Culte radiodiffusé à écouter ou télécharger ici
Lecture biblique: Evangile de Luc, chapitre 10, versets 1-20
Prédication du dimanche 7 juillet à la Côte-aux-Fées
« Le Royaume de Dieu s’est approché de vous » Luc 10,9.11
Jésus envoie 72 disciples pour aller préparer le terrain à sa venue. Dans la première partie du texte, nous reconnaissons plusieurs expressions qui sont entrées dans le langage de notre culture : une grande moisson avec peu d’ouvriers, l’envoi des messagers comme des agneaux au milieu des loups, le non équipement des disciples – pas de bourse, pas de sac, pas de chaussures –, le souhait de paix et enfin : la poussière secouée des chaussures en cas de mauvais accueil.
Je laisse de côté ces expressions familières qui mériteraient sans doute d’être reprises et réfléchies plus à fond. Je me consacre dans la méditation d’aujourd’hui à ce que devient pour les disciples envoyés cette phrase qui vient comme un refrain :
« Le Royaume de Dieu s’est approché de vous » Luc 10,9.11
« Le Royaume de Dieu s’est approché de vous. » : voilà la raison et le but de l’envoi des disciples. Le Royaume de Dieu s’est approché et c’est le moment de le faire savoir.
Voilà le message qu’ils doivent transmettre là où ils seront reçus et aussi là où ils ne seront pas reçus.
Le Royaume de Dieu s’est approché. C’est encore pour les envoyés la raison de se réjouir. Cela, ils auront un peu plus de mal à y entrer.
Ils voient la joie ailleurs.
Ils préfèrent se remplir de la joie de commander aux esprits mauvais. « Les 72 envoyés revinrent pleins de joie et dirent : « Seigneur, même les esprits mauvais nous obéissent quand nous leur donnons des ordres en ton nom ! » »
Vous avez remarqué comment ils sont remis à l’ordre ? Ils sont pleins de joie d’avoir expérimenté que même le mal leur obéit quand ils lui donnent des ordres au nom de Jésus qui les a envoyés.
Et Jésus leur demande de mieux se conduire.
Ce n’est pas pour dompter le mal qu’il leur a donné force et courage. Ce n’est pas pour devenir montreurs de démons qu’ils ont été choisis.
C’est pour faire passer l’info : Le Royaume de Dieu s’est approché.
Jésus leur faire remarquer qu’au lieu d’être joyeux et fiers de dominer le mal, ils peuvent se réjouir que leurs noms sont écrits dans les cieux. Le fait de dominer le mal n’est pas une occasion de faire la fête, c’est leur mission et cela est rendu possible par le pouvoir reçu de celui qui les envoie.
Il n’y a là rien dont ils peuvent être fiers. Ce n’est pas là leur mérite. Leur seul mérite – ou sujet de joie – est de faire partie de celles et ceux qui sont reliés au cercle de la Vie avec un grand V. Ils font partie de celles et ceux qui sont concernés par ce Royaume de Dieu qui s’est approché. Ils reçoivent la promesse que ce lieu et ce temps où coule la vie, il est pour eux.
Le Royaume de Dieu est là, puisqu’il s’est approché. Le Royaume de Dieu, c’est le lieu et le moment où Dieu se rend présent. Le Royaume de Dieu est là à chaque fois que la Vie est si intense qu’elle s’écrit avec une majuscule parce qu’aussi court que puisse être ce moment, il fait goûter à l’éternité.
Au retour de leur mission, les disciples sont tout joyeux d’avoir été approché par la force et la présence de Dieu. Ils ont pensé voir Dieu près d’eux et ils sentaient même que Dieu était dans leur dans leur poche, par les mots qu’ils prononçaient. Dieu était devenu pour eux un instrument de pouvoir.
Ils sont bien dans leur temps. Ils prennent leur part des soucis du moment et cherchent les réponses qui intéressent les gens de leur époque.
Les démons étaient présents un peu partout dans la vie de cette époque. Ils malmenaient les malades, provoquaient les inquiétudes, secouaient les faibles et semaient souvent le doute. Quand cela commençait à se savoir que tel ou tel leur parlait et pouvait les maîtriser pour les empêcher de nuire, le succès était garantit. Une force était attendue et appréciée au point de remplir de joie ceux qui en bénéficiaient et bien sûr ceux qui disposaient de cette force.
