11 janvier 2015 – Travers – Prédication de David Allisson à télécharger ici
Culte du dimanche suivant l’Epiphanie
Salutations
La Grâce et la Paix du Seigneur soient avec nous. Amen.
Je partage avec vous une réaction de collègues pasteur françaises à la tuerie du 7 janvier dans la rédaction de Charlie Hebdo.
Je n’ai pas de colère dans mon cœur.
Mais une très profonde tristesse.
Beaucoup de douleur. Et de la révolte. Ça oui.
J’ai mal à mon humanité.
J’ai mal à ma foi.
J’ai mal à mon espérance.
Cependant, partout, je vois des lumières qui s’allument.
Je vois des gens qui, au lieu d’être anéantis, se lèvent.
La terreur ne gagnera pas.
Les ténèbres ne souffleront pas la flamme qui brûle en l’humanité.
Il est temps, sans doute, d’entrer en résistance.
Résister absolument et sans transiger.
À la haine.
Aux amalgames.
Au découragement.
Veillons.
Veillons au discernement.
Redoublons d’attention à la paix toujours à consolider.
Portons hautes nos convictions.
Gardons-nous des discours exaltant les peurs.
Ce n’est pas une question d’unité nationale, mais de cause commune.
La fraternité est la seule voie possible
.
Au bout du compte, nous gagnerons.
« Nous sommes accablés par toutes sortes de détresses et cependant jamais écrasés.
Nous sommes désemparés, mais non désespérés, persécutés, mais non abandonnés,
terrassés, mais non pas anéantis »
(2 Corinthiens 4 : 8-9)
Anne-Sophie Guerrier-Hahn
Anne-Christine Hilbold-Croiset
Lecture de la Bible
Esaïe 55,1-11
Marc 1,6-11
Prédication
[Un miroir est placé au devant de l’église, face réfléchissante en direction de l’assemblée]
Charlie Hebdo associait à son titre la mention « journal irresponsable ».
Quand la bêtise et l’irrévérence sont gratuites, faut-il pour autant les faire payer de 20 vies tuées par balles ? Non. Décidément non.
Que dire sur l’Islam ? Est-ce une religion qui souffre de ses extrémistes ou l’Islam incite-t-il à l’extrémisme violent ?
De mon côté, je veux croire que l’Islam souffre de ses extrémismes et qu’il ne demande pas ces gestes meurtriers aux musulmans.
…
« Vous qui avez soif, voici de l’eau, venez. Prenez de quoi manger, c’est gratuit. Venez, c’est gratuit. » C’est le monde du Seigneur d’Esaïe.[Es 55,1]
« Nous venons vous faire payer. » C’est le monde des fanatiques qui crient vengeance.
…
Dieu est incroyable !
Dieu devient incroyable au sens propre : on ne peut pas – on ne peut plus – croire en lui. Il semble susciter d’un côté une violence qui appelle au sang et de l’autre côté quelque chose comme une force intérieure qui doit rester personnelle et silencieuse pour ne pas importuner les autres.
Dans un cas comme dans l’autre, je ne vois rien d’autre qu’une invitation à laisser la foi de côté et à chercher ailleurs l’engagement, la responsabilité et la liberté.
…
Il y a pourtant une lumière qui scintille encore et qui m’incite à continuer d’y croire.
Je cherche dans l’Evangile une foi qui s’exprime.
Je cherche dans l’Evangile une foi qui incite chaque chrétien à s’engager à prendre ses responsabilités pour une humanité libre et respectueuse.
Nous y sommes engagés par le baptême.
Même si Jean-Baptiste distingue le baptême qu’il pratique de celui que Jésus va instituer, nous sommes plongés dans la même eau que Jésus et nous sommes plongés dans la même Vie que lui.
Le baptême établit un lien entre tous ceux qui le reçoivent. Le baptême établit un lien entre chaque baptisé et Dieu qui redit aux unEs et aux autres : « Tu es mon fils bien-aimé. Tu es ma fille bien-aimée ; je mets en toi toute ma joie. »
La tristesse, l’émotion et l’incompréhension ont fait porter à des millions de personnes partout dans le monde, et à moi aussi, une pancarte « je suis Charlie ».
