Texte issu d’une Célébration à la communauté de Grandchamps le 25 octobre, et d’un culte à Couvet le 28 octobre, présidés par Séverine Schlüter.
Pour télécharger le texte en format pdf, cliquez ici
Lectures bibliques :
Prédication
Quel est le ferment que tu mets dans ta vie ?
Ou autrement dit : qu’est-ce que tu laisses agir en toi ?
C’est la question qui m’est venue un de ces jours, peu après que je me sois laissée emporter dans ma discussion avec un proche, plus loin que je ne l’aurais voulu.
Il faut dire que le sujet était délicat et propice aux émotions, et que cette personne avait touché un point sensible. J’ai alors haussé la voix, trop fort. Je suis restée un bon moment avec mon énervement… alors que j’aurais pu choisir de réagir autrement.
Je ne pouvais pas changer ce que je ressentais, mais j’aurais pu l’exprimer d’une autre manière. Cela aurait évité d’entrer en confrontation, et surtout mon ressentiment aurait pris moins de place et m’aurait coûté moins de temps !
Seulement voilà, j’ai choisi de laisser agir ma colère… et comme le levain dans la pâte, celle-ci a gonflé au lieu de s’apaiser.
Cela me questionne : à quoi est-ce que j’accorde de la place ? qu’est-ce qui me guide dans ma manière de vivre et de réagir ?
Prenez garde à ce que vous laissez agir en vous, dit Jésus.
Gardez-vous en particulier de l’hypocrisie…
En grec, l’hypocrite c’est celui qui porte un masque, qui donne de lui-même une apparence qui ne correspond pas à qui il est.
Il y a là une certaine incohérence entre ce que l’on dit ou ce que l’on demande aux autres et ce que l’on fait, ou entre ce que l’on vit intérieurement, en privé, et ce que l’on montre.
Mais on est hypocrite aussi quand on ne reconnaît pas ce qui se joue en nous dans nos interactions avec les autres, fermer les yeux nos mécanismes intérieurs, pas toujours adéquats.
Il y a en effet ce qui est visible dans nos comportements, que l’on peut facilement admirer ou au contraire montrer du doigt, dénoncer.
Il y a aussi des choses plus cachées, qui se passent en secret, dans notre for intérieur ; pourtant cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas d’effets !
C’est ce que Jésus dénonce : cette hypocrisie qui veut que ce que notre apparence, le comportement que l’on a en public soit plus important que ce que l’on garde pour soi ou que l’on vit loin du regard des autres.
C’est oublier que Dieu peut voir au fond des cœurs, et que notre attitude intérieure rejaillit, qu’on le veuille ou non, sur tout le reste !
Faire la lumière sur nos débats intérieurs, accepter de reconnaître nos failles, c’est évidemment un exercice difficile, car c’est se dévoiler, se mettre à nu devant soi, devant Dieu, et parfois devant les autres. C’est oser se montrer avec ses limites, fragiles et vulnérables.
Mais Jésus fustige aussi ceux qui ont l’habitude de pointer du doigt les moindres manquements des autres, alors qu’eux-mêmes portent en eux des incohérences.
En définitive, seul Dieu est juge de ce que nous valons vraiment. C’est son regard sur nous qui compte.
Cela pourrait faire peur, car que peut-on lui cacher ? Et pourtant, ce Dieu qui nous surveille, c’est avant tout celui qui veille sur nous, qui se préoccupe des moineaux, pour qui nos cheveux sont tous comptés… Plus qu’un avertissement ou qu’un appel à la crainte, c’est une invitation à la confiance. Quitte à se dévoiler, autant le faire sous le regard de ce Dieu bienveillant !
Je me souviens d’un épisode ou, petite, j’étais assise dans les escaliers de l’immeuble avec une amie d’enfance. Celle-ci revenait d’une rencontre de catéchisme pour enfants, et elle m’avait longuement parlé de Jésus et de ce Dieu qui voit tout. Peu après, j’ai fait une bêtise en voulant nettoyer toute seule la cage de ma perruche, et j’en avais cassé la baignoire. Aussitôt, j’ai été effrayée et je lui ai dit : mais alors, Dieu a tout vu ??? Je revois mon amie, calme et souriante, me répondre : ben oui, mais c’est pas grave, car il nous aime et il pardonne aussi ! J’ai ressenti alors une grande paix en moi, comme jamais. Et cette sensation d’avoir ce Dieu devant qui je pouvais être moi, sans crainte, m’est toujours restée.
Dès lors, à quoi ou à qui est-ce que je vais laisser le pouvoir sur ma vie ? Vais-je permettre que mes choix soient guidés par le regard des autres ? par la peur ? par la colère ?
Ou d’autres sentiments ? Ou suis-je prêt(e) à me laisser guider par ce Dieu qui sait tout de moi, mes faiblesses mais aussi toutes les potentialités qui m’habitent ?
Selon ce que je choisis, les effets seront différents sur mon quotidien, sur ma manière de vivre les choses.
Se priver du regard vrai mais bienveillant et de cette action de Dieu en moi, c’est se priver de ses effets salvateurs.
C’est un avertissement, mais aussi un encouragement : les valeurs positives que je porte en moi et que je mets en œuvre, même petites, mêmes discrètes ou semées dans l’ombre, auront des répercussions autour de moi, et germeront.
Si j’accepte que la pâte de ma vie soit fécondée par l’action de Dieu en moi, alors, ceci rejaillira aussi sur tout le reste. Et cela se verra.
Cela s’est vu dans les actes, les paroles et les gestes de Jésus. Celui-ci nous invite à reconnaître ces traces de Dieu en lui ; à savoir les reconnaître en nous aussi. Confesser le Christ, c’est aussi cela : consentir à cette force de vie, et la laisser croître en nous. Témoigner que cette force nous habite, par la façon dont nous vivons.
- Bonhoeffer disait ceci : « Voici que la grâce de l’Évangile, si difficile à comprendre aux gens pieux, nous met en face de la vérité et nous dit : tu es un pécheur, un très grand pécheur, incurablement… mais tu peux aller, tel que tu es, à Dieu qui t’aime. Il te veut tel que tu es, sans que tu fasses rien, sans que tu donnes rien, il te veut toi-même, toi seul… Dieu est venu jusqu’à toi, pécheur, pour te sauver. Réjouis-toi ! En te disant la vérité (sur toi-même), ce message te libère. Devant Dieu, tu ne peux pas te cacher. Le masque que tu portes devant les hommes ne sert à rien devant lui. Dieu veut te voir tel que tu es pour te faire grâce. Tu n’as plus besoin de te mentir à toi-même et de mentir aux autres en te faisant passer pour sans péché ».
C’est peut-être ça qui est le plus salvateur dans cette histoire : pouvoir être complètement vrai devant quelqu’un, libres, sans plus avoir besoin de dissimuler quoi que ce soit, avec ses forces et ses faiblesses, et se sentir entièrement accueilli ainsi, sachant que ce quelqu’un veut nous guider vers le meilleur de nous-mêmes.
Alors, qu’est-ce que je veux laisser agir en moi ?
Quel levain vais-je mettre dans ma pâte ?
Le choix appartient à chacun-e. Mais je souhaite que nous puissions le faire, conscients du regard d’amour et transformateur de Dieu sur nous.
Amen.