Lecture de la Bible
Prédication
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.
(…)
Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. » (Jn 1,1.18)
J’aime Thomas.
Je sais bien que Thomas n’a pas la meilleure réputation de tous les disciples. Thomas, c’est le douteur, celui qui ne fait pas confiance à la parole de ses amis. Le témoignage des autres disciples ne suffit pas à le faire sauter de joie. Il lui en faut plus pour être sûr que Jésus est bien ressuscité.
Thomas, c’est l’homme du voir et du toucher. Je trouve que cela fait du bien de rencontrer de temps en temps quelqu’un qui peut nous faire comprendre les choses différemment.
Je me sens proche de lui. J’aime sa manière de mettre en jeu sa foi et cela me réjouit de voir que Jésus reconnaît en lui un croyant. Thomas est même la seule personne de tout l’évangile de Jean à dire de Jésus « mon Seigneur et mon Dieu ».
Thomas est pourtant celui qui n’était pas là au moment crucial. Même quand on vit très proche les uns des autres comme les disciples, il arrive qu’on ne soit pas là au moment important. Surtout lorsque celui-ci n’a pas lieu à un moment précis, sur rendez-vous.
Le début du texte que nous venons d’entendre, c’est la Pentecôte dans l’évangile de Jean. C’est l’instant où se fait le passage entre la présence terrestre de Jésus et sa présence sous une autre forme après la résurrection. C’est le moment où Jésus ressuscité donne l’Esprit aux disciples pour qu’ils aient la force d’entreprendre ce que Dieu leur demande. Tout cela s’est passé, pour Jean, le jour même où Jésus a été relevé d’entre les morts.
Comment s’est senti Thomas ce jour-là ? Ceux d’entre nous qui font partie d’un comité ou d’un conseil savent bien ce que cela peut être de manquer la réunion cruciale : c’est un peu comme si la décision n’avait pas été prise ou comme si l’événement n’avait pas eu lieu. On se sent hors du coup. Voilà exactement ce qui est arrivé à Thomas. Il était absent quand, au soir de la résurrection, Jésus a donné son soutien à ses amis.
Et ce pauvre Thomas va devenir pour tous les lecteurs du Nouveau Testament et pour les personnes issues d’une culture chrétienne le symbole du douteur, de celui qu’on montre du doigt parce qu’il a eu besoin de voir et de toucher pour croire à la résurrection de Jésus. Cela a même fait dire à la chanson : « si tu ne crois pas Thomas… demain tu mourras. »
Celui qui doute voit sa place menacée dans le groupe des croyants. Comment peut-on vivre de la vie de Dieu et prétendre l’annoncer autour de soi si l’on doute ?
Celui qui doute est un mauvais exemple. Cela apparaît déjà dans le Nouveau Testament lui-même. On l’a entendu dans l’épître de Jacques : « (…) celui qui doute ressemble à la houle marine que le vent soulève. Que ce personnage ne s’imagine pas que le Seigneur donnera quoi que ce soit à un homme partagé, fluctuant dans toutes ses démarches. » (Jc 1,6b-8)
Et voilà Thomas indirectement condamné par l’épître de Jacques. Celui qui doute est un homme partagé qui fluctue dans toutes ses démarches. Celui qui doute est non seulement quelqu’un qui n’a pas confiance en la parole de l’autre, mais en plus, on ne peut pas lui faire confiance non plus. On ne peut pas s’appuyer sur quelqu’un qui se laisse ballotter comme les vagues soulevées par le vent.
Pour décrire le douteur, l’épître de Jacques utilise le mot grec « dipsuchos » qui se traduit « à l’âme double ».
Cet homme à l’âme double est un tordu. Il utilise les autres et Dieu pour son profit. Il change d’avis selon ce qui l’arrange. Il ressemble aux hypocrites souvent critiqués par Jésus dans l’évangile de Matthieu.
En se basant sur ce portrait de l’homme qui doute que nous fait l’épître de Jacques, l’image de Thomas se ternit encore.
Mais en regardant de plus près le texte de l’évangile de Jean, on s’aperçoit que Thomas n’est pas du tout comme cela.
Il ressemble bien plus à l’auteur du Psaume 13 qui demandait: « Jusqu’à quand Seigneur ? M’oublieras-tu toujours ? Jusqu’à quand me cacheras-tu ta face ? »
Il n’est pas un homme à l’âme double. Il est simple. Etre simple comme Thomas, ce n’est pas être bête, selon la nuance que nous mettons en général dans ce terme, comme pour Simplet dans Blanche-Neige.