Le baptême de Jésus et notre baptême nous fait porter avec notre nom, le nom du Seigneur sur terre.
Il y a une différence entre porter une pancarte « Je suis Charlie » et porter le nom du Seigneur sur terre.
Dieu est dans l’humanité pour toujours. Les uns après les autres, nous allons peu à peu cesser d’être Charlie. L’émotion se tassera. La vie reprendra son cours et les uns et les autres recommenceront à trouver que les caricatures de Charlie Hebdo ou d’autres sont irrespectueuses, voire blasphématoires. Charlie Hebdo a souvent été en procès pour ses publications irrévérencieuses. Et cela n’enlève rien au scandale de ces morts pour des dessins ! Nous finirons peu à peu par prendre distance de l’émotion de cette semaine, aussi vive qu’elle puisse être.
Par contre, nous portons le visage de Dieu sur terre de par notre baptême et notre foi en Christ.
De la même manière que le visage d’Allah est défiguré par les violences commises en son nom, notre manière d’être chrétiens donne au monde un reflet du visage du Christ.
Nous portons le visage de Dieu sur terre.
Cette pancarte-là, nous avons à la porter haut. Elle doit être portée haut, parce qu’elle exprime le lien d’humanité que avons avec chaque être humain sur cette terre.
Chaque être humain est l’invité du Seigneur.
Chaque être humain peut entendre cette bénédiction « Tu es mon fils bien-aimé / tu es ma fille bien-aimée ». Quand nous respirons du souffle de cette vie-là, nous partageons la Vie autour de nous.
Nous ne pouvons pas déposer cela et le laisser de côté.
Cela fait partie de notre être profond.
Quand nous oublions de partager ce souffle, nous risquons de nous asphyxier nous-mêmes.
Plongés dans l’Esprit Saint par le baptême qu’offre le Christ, nous sommes aussi plongés dans l’amour de Dieu. C’est un amour inconditionnel. C’est un amour capable de s’indigner aussi. Le Jésus des évangiles n’a pas une personnalité aussi lisse que l’image qu’en donnent les peintres et les cinéastes. Il vit. Il s’indigne. Il se met en colère. Il pleure. Il fête.
Quand Jésus renverse les tables des marchands du temple, il exprime encore l’amour.
Pour Jésus le temple n’a pas de sens sans la prière et la prière n’a pas de sens en dehors de relations construites avec les autres.
Aux marchands du temple, Jésus dit en même temps qu’il les chasse : « Dans les Ecritures, Dieu déclare : « On appellera ma maison maison de prière pour tous les peuples. » Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs ! » [Mc 11,17]
Avant d’offrir sacrifice ou prière, Jésus invite à se réconcilier avec son frère : « Si donc tu viens à l’autel présenter ton offrande à Dieu et que là tu te souviennes que ton frère a une raison de t’en vouloir, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord faire la paix avec ton frère ; puis reviens et présente ton offrande à Dieu. » [Mt 5,23-24]
Jésus offre de Dieu un visage terrien.
Dieu se donne à connaître à sa façon et non selon les caricatures que l’humanité a inventées parfois au point de massacrer pour elles.
L’humain s’empare de ce qu’il peut connaître de Dieu et le pousse à des extrémités qui nous effraient. Cela va jusqu’au point de massacrer au nom de ce qui est finalement une caricature de Dieu pour protester contre une autre caricature !
Les manifestations divines au moment du baptême de Jésus sont uniques dans le Nouveau Testament. A ce moment comme à aucun autre, les manifestations extraordinaires de Dieu entrent dans les gestes humains et terriens. Le ciel s’ouvre. L’Esprit Saint intervient en descendant sur Jésus comme une colombe. Une voix se fait entendre du ciel. Dans cette scène, ce qui est divin est spectaculaire et ce qui est humain est ordinaire. Et la voix de Dieu réunit les deux dimensions : « Tu es mon Fils bien-aimé ; je mets en toi toute ma joie. » [Mc 1,11]
Marc veut montrer ici que la personne de Jésus est désignée comme le Fils bien-aimé. C’est ici, à quelques lignes du début de l’évangile, que Marc annonce et souligne que Jésus est le visage de Dieu sur terre. C’est en le connaissant lui, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, que les croyants rencontreront le visage de Dieu.
