Se faire ouvrir une espérance

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Lecture biblique:

Luc 14,25-33

Prédication de David Allisson, 8 septembre 2013:

J’ai aimé raconter quelques fois au catéchisme une histoire de mon propre catéchisme. J’avais les rencontres de caté le même soir que l’entraînement de foot et les horaires des deux activités faisaient que j’arrivais avec un copain footballeur toujours une dizaine de minutes en retard à la rencontre de catéchisme.

Bon, maintenant que je suis animateur des rencontres de catéchisme, je vois mieux les désagréments d’avoir systématiquement les mêmes catéchumènes en retard, avec dérangement du groupe, rires et besoin de demander le calme pour pouvoir continuer l’activité. Mais c’est une autre histoire.

J’arrivais donc toujours en retard et le pasteur en a eu assez. Il nous a demandé à mon copain et à moi, de nous décider et de choisir entre le foot et le catéchisme parce que cela ne pouvait plus continuer comme cela.

Mon copain et moi, nous nous sommes assis pour réfléchir et examiner la situation. Je ne me souviens plus de tout le raisonnement, mais j’ai répondu au pasteur, que j’avais choisi et que je préférais continuer le foot plutôt que le catéchisme.

Mal m’en a pris.

Il s’est fâché parce que je n’avais pas fait le bon choix.

Je ne me souviens plus bien du détail des discussions ni des arrangements, mais j’ai fini par continuer le catéchisme et aussi le foot.

N’empêche, mon pasteur de catéchisme aurait bien voulu l’exclusivité de mon engagement. C’est en tout cas comme cela que je me rappelle de cette histoire.

Est-ce qu’il y un peu de la même chose dans les textes d’aujourd’hui ?

Jésus demande à celui qui veut le suivre de haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre personne.

Oui, j’ai dit « haïr » et le texte lu disait « préférer Jésus à » sa famille et à soi-même. Nous avons reçu les textes des évangiles en grec et le sens du mot est, en grec, aussi fort que « haïr ». Cela fait un peu sectaire, non ? L’engagement sectaire demande aux membres du groupe de couper les ponts avec leur famille, leurs amis et tout ce qui pourrait détourner l’attention de l’adepte.

Entre nous, j’espère qu’il s’agit d’autre chose, dans ce que Jésus demande à ceux qui veulent le suivre.

Pourtant, c’est exactement ce qu’on peut entendre parfois aujourd’hui : les croyants se privent de toutes sortent de choses qui font que la vie est belle pour s’obliger à croire des choses invraisemblables. Les croyants s’obligent à faire des choses dont on se passerait bien.

Si on s’arrête et qu’on y réfléchit un peu, on reprend sa vie sans rien y changer. Etre croyant m’obligerait à faire toutes sortes de choses qui vont me priver des plaisirs de la vie. Je verrai bien plus tard si je change d’avis dans une situation où j’aurais besoin de croire en Dieu ou en Jésus.

Et ils étaient les mêmes que nous, ces gens à qui Jésus demande de le préférer, lui Jésus, à leur famille et même à leur propre personne.

Alors pourquoi Jésus poserait-il une aussi grande exigence tout en proposant à ces gens qui le suivent de s’arrêter et de s’asseoir pour réfléchir à ce que cela implique de la même manière qu’au moment de construire une tour on s’assied d’abord pour évaluer la dépense et vérifier qu’on en a les moyens ?

Pourquoi Jésus poserait-il une aussi grande exigence tout en proposant de vérifier les enjeux de la même manière qu’un roi qui veut partir en guerre contre un autre roi vérifie qu’il a bien des chances de succès même s’il a dix mille hommes alors que son adversaire en a vingt mille ?

Vous vous souvenez de l’horrible meurtre de Marie, tuée par un récidiviste en mai dernier dans la région de Payerne. Toute la Suisse romande a été secouée par cette triste et tragique histoire. Il se trouve que le père de Marie, que je ne connais pas, est pasteur dans l’Eglise Réformée Vaudoise.

Je ne sais pas encore très bien quoi penser du texte que ce père a écrit et qui a été publié dans le journal Le Temps ce vendredi :

« Survivre ? C’est vivre avec ce quelque chose en plus qui change tout : l’espérance. Et recevoir d’en haut et des autres la force d’aimer. »

Il ne parle pas d’aimer l’auteur du meurtre. Vis-à-vis de lui, il dit que lui et sa famille se sont refusés à la haine. La force d’aimer, pour eux, je peux m’imaginer que c’est se soutenir et s’encourager les uns les autres pour continuer à vivre.

Je redis cette phrase du père de Marie.

« Survivre ? C’est vivre avec ce quelque chose en plus qui change tout : l’espérance. Et recevoir d’en haut et des autres la force d’aimer. »

Je trouve cette attitude très forte et en même temps humainement impensable : comment ne pas se laisser emporter par la douleur et la haine au moment d’un acte aussi atroce ?

Je ne le comprends pas.

Ce père a dit à plusieurs reprises que lui, son épouse et leur autre fille avait fait le choix de refuser de se laisser salir le cœur par la haine.

