Prier, ensemble

Texte biblique : Mc 5,21-43

Engagement œcuménique : 

Nous, chrétiens du canton de Neuchâtel, nous voulons créer des occasions de prier ensemble : en nous rendant visite mutuellement dans nos lieux de prière, ou en rejoignant les prières communes existantes dans le canton.

(Chézard-St-Martin, 20 août 2017)

Prédication de Julie Paik (télécharger le texte au format pdf)

Enfin, aujourd’hui, le soleil brille et la bise est tombée ! C’est l’occasion, peut-être, d’aller profiter du jardin, si vous en avez un. Moi, j’en ai un. Mais je dois dire que cette année, il n’est pas très accueillant. La pelouse est tondue, grâce à mon mari, mais le potager est une jungle qui, faute de temps, a échappé à notre contrôle – d’ailleurs, certains habitants du village ne manquent pas de nous le faire remarquer. Les fleurs qui poussent sont des fleurs sauvages, semées par le vent et les oiseaux plutôt que par les jardiniers. La seule vraie plate-bande, une plate-bande de lavande, est envahie de liserons. Bref, cette année, je ne suis pas très fière de mon jardin.

Mais parfois, je me prends à rêver et je me dis que, si j’avais le temps – l’année prochaine peut-être ? – mon jardin ressemblerait à un jardin à l’anglaise. Il y aurait un peu de tout, du fouillis, de la couleur et de la fantaisie, des espèces très différentes qui se côtoieraient, et peut-être même des plants de tomate au milieu des lavandes ; il paraît que ça éloigne les parasites. Je trouve ça très joli, les jardins à l’anglaise.

Peut-être que je trouve ça si joli parce c’est pour moi une belle image de la richesse de la diversité, une belle image, en particulier, de la diversité de nos Eglises chrétiennes, où il y a de toutes les formes, de toutes les couleurs et pour tous les goûts.

On y trouve des bâtiments qui vont de la splendeur de la cathédrale de Chartres, avec son labyrinthe, sa dentelle de pierre gothique, ses vitraux, son orgue majestueux, jusqu’à cette minuscule église protestante où mon mari et moi étions entrés, sur une toute petite île qui fait partie de l’un des nombreux archipels éparpillés au large de la Corée du Sud : une table, un pupitre, quelques bancs, un ventilateur.

On y trouve des homélies, des sermons, des prédications de toutes les tailles : pour reprendre l’expression d’un ami, ancien évêque luthérien, il y a tout ce qu’on veut depuis l’homélie catholique romaine de 5 minutes jusqu’à l’enseignement évangélique qui dure au minimum une demi-heure (je vous promets de faire plus court ce matin).

On y trouve des gens qui lisent la Bible chaque jour, des gens qui prient le rosaire et demandent l’intercession des saints, des gens qui jeûnent, des gens qui festoient, des gens qui fêtent Pâques à une date différente de la nôtre, des gens qui célèbrent le culte le samedi, des gens qui font des retraites en silence et des gens qui vont à des célébrations rock, des gens qui parlent beaucoup de leur foi et des gens qui n’en parlent jamais, des gens qui vont à l’église et des gens qui n’y mettent pas les pieds, des gens qui fument et boivent et des gens qui s’abstiennent, des gens qui font un peu de tout ça et des gens qui ne font rien de tout ça.

Mais pour tous ces gens – orthodoxes, catholiques romains, catholiques chrétiens, luthériens, anglicans, presbytériens, évangéliques, réformés – pour vous et pour moi, il existe un point commun qui surpasse toutes les différences : le Christ.

Le Christ, qui, dans l’Evangile d’aujourd’hui, est aussi présent pour deux personnes qui viennent à lui de manières très diverses.

Voici tout d’abord Jaïre, le chef de la synagogue – quelque chose comme le président du conseil de paroisse chez nous aujourd’hui. Il est au bord du désespoir : sa petite fille est mourante. Il vient supplier Jésus de lui imposer les mains, et ce geste suggère qu’il le voit sans doute comme un prophète, en tous cas comme l’un de ces personnages de l’Ancien Testament qui ont une proximité particulière avec Dieu et sur qui repose quelque chose de sa puissance de vie, quelque chose de sa capacité à insuffler la vie comme il l’a insufflée aux premiers humains. Dans Jésus, il reconnaît quelque chose du Dieu en qui il croit et qu’il sert.

Et puis il y a cette femme, qui s’est ruinée en traitements inutiles pour un problème de santé qui ne menace pas sa vie mais qui, selon la loi juive, la rend perpétuellement impure et l’exclut donc de la société. Elle, elle voit peut-être plutôt en Jésus un guérisseur, un médecin pour les pauvres qui n’ont pas les moyens de consulter un vrai professionnel. Elle semble croire en un pouvoir magique qui émane de lui ; en tous cas, elle ne lui demande rien, elle est convaincue qu’il suffira de le toucher pour être guérie – et même de toucher simplement un petit bout de son vêtement.

Et ce qui me frappe dans cet évangile, c’est que Jésus répond avec autant de sérieux et d’attention à l’un qu’à l’autre. Peu importe de quelle manière on l’approche, par-devant avec une demande claire et bien formulée, ou par-derrière, en catimini, sans bien savoir ce que l’on attend exactement : il accueille, il répond, il rend à la vie.

J’ai même envie de faire un pas de plus : quelle que soit la manière dont on se tourne vers le Christ, la prière tisse des liens mystérieux entre ceux qui prient. C’est peut-être le sens de cette précision intrigante que fait Marc dans notre récit : la petite fille de Jaïre a douze ans, la femme est malade depuis douze ans, comme si leurs destins, à travers la prière adressée à Jésus, étaient liés d’une manière qui nous échappe.

Pour finir, j’aimerais partager une anecdote : il y a une dizaine d’années, quand j’étais en dernière année de théologie, un professeur nous a emmenés à la rencontre des séminaristes d’Ecône, cet institut de théologie catholique traditionnaliste installé en Valais. Difficile d’imaginer une plus grande différence dans l’approche de la foi chrétienne qu’entre les séminaristes du lieu et nous, les étudiants protestants ! Tout intimidés, nous sommes entrés dans une salle où nous attendaient une rangée de jeunes gens en soutane noire, chez qui la méfiance était palpable. Nous n’étions pas beaucoup plus à notre aise. Après un échange assez fermé, le directeur de l’institut a mis un terme à la rencontre : c’était l’heure pour les séminaristes d’aller prier le rosaire. « Eh bien, nous allons prier avec vous », a répondu notre professeur. Lorsque nous avons quitté la chapelle après la prière, l’ambiance était totalement changée. En priant ensemble, nous nous étions reconnus les uns les autres comme frères et sœurs en Christ. La prière partagée avait fait fondre la glace là où la discussion était restée impuissante. Elle nous avait fait cheminer ensemble à un point que ni eux, ni nous n’aurions cru possible.

Alors, j’aimerais nous inviter à prendre au sérieux cet engagement œcuménique à la prière partagée qui nous est rappelé aujourd’hui. Je crois profondément que, pour avancer vers l’unité des chrétiens, il n’y a pas de meilleur moyen que de se tourner ensemble vers Celui qui accueille toutes nos prières, quelle que soit la manière dont nous les lui adressons. Car dans le grand jardin des Eglises chrétiennes, s’il y a de multiples jardiniers pour planter et arroser, c’est Dieu seul qui fait croître.

 

Amen.