Parce qu’il est le Fils bien-aimé de Dieu, Jésus offre aux humains d’entrer en relation avec Dieu dans ce qui fait leur humanité. Notre foi ne nous enlève pas au monde. Notre foi nous invite à une autre expérience de la relation aux autres. Notre foi nous invite à une autre expérience de la relation au monde.
Et dans notre manière d’entrer en relation avec les autres et avec le monde, nous donnons un reflet de cette Vie qui est plus grande que notre existence. Dans la manière dont nous sommes au monde, nous reflétons la Vie de Dieu.
En introduction j’évoquais 20 morts. Ce chiffre inclut les auteurs des massacres et prises d’otages en France cette semaine. C’est un malheur que les auteurs soient morts dans les événements eux aussi. C’est un malheur parce que nous avons aussi perdu la relation avec eux. Nous avons perdu la possibilité de les confronter à leurs actes. Nous avons perdu la possibilité de les confronter au malheur des proches des victimes. Nous avons perdu la possibilité de les confronter à une justice proportionnée.
Nous n’avons plus la possibilité d’être pour eux reflets de la Vie de Dieu.
Nous sommes appelés à vivre et à porter le visage de Dieu sur terre. Nous ne pouvons le faire que totalement, avec tout ce que nous sommes. Nous ne pouvons le faire que modestement, toujours à l’écoute de ce qui nous bouscule dans la manière dont Dieu se montre.
Tout à l’heure en vous approchant de la table de la Sainte Cène, vous pourrez vous apercevoir dans le miroir. Ces reflets sont les visages de Dieu sur terre, modestes et à son image.
Je reviens pour conclure à deux phrases du texte du prophète Esaïe.
L’une dit :
« Tournez-vous vers le Seigneur, maintenant qu’il se laisse trouver. Faites appel à lui, maintenant qu’il est près de vous. » [Es 55,6]
Le Seigneur est accessible. Le Seigneur se donne à connaître. Il le fait en Jésus dans le concret de notre humanité.
Et cela se trouve en tension avec la deuxième phrase d’Esaïe que je rappelle :
« En effet, dit le Seigneur, ce que je pense n’a rien de commun avec ce que vous pensez, et vos façons d’agir n’ont rien de commun avec les miennes. » [Es 55,8]
Lorsque le Seigneur ne nous étonne plus, lorsqu’il ne nous interpelle plus parce que nous savons trop bien ce qu’il veut, méfions-nous et remettons-nous à son écoute. Cela aussi est une attention à exercer jour après jour.
Amen.
Prière d’intercession
Seigneur,
Viens mettre en nous la vie et l’espérance.
Tu nous donnes la foi qui nous permet de tenir pour certaine la réalité de ce que nous ne voyons pas encore.
Donne-nous d’animer cette espérance pour notre monde.
Que là où nous sommes et là où nous allons, nous puissions être celles et ceux qui éveillent l’espérance.
Accompagne et renforce le courage de toutes les personnes qui vont de l’avant et qui croient en l’avenir de l’humanité. Que ton esprit et ta présence leur donnent raison.
Accompagne et redonne courage à celles et ceux qui ont déjà tout donné et qui se sentent trop faibles pour continuer à lutter. Deuil, maladie, découragement ou difficultés ôtent le courage de vivre à trop de monde. Donne-leur ton esprit et ta force pour que l’espérance leur revienne.
Seigneur, nous te remettons notre monde et le souci que nous nous faisons pour lui. Souvent, nous nous sentons incapables ou trop faibles pour agir. Manifeste ta présence. Montre-nous le chemin.
Nous te prions pour les familles en deuil.
Nous pensons spécialement aux proches des victimes des attentats en France.
Nous te prions pour les chrétiens persécutés et pour tous ceux qui sont maltraités à cause de leurs idées.
Seigneur, merci parce que au-delà de toutes ces choses qui nous obscurcissent la vue, tu maintiens vivante en nous l’espérance que ton Royaume vient.
Ton Royaume est là. Nous y goûtons déjà à ta présence. Merci Seigneur.
Amen.