Je sais qu’il y a parmi vous des personnes qui ont une expérience du malheur plus vive que la mienne. Je ne sais pas ce que vous avez pu vivre et à quoi vous en êtes.

Quant à moi, si je m’assieds et que je réfléchis, comme le suggèrent deux parties du texte que nous avons lu, je trouve que l’attitude de ce père est une guerre contre la haine à laquelle j’aurais sûrement renoncé. Je ne me sens pas armé pour vivre l’espérance au lieu d’un combat contre les responsabilités mal assumées dans un tel drame.

Si je m’assieds et que je réfléchis, j’ai l’impression que l’amour des proches et l’espérance que je peux recevoir de Dieu ne me suffiront pas à construire une tour qui tienne au-delà de révolte et de la haine devant ce Mal impensable.

Je préfère être raisonnable et renoncer.

Et vous ?

Elle est difficile, cette question, non ?

Refuser la haine ?

ou

Se fâcher contre ce meurtrier apparemment sans sentiment et contre le système qui a permis qu’il se retrouve en liberté ce printemps ?

Vous éprouvez vos propres sentiments. Vous avez vos propres réactions devant cela.

Mais franchement : c’est la même chose pour ceux qui ont entendu l’évangile de Luc pour la première fois. Le passage commence avec cette phrase qui dit qu’une foule immense faisait route avec Jésus. Tout le monde le suit. Et, à ceux qui veulent le suivre plus loin, Jésus va leur poser une exigence qui devrait tous les faire renoncer.

Ceux qui entendent l’évangile de Luc en savent assez sur l’histoire de Jésus pour savoir que cette route que Jésus est en train de suivre le mène à Jérusalem. Et à Jérusalem, Jésus a été torturé, condamné à mort et exécuté.

Cette phrase de Jésus dit à ces personnes qui l’écoutent que s’ils ne peuvent pas se détacher assez de tout ce qui fait leur vie, ils ne pourront pas le suivre jusqu’au bout. Parce que s’ils le suivent jusqu’au bout, il vont l’accompagner dans ces moments où Jésus sera maltraité et ils seront sûrement maltraités eux-aussi.

Alors quand il leur dit de réfléchir et d’évaluer la situation, c’est comme s’il leur disait qu’avec les informations dont ils disposent et les moyens qui sont les leurs, ils ne peuvent pas raisonnablement décider de le suivre.

Suivre Jésus c’est quelque chose qui n’est juste pas possible avec les moyens dont nous disposons. Ceux qui le font, ce n’est pas grâce à leurs capacités, leurs forces ou leur bon vouloir. Ils reçoivent les capacités de vivre cet engagement de la part de Dieu lui-même.

La famille de Marie qui peut dire des paroles d’espérance reçoit des forces qui sont plus grandes que les ressources qu’ils ont naturellement en eux.

Leur engagement à refuser la haine n’est juste pas possible sans une force de paix et d’amour qui vient d’ailleurs.

Peut-être que c’est pour cela que je me sens révolté et plein de haine pour ce meurtrier. Je ne suis pas assez touché au cœur de ma vie pour reconnaître que la force de refuser la haine et ma paix intérieure devant une telle situation, je ne peux pas les trouver en moi, mais j’ai besoin de les accueillir d’ailleurs, de plus grand que moi, de plus fort que moi.

Au catéchisme, ce n’est pas toujours aussi fort et difficile que dans l’histoire de Marie et de sa famille.

Il y a quand même peut-être des ressemblances.

Par exemple, on ne sait pas toujours très bien de manière raisonnable et réfléchie pourquoi on s’inscrit au catéchisme. Dans la famille cela se passe comme ça. Ou bien, je me suis posé des questions sur Dieu et j’aimerais bien voir si j’y trouve quelques réponses. Ou encore, c’est important de faire son catéchisme mais je ne sais pas très bien pourquoi j’ai cette idée-là. Cela peut bien sûr être aussi plus affirmé : je crois en Dieu et j’aimerais approfondir cela.

Mais vous voyez bien qui est là aujourd’hui. Beaucoup réfléchissent un peu et trouvent que cela ne vaut pas la peine de s’investir dans une activité comme le catéchisme.

Vous vous êtes peut-être vous aussi demandés si cela en valait vraiment la peine.

Comme d’autres avant vous ont pu l’expérimenter et le dire, je crois que oui.

Et ce n’est pas forcément par tout ce que nous avons pu y mettre de nous mêmes. C’est par ce que nous avons reçu d’ailleurs. Ce que nous avons reçu d’un plus grand que nous, cela nous a permis d’ouvrir notre espérance et de faire face à des choses dans nos vies dont nous aurions pu croire jusque là qu’elles allaient nous détruire.

Cela, je crois que c’est suivre Jésus.

Cela, je crois que c’est vivre grâce à Dieu.

Suivre Jésus, vivre grâce à Dieu, c’est vivre en sachant que nous avons besoin de plus que nous-mêmes pour avoir les ressources d’aimer et d’espérer.

C’est Jésus, c’est Dieu qui ouvre l’espérance de nos vies. C’est de Lui que nous recevons la paix jusqu’au plus profond de nous-mêmes.

Amen.