Message du 28 juillet 2019 à la Côte-aux-Fées, par Sébastien Berney
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Lecture Mathieu 4, 1-11
Prédication
Quel beau duel ! On pourrait même imaginer une petite musique de Morricone… En tout cas, le décor y est : la chaleur du désert, la faim, la confrontation face contre face. Alors oui, on pourrait dire quel beau duel ! D’autant plus qu’avec seulement trois balles, notre héros préféré vient facilement à bout du méchant…
Belle victoire en effet… Mais il me semble que s’arrêter là serait réducteur. Le texte que nous avons lu ce matin, je crois, n’est pas là pour nous faire l’apologie d’une magistrale victoire des forces du bien sur les forces du mal, ni de la magie blanche contre la magie noire. Plus important qu’une victoire, je crois que ce texte se veut parler à nos existences d’êtres humains. Ce n’est pas les possibilités magiques du texte qui me parlent, mais bien plutôt son sens pour ma vie. Et ce sens pourrait être le suivant :
Le vrai pouvoir, c’est d’être au service d’autrui, et non pas de chercher à dépasser ses limites !
Revenons au décor et pour bien le comprendre, je vous propose de mettre de côté nos rêves de western spaghetti.
« Jésus fut conduit par l’Esprit au désert ». C’est donc bien Dieu et non pas le diable qui emmène Jésus dans ce lieu de réflexion et de souffrance… Ici le désert peut être compris comme révélateur. Ce n’est pas dans nos rêves d’un avenir meilleur que Dieu veut nous parler, mais bien plutôt dans notre réalité quotidienne. Dieu veut nous parler au cœur de nos vies, avec toutes les souffrances, les fatigues, les épreuves qui la composent. Dieu nous emmène au désert, car c’est là, au cœur de la simple et difficile existence qu’il a quelque chose à nous dire.
Passons maintenant au thème et au terme que nous attendons depuis le début, celui de la tentation. Derrière ce mot, plusieurs sentiments se mélangent. Un peu de répulsion, mais soyons honnêtes avec nous-même, également un peu d’attrait.
Notre monde est un monde de tentations. La tentation fait vendre, elle motive, elle est le moteur de toutes nos ambitions, que ces dernières soient bonnes ou mauvaises. Certains diront, la vie dans le monde est une tentation permanente. Réfléchissez à toutes les tentations qui vous traversent l’esprit pendant une journée, elles sont infinies. Certaines sont louables, d’autres beaucoup moins… Et maintenant comparer ces infinies tentations à ce qui se passe dans notre texte…
C’est là que je m’arrête et que je dis, il y a tentation et tentation. Le fait de saliver devant une publicité n’est pas l’enjeu de notre texte… Encore moins celui de rester au lit un dimanche matin pluvieux… La tentation dont parle notre texte de ce matin est bien plus que cela, elle met en jeu notre existence toute entière, et par ce chemin notre relation à Dieu. Laissons donc de côté nos petites tentations de tous les jours, qui soit dit en passant me plaisent énormément, et prêtons plutôt attention au sens de notre existence face à la tentation qui nous est révélée ici.
«Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. Mais il répliqua : il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toutes paroles sortant de la bouche de Dieu ».
Nous sommes avides d’interventions, il faut agir… N’y a-t-il pas danger quand cette avidité s’empare de notre foi, de notre espérance ? Notre réalité est parfois aride comme le désert, notre faim de mieux vivre nous tiraille bien souvent. Le tentateur l’a bien compris… Mes pauvres, vous souffrez… Faites donc intervenir Dieu dans votre malheur, et tout ira pour le mieux… A cette soif d’interventions magiques, les paroles de Jésus nous proposent autre chose, et cet autre, c’est peut-être l’art de l’écoute… Ecouter au lieu d’agir. L’écoute plutôt que l’action, une réflexion qui vaut la peine d’être méditée, que ce soit dans ma relation à Dieu, mais je crois aussi, dans nos relations aux autres…
«Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t’éviter de heurter du pied quelque pierre. Jésus lui dit : il est aussi écrit : tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu».