Il est simple par opposition à celui qui a l’âme double, justement.
Il est simple par opposition à l’hypocrite.
Il est entier.
Thomas n’est pas le mauvais exemple de celui qui doute.
Il est celui qui cherche à comprendre, qui a besoin de s’impliquer. Par là même, il est un témoin qui peut nous aider par son récit des événements à croire à notre tour.
Nous sommes tous dans la même situation que Thomas, dans le sens où c’est à d’autres que nous que Jésus est apparu. C’est par les récits de ces autres que nous avons appris la nouvelle et que nous sommes invités à croire.
Quand nous trouvons que c’est difficile de croire à quelque chose d’aussi incroyable que la résurrection, nous pouvons penser à Thomas : même parmi les disciples, et en plus le jour même de la résurrection, c’était déjà difficile de croire quelque chose d’aussi extraordinaire. Déjà le jour de la résurrection, il s’est trouvé quelqu’un dans notre situation. Il a dû se positionner par rapport au témoignage d’autres personnes qui avaient vécu une expérience leur donnant une conviction sur la présence de Dieu en Jésus dans notre monde. Cette conviction leur permet d’affirmer : « nous avons vu le Seigneur ».
Ils témoignent de ceci : le crucifié est ressuscité. Il est vivant. Il nous offre sa force, son Esprit pour sentir la présence de Dieu, pour en profiter, pour en être encouragés.
Jésus est la présence du Dieu vivant. Il nous rejoint dans nos angoisses et dans nos enfermements. Les disciples avaient fermé toutes les portes à clé dans la maison où ils se trouvaient. Pourtant, Jésus a tout d’un coup été présent parmi eux. Il leur a parlé, et il a même mangé avec eux.
Leur peur les avait incités à s’enfermer et à rester entre eux. Et Jésus vient dans leur enfermement pour les inviter à sortir, à se tourner vers l’extérieur et vers les autres.
Ce n’est vraiment pas étonnant qu’ils croient, eux. Si l’un d’entre eux s’était mis à douter, on aurait pu dire qu’il était quelqu’un à l’âme double. Quelqu’un qui devant l’évidence maintient quand même son doute parce qu’il s’imagine que cela va lui profiter.
Thomas, au contraire, est le disciple qui va nous dire, par ce qui lui est arrivé, que Jésus rejoint les humains non seulement dans leurs enfermements, mais même dans leurs absences. Thomas n’était pas là au moment crucial, mais c’était quand même important qu’il croie. Et il va être rejoint par le ressuscité.
Jésus ne lui interdit pas de croire après son doute. Il lui fait bien le reproche d’avoir eu besoin de beaucoup d’évidences pour admettre la réalité, mais il ne déclare jamais nulle la foi de Thomas. Jésus déclare heureux ceux qui n’auront pas eu besoin de le voir vivant pour le croire vivant et pour le savoir capable d’agir dans la vie de ceux qui mettent leur confiance en Dieu.
Car la foi de Thomas a été acceptée par Jésus. Dans l’évangile de Jean, sa foi devient même exemplaire. Et malgré cela, nous nous souvenons de Thomas comme du douteur.
Sa foi est pourtant exemplaire, parce qu’il est le seul dans tout l’évangile de Jean à affirmer que Jésus est Dieu. Tout est dans cette exclamation qu’il pousse au moment où Jésus lui parle : « mon Seigneur et mon Dieu ». Cette exclamation de foi se trouve presque à la fin de l’évangile de Jean. Elle renvoie le lecteur aux tout premiers mots du texte : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. » Et à peine plus loin:
« Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. » (Jn 1,1.18)
Dans les moments où comme les disciples nous nous enfermons en espérant nous protéger des menaces extérieures, dans les moments d’absence, comme celle de Thomas, Dieu peut et veut quand même nous rejoindre en Jésus ressuscité.
Il ne nous abandonne pas à notre situation de mort.
Il vient nous apporter la vie.
Il vient nous aider à retrouver la vie.
C’est un cadeau qui nous est fait, et c’est aussi une responsabilité qui nous est confiée : faire quelque chose de beau de cette vie reçue de Dieu et du ressuscité.
C’est ce qu’exprime José Calderon Salazar, un journaliste du Guatemala dans ce texte sur lequel je conclus. (lire deux fois)
« Ni moi ni personne
ne sommes menacés de mort.
Nous sommes menacés de vie,
menacés d’espérance,
menacés d’amour.
Nous ne sommes pas menacés de mort.
Nous sommes menacés de résurrection. »
Amen.
David Allisson – 7 avril 2013