S’ils se taisent, les pierres crieront – prédication des 13-14 avril 2019

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Culte des Rameaux, 13 avril 2019 – Môtiers, 14 avril 2019 – Les Verrières

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Lecture de la Bible

Zacharie 9,9-10
Luc 19,29-40

Prédication de David Allisson

Vous avez remarqué ? Le texte des Rameaux, dans l’évangile selon Luc, il ne parle pas une seule fois de… Rameaux !

Si la tradition de l’Église avait nommé l’entrée de Jésus à Jérusalem en suivant l’évangile de Luc, cela aurait été rock’n’roll : pas tout à fait les rolling stones, mais quand même les pierres qui crient !

En fait de rock’n’roll, c’est une peu comme ça que ça commence, cette histoire. Jésus fait ses caprices de star : allez me chercher une monture, un âne qui n’a jamais servi. Je ne me contenterai pas d’un véhicule d’occasion. C’est le jour de mon triomphe, après tout !

C’est un peu Jésus Christ superstar : les disciples crient : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire à Dieu ! »

Et ça a l’air de marcher : les quelques Pharisiens qui se trouvaient dans la foule sont impressionnés. Ils sentent que cela risque de se compliquer pour eux. Alors ils interviennent auprès de Jésus pour lui demander de calmer ses amis avant qu’il n’y ait besoin de faire intervenir le service d’ordre : « Maître, ordonne à tes disciples de se taire. »

Et voilà l’entrée en scène des pierres qui crient. Avant vendredi saint et Pâques, pour un peu, nous aurions célébré le dimanche des pierres qui crient.

« Je vous le déclare, s’ils se taisent, les pierres crieront ! »

[…]

Et ils ont fini par se taire, les disciples, vous le savez bien. Dans le calendrier liturgique, nous sommes à moins d’une semaine de vendredi saint. Et les cris de joie des disciples à la gloire de Jésus le roi envoyé au nom du Seigneur auront fait place aux insultes et aux appels au meurtre. Et si ce n’est pas au meurtre, c’est à la condamnation à mort. C’est plus officiel, mais le résultat est le même.

Avec les disciples, les habitants de Jérusalem et les passants de ce jour-là, nous sommes prêts à nous laisser impressionner et influencer. Nous voilà prêts à acclamer un roi, une star, un messie, une vedette de l’humanitaire, de l’engagement, de la guérison ou des pensées bonnes.

« Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire à Dieu ! »

C’est la vie que nous acclamons et nous sommes heureux d’être de la fête.

L’âne sur lequel Jésus est monté n’est pas seulement l’objet d’un caprice de star, même si un âne plutôt qu’un cheval c’est un peu faire le pauvre. Cet âne ressemble à celui sur lequel montaient les rois d’Israël pour leur sacre. Notamment dans le premier livre des Rois (1R1,32-33), Salomon qui sera le roi symbole de sagesse et de richesse avance vers son couronnement sur une mule. Et si les cris joyeux de la foule ont remplacé pour Jésus la trompette qui avait joué pour Salomon, les paroles se ressemblent : « vive le roi Salomon ! ». Et pour Jésus : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! »

La mule était vue comme une monture pacifique. Les chevaux portent des guerriers ou tirent des chars de guerre. Le roi qui va vers son sacre monté sur une mule est un roi qui annonce et prépare la paix.

« Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire à Dieu ! »

Et on est fier de jeter son habit sous les pattes de la monture du roi de paix. Il laissera un peu de sa présence et de son aura sur les habits qu’il aura touchés, un peu comme si on avait obtenu un autographe de la star.

C’est la joie, les cris et les acclamations. Les pierres se taisent.

Et tout d’un coup, c’est le silence. Les pierres se taisent encore pour un moment.

Quelqu’un a lancé une tomate. Puis une autre qui l’éclabousse ! Et c’est une pluie de projectiles soutenus par des gestes hostiles et des insultes.

Les gardes du corps d’éparpillent. On n’entend déjà plus le silence des pierres et pas encore leurs cris.

On entend mieux les mots qui deviennent peu à peu des vociférations, de plus en plus fort jusqu’à vendredi saint : « Crucifie-le ! Crucifie-le ».

Les disciples et la foule ont crié : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire à Dieu ! »

S’ils se taisent, les pierres crieront.

[…]

Nous ne sommes pas bêtes. Nous ne nous laissons pas tromper si facilement. Chaque année, le carême revient et nous savons bien que la fête de la vie qu’est Pâques, c’est le troisième jour suite à la catastrophe.

S’ils se taisent, les pierres crieront.

Les disciples se sont tus et ce sont les clous des bourreaux qui ont fait crier les suppliciés.

Les disciples se sont tus et le roi qui venait d’entrer en ville sur une mule, sur un petit âne bien choisi, ce roi est torturé, condamné et exécuté devant des amis silencieux ou renégats.

Alors, voilà, Seigneur, les disciples se sont tus. Elle se tait souvent, Seigneur, l’Église de tes enfants.

Les pierres crieront. Elles crient déjà, les pierres.

Elles demandent la justice.

Elles demandent la vie.

Elles demandent la paix.

Les pierres crient quand des enfants sont meurtris, quand des grands maltraitent des petits.

Les pierres crient, et crions avec elles, quand une foule est visée, quand une bombe tue des civils.

Les pierres crient quand un peuple demande en Algérie une meilleure vie et un gouvernement pour le peuple au lieu d’un gouvernement qui prend le peuple à son service.

Les pierres crient quand la justice suisse punit la solidarité comme un délit.

Les pierres crient quand les jeunes dans toute l’Europe demandent que leurs gouvernants agissent pour le climat et qu’on leur répond que c’est plus compliqué que ça et qu’on a bien des problèmes à prendre en compte.

Les pierres crient avec celles et ceux qui sont meurtris par la maladie.

Les pierres crient la solitude des endeuillés qui ressentent l’absence jusqu’au fond d’eux-mêmes.

Les pierres crient l’appel à la vie que voudraient dire celles et ceux qui ne voient que des limites à leur existence et qui n’en trouvent pas le sens.

Les pierres crient et nous voulons crier avec elles, comme cette prière :

Oui, les pierres crient.

Et avec elles, nous voulons donner de la voix.

Parce que nous croyons que le mal n’est pas une fatalité.

Que toute espérance n’est pas vaine.

Et qu’en toi, Dieu, notre confiance est renouvelée.

Amen

[Les pierres crient.prière en lien avec Luc 19,40 – Diane Friedli]