affaires de son Père, de la maison de son Père. À Cana, une femme (Marie) le fait entrer dans la vie publique.

Ici, en terre étrangère, une femme le fait entrer dans la vie universelle. »                                                         

     Pour nous, cette Cananéenne est un modèle important. Son besoin d’aide la pousse vers Jésus, comme nous le faisons quand nous prions et demandons à Jésus de nous aider.

     Mais comme elle, parfois nous ne recevons pas de réponse à notre prière. Dieu reste silencieux. Alors, comme elle, insistons ! Continuons de demander ce dont nous avons besoin. Ne baissons pas les bras, en pensant que notre prière n’est pas entendue, ou que Dieu ne veut pas nous répondre.

     Nous pouvons nous sentir tous petits, tous pauvres, tout démunis quand nous prions.

     Mais même ainsi, faisons comme cette femme : osons dire à Dieu ce dont nous avons besoin, avec audace, gardons fermement cette confiance que nous recevrons une réponse.

     Nous pouvons aussi nous entourer de gens qui porteront notre prière avec nous. Se sentir soutenus dans l’épreuve est très important.

     Et, comme pour cette femme, je le crois, Dieu finira par nous exaucer.

Amen.