Face à cette manière de jouer des mécaniques spirituelles, Jésus se pose tout autrement.
Dans ce court passage, l’évangile de Luc fait parler Jésus comme un prophète visionnaire. Il exprime ici la seule vision que le Nouveau Testament attribue à Jésus : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair ».
En lisant un peu vite, on pourrait penser que Jésus alimente une vision de l’existence perçue comme la lutte des forces du bien contre les forces du mal. Satan ferait alors démonstration de sa force et de son côté imprévisible, à la façon de l’éclair impossible à canaliser. Et Jésus serait là pour engager la bataille.
Mais Satan n’est pas ici l’éclair qui vient frapper soudainement et fortement la terre et ses habitants.
Non, Satan qui tombe du ciel comme un éclair, c’est une vision d’un avenir libéré. Satan le malfaiteur, le calomniateur, le diviseur est délogé du ciel. Il chute aussi vite que l’éclair et son pouvoir de nuisance est réduit à rien. C’est une autre manière d’affirmer que le Royaume de Dieu s’est maintenant approché.
La présence et l’action de Jésus change les enjeux et les rapports de force. Depuis sa venue, les forces démoniaques sont émoussées. Et même : le mal est vaincu. Si le ciel est le lieu des forces divines et spirituelles qui agissent dans le monde, voir Satan tomber du ciel, c’est assurer qu’il n’est plus en mesure de nuire. Cette vision qui affirme la victoire de la Vie exprime en même temps les tensions que nous connaissons tous dans nos existences. Vous avez dû remarquer comme moi que ce n’est pas parce que Jésus a vaincu le mal et la mort que ces réalités ont disparus pour autant de nos vies.
Nous nous trouvons en tension : un peu comme si l’existence était continuellement en débat entre la Vie du Royaume de Dieu qui s’est fait proche et les difficultés que le mal nous pose.
C’est bien là un problème de la foi.
Jésus se montre et est décrit comme celui qui est habité de la présence du Seigneur pour réaliser ce que les prophètes annonçaient depuis les temps de l’Ancien Testament : Dieu va intervenir et instaurer sa présence définitive de Vie dans le monde. Jésus est l’envoyé que les croyants du peuple de Dieu attendaient depuis si longtemps.
Sa venue est un peu la charnière des temps qui signale le passage du temps de l’attente au temps de Dieu. Ce temps de Dieu correspond à ce que le texte appelle le Royaume de Dieu qui s’est approché.
D’un autre côté, ce monde créé à nouveau, habité de la présence de Dieu, est évoqué dans une vision. C’est à dire que sa réalisation est en route, mais pas terminée et que l’attente se prolonge.
Ce qui change ici, c’est que le mal est vaincu. Il reste présent, il est encore en lutte, mais il a perdu son pouvoir de mort.
Aujourd’hui où les démons ont pris une autre forme qu’à l’époque du Nouveau Testament, cette défaite du mal est à accueillir comme le rappel que c’est la Vie qui garde le dessus. C’est à la Vie que nous sommes appelés et à quoi nous sommes destinés. Cette promesse vient nourrir notre espérance que la proximité du Royaume de Dieu peut être reconnue dans les belles choses que la vie offre. Elle peut être reconnue dans le reflet de nos relations vraies les uns avec les autres.
Ces reflets ont une intensité et un éclat qui varient. L’espérance qu’ils ouvrent prend des contours plus ou moins précis selon les situations. L’espérance est aussi là dans les situations de malheur, par exemple lorsque nous trouvons avec d’autres les ressources nécessaires pour les traverser et reprendre souffle.
Ce que Jésus exprime dans sa vision de la chute de Satan ouvre l’espérance que le mal est vaincu et que la Vie prendra le dessus dans chaque circonstance. Même si cette espérance est parfois malmenée, nous sommes invités à reconnaître et valoriser les signes de Vie dans ce qui nous arrive.
Ce qui remplissait de joie les 72 envoyés au moment de leur retour, cette capacité à maîtriser les esprits mauvais, c’est en fait le seul bagage que leur avait donné Jésus à leur départ : « Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions et d’écraser toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous faire du mal. » Lc 10,19
Jésus leur avait ordonné de ne rien prendre avec eux : pas d’argent, pas de bagages, pas de véhicule.