Facile à dire. Par contre, difficile à être sincère en le disant… Surtout quand on lit le psaume 91… Pour ma part, je me vois bien chuter et être récupéré par de gentils petits anges pour m’endormir profondément dans un lit de plumes bien douillettes… Le rêve… Surtout que pour Dieu cela ne doit pas être un effort terrible… Et en plus, il nous l’a promis, nous l’avons lu ce matin…
Mais voilà, tout cela le tentateur l’a compris mieux que nous je pense… Les paroles de Jésus ne doivent pas être comprises comme une négation de la promesse, mais plutôt comme un appel à y croire encore plus sans forcément en demander des preuves. Y croire profondément… Y croire profondément c’est peut-être ne pas avoir besoin de faire agir Dieu à tout vent. Y croire profondément c’est peut-être rester humble… Au lieu de succomber à l’envie de faire agir Dieu, essayons de rester humble dans notre foi en la promesse. Face au besoin d’action, réfléchissons au rôle de l’humilité dans notre relation à Dieu et aux autres.
« Tout cela je te le donnerai si tu te prosternes et m’adores. Alors Jésus lui dit : Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte ».
C’est une réponse à la tentation suprême, celle de remplacer Dieu. Dans ma relation à Dieu, je m’élève en dessus de lui… Dans ma relation à l’autre, je m’élève au rang de Dieu… Besoin de reconnaissance et d’influence universelle, voilà bien la tentation de remplacer Dieu. Si je cède à cette tentation, je fais violence à ma qualité d’être humain toute entière. Je détruis l’autre et me détruis par la même occasion. Vouloir dépasser l’humain, c’est lui faire violence. A cela, Jésus répond par la simple foi, la vraie foi, celle qui permet l’écoute, l’humilité et dans un troisième temps la venue du Royaume au rythme qui est le sien. Au lieu de prendre la place de Dieu, notre texte nous propose la simple foi en la promesse… C’est dans les limites de mon humanité que la promesse du Royaume doit prendre place…
Notre texte nous propose un Jésus victorieux face au tentateur. C’est vrai, mais arrêtons-nous un moment sur son comportement.
Plusieurs possibilités s’offrent à nous dans l’interprétation de ce comportement. On peut y voir un Jésus qui se veut anti-magie, cela, dans le but de contrer les juifs de son époque qui le traitent de simple magicien. Ou alors, toujours dans le même sens, pour l’évangéliste Mathieu, de combattre la tendance à demander toujours plus de miracles dans les églises… Une autre interprétation serait la suivante : créer une polémique contre les juifs pour montrer que les chrétiens ont un Seigneur qui a résisté à la tentation dans le désert, – lui…
L’interprétation qui m’interpelle le plus est la suivante : Jésus n’est-il pas en train de nous montrer que sa vraie divinité se trouve dans sa capacité à vivre pleinement son humanité, sans magie, sans miracle. Jésus est le messie… Mais il est aussi le Fils de l’homme… Face au tentateur, Jésus reste dans le cadre de son humanité. Face à la tentation, sa réponse est celle de l’écoute et de la parole… Ni miracle, ni magie… Mais plutôt une obéissance vouée au service de son père… Tout en étant divin, c’est avec les armes de son humanité qu’il répond aux violences de la tentation. Violence de prendre le pouvoir sur l’autre, que cet autre soit Dieu ou son prochain, et de cette manière, essayer de transcender son humanité.
Pour vous et moi maintenant, je crois qu’il nous est proposé la même chose… Notre relation à Dieu, comme notre relation à l’autre, doit être basée sur l’écoute, sur l’humilité et sur la foi… La tentation est forte de prendre le pouvoir sur l’autre, que ce soit par l’intervention, par l’action ou par le remplacement. Jésus nous fait découvrir dans ce texte, là où se trouve le vrai pouvoir, c’est-à-dire dans le service du père et du prochain, cela en restant dans les limites de notre humanité.
Dans le psaume que nous avons lu, une promesse de protection nous est offerte. J’ose y croire, même dans les moments difficiles… La compréhension de cette promesse m’échappe bien souvent, mais voilà j’ose y croire… Fort de cette parole, il me reste à suivre l’exemple de Jésus, lui le messie et le fils de l’homme. Lui qui face à la tentation du pouvoir absolu, me dit, grâce à de simple parole, la chose suivante : le vrai pouvoir réside dans le service et le respect d’autrui, et non pas dans le dépassement, toujours demandé par mon environnement, de mes propres limites… Les limites de mon existence humaine.
Gardons cela à l’esprit, nous qui sommes si facilement tenté, dans le sens profond du terme, mais qui à notre tour devenons également très facilement tentateur face à notre entourage.
Amen