Tout ce qu’ils pouvaient emmener, c’était le courage à l’image de Jésus, la force de vaincre le mal et le message à transmettre : « Le Royaume de Dieu s’est approché de vous. »
Ce bagage est conséquent. Ils deviennent porteurs de la présence de Jésus, en quelque sorte.
Si Jésus est lui aussi porteur de la nouvelle, il en est en même temps la réalisation. C’est quand il vient qu’il peut dire « Le Royaume de Dieu s’est approché de vous ».
Les 72 envoyés deviennent comme ses ambassadeurs. Ils disposent du pouvoir de Jésus qui les envoie de telle sorte qu’ils deviennent eux aussi les porteurs de cette nouvelle. Et l’annonce trouve sa première réalisation au moment où ils arrivent.
Ce pouvoir que Jésus leur donne ne doit pas détourner leur attention. Il est la concentration de force et de courage dont ils ont besoin pour réaliser ce qui leur est demandé. Ils restent toujours au service de leur mission de mettre en valeur la nouvelle et la force de Vie qu’elle représente.
C’est vers la Vie qu’ils sont invités à se tourner plutôt que vers le mal qu’ils arrivent à maîtriser grâce au pouvoir de Jésus.
Celui-ci leur demande de rester à l’écoute. C’est un exercice difficile de disponibilité et de présence à l’autre qu’ils vont mettre en œuvre à l’égard de Jésus et aussi à l’égard de celles et ceux vers qui ils sont envoyés. Cet appel à l’écoute est au centre du discours de Jésus au retour des 72. « Ecoutez » : ce mot clé décrit l’attitude qui ouvrira les auditeurs à la lumière. Cette écoute les orientera vers la préoccupation des disciples : l’appartenance et l’invitation à la Vie.
Liés à cette Vie, rien ne pourra leur nuire. Et cela même s’ils seront comme d’autres confrontés à des difficultés et des malheurs.
Et c’est le retour de la joie ou plutôt sa réorientation : « Mais ne vous réjouissez pas de ce que les esprits mauvais vous obéissent ; réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. »
Cet appel sonne comme une sorte de rappel à l’ordre. C’est une consigne sur la façon de se conduire vis-à-vis des autres. Ils sont pleins de joie, dit le texte. Et puisque cette joie rejaillit sur ceux qui en sont témoins, Jésus aimerait qu’elle s’exprime dans le sens de ce qu’il attend des envoyés.
Jésus ne demande pas aux 72 de calmer leur joie. Il aimerait que cette joie vienne alimenter leur rapport à la source de leur Vie. Il n’y a pas lieu de se réjouir des exploits dont ils sont capables par le pouvoir qu’ils ont reçu.
La joie vient de la confiance solide d’être aimés de Dieu. A ce moment-là, elle pourra être une joie pleine. Elle comblera ceux qu’elle anime bien plus que le plaisir de commander aux forces du mal. Elle deviendra même un fondement de l’existence de ceux qu’elle remplit. Cette joie est l’expression extérieure de l’espérance qui ouvre au souffle de la Vie qui crée et recrée le monde jour après jour.
Nous sommes aussi appelés à cette joie qui trouve à s’exprimer dans le monde d’aujourd’hui. Comme les 72 envoyés, vous êtes porteurs de cette nouvelle que le Royaume de Dieu s’est approché.
Vous la portez avec vous, vous en rayonnez autour de vous. C’est dans le monde d’aujourd’hui que sont celles et ceux vers qui vous allez. Ce sont des personnes qui utilisent les réseaux de communication du IIIe millénaire avec téléphones portables, internet et réseaux sociaux. Ce sont des personnes qui vivent et se réunissent selon leurs intérêts et dans leurs cercles de relations. Nous vivons dans ce monde là et nous en subissons aussi les aspects pesants. C’est dans ce contexte que nous nous trouvons et que nous évoluons.
Nous pourrons être rempli de joie quand nous aurons trouvé comment exprimer dans ce contexte l’espérance de Vie qui nous anime. C’est autre chose que de chercher à se réjouir de maîtriser et dominer les défis de cette communication et de notre monde connecté.
Soyons remplis de joie. Mais ne nous réjouissons pas de ce que nous parvenons à maîtriser. Réjouissons-nous plutôt de savoir la Vie circuler en nous et nous donner du souffle.
Amen.
David Allisson, pasteur