Prédication de Ion Karakash, 11 juillet 2021 – Marc 6,1-13

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Prédication sur Marc 6 / 1-13

Noiraigue, 11 juillet 2021

Prédication du dimanche 11 juillet 2021

Voilà un récit qui pourrait nous dérouter ou même nous décourager : nous sommes tellement loin, tellement différents des disciples que Jésus envoyait pour une mission des plus efficaces, où leur prédication s’accompagnait d’exorcismes et de guérisons ! Dans son Evangile, Matthieu parle même de morts que les disciples ressusciteraient !… (Matth. 10/8)

Bien sûr, leur situation n’est plus la nôtre : alors qu’ils mettaient en œuvre l’Evangile dans toutes ses dimensions, nous vivons à une époque où on confie médecine et thérapies du corps à des soignants qualifiés, – dont beaucoup sont d’ailleurs croyants -, laissant aux Eglises, aux paroisses et aux aumôneries la proclamation de la Parole et l’accompagnement des âmes. Bien sûr, il n’avait pas à l’époque de rayons-X pour diagnostiquer les maladies ni vaccins ou pilules pour les guérir, – et les disciples que Jésus envoyait n’avaient pas d’agendas remplis d’actes ecclésiastiques, de catéchismes ni de séances de conseils ou de commissions…

Il n’en demeure pas moins que ces compagnons partant deux à deux avec la seule force du Saint-Esprit nous interpellent par leur témoignage d’un Evangile dans sa plénitude, alors que nos Eglises dites ‘traditionnelles’ semblent s’essouffler et peinent à faire face aux défis de notre temps.

Cela m’inspire quelques réflexions pour nos communautés actuelles et nos Eglises.

Je note d’abord que Jésus envoyait ses disciples deux à deux, plutôt que seuls ou en groupe. Cela me rappelle une remarque apparemment banale de l’Ecclésiaste, un ancien sage d’Israël : ‘Deux valent mieux qu’un seul, parce que si l’un vient à tomber, l’autre est là pour le relever. Malheur à qui est seul et tombe !…’ (Eccl. 4/10)

Une constatation de simple bon sens qui tient compte de la fragilité de nos personnes comme de nos réalisations, toujours provisoires, soumises à l’épreuve du temps.

Par ailleurs, cet envoi deux par deux préserve de l’esprit de compétition et de performance, de tout vedettariat, – une tentation qui n’épargne pas l’Eglise, par exemple sous la forme de comparaisons entre ministres, plus ou moins efficaces, ou entre paroisses, plus ou moins attractives et riches d’activités diverses, sans parler de leurs comptes et de leurs bilans…

Cet envoi couronné de succès des disciples deux par deux est d’ailleurs précédé dans l’Evangile par l’apparent échec de Jésus dans sa propre région d’origine : les gens de Nazareth et des environs ne voient en lui que le fils de Marie, frère de Jacques et de ses autres frères et sœurs, et ils s’avèrent incapables d’accueillir son message, en sorte que, – comme dit l’évangéliste Marc -, Jésus ne pouvait faire là aucun miracle, – si ce n’est qu’il guérit quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonnait de leur manque de foi.’

Voilà qui devrait nous rassurer, – à double titre -, et nous encourager :
D’une part, même à Jésus, il est arrivé d’échouer, de ne pas parvenir à convaincre les gens lorsqu’il les appelait à une vie nouvelle, – à Nazareth, dans son propre village, mais plus tard aussi, par exemple avec cet homme riche qui cherchait Dieu et son Royaume, mais n’était pas disposé à se séparer de ses biens pour se mettre en chemin… (Marc 10/17-22)

D’autre part, l’échec essuyé par Jésus à Nazareth n’a pas empêché ses disciples de partir, comme il le leur demandait, – … et de réussir, au-delà même de toute attente.
L’échec peut faire partie du témoignage de l’Evangile, – mais il n’en est pas le dernier mot !

***
L’autre particularité surprenante de l’envoi des disciples est l’extrême pauvreté des moyens mis à leur disposition : Marc parle d’une seule tunique, d’un bâton et d’une paire de sandales, – Luc et Matthieu suppriment même les sandales et le bâton !
Un équipement des plus légers, d’après l’Evangile : le minimum indispensable pour parcourir les campagnes de la Galilée sans s’encoubler ni se blesser les pieds.
Un équipement qui correspondait par ailleurs à ce que prescrit le livre de l’Exode pour la célébration de la Pâque alors que le peuple d’Israël était esclave en Egypte :
‘Vous consommerez l’agneau ou le chevreau pascal la ceinture nouée à vos reins, vos sandales aux pieds et votre bâton à la main’ (Exode 12/11), – constamment prêts à vous mettre en route pour la longue marche qui vous mènera à la terre promise et à la liberté…

Cela ressemble à la situation des disciples alors qu’ils cheminaient de village en village, résidant de manière provisoire là où on les accueillait avant de repartir plus loin.
Cet équipement réduit à l’essentiel devait leur permettre de ne pas renoncer lorsque leur témoignage était rejeté quelque part : ils devaient s’en aller aussitôt ailleurs, secouant leurs sandales pour n’emporter de leur passage pas la moindre poussière ni aucune amertume.

C’est que l’échec faisait partie intégrante de la mission que Jésus leur confiait, après qu’il en avait lui-même fait l’expérience : réussir n’en était pas le gage ni la condition pour persévérer ! Et ce n’est pas à eux, mais à Dieu seul qu’il appartiendrait de répliquer à ceux qui auraient rejeté l’Evangile, quand et comme lui le jugerait opportun…

Quant aux disciples, leur mission était uniquement d’annoncer l’Evangile et de guérir, de faire du bien, délivrant de leurs maux celles et ceux qui les accueilleraient.
D’ailleurs, – contrairement à Matthieu, où Jésus demande aux disciples de s’informer lorsqu’ils arrivent dans un village pour savoir si quelqu’un était ‘digne’ avant qu’ils aillent demeurer chez lui (Matth. 10/11) –, d’après Marc, Jésus ne se souciait nullement de la vertu ni des qualités de ceux qui hébergeraient les disciples : il suffisait qu’ils leur ouvrent la porte de leur maison !

Cet équipement minimal des disciples que Jésus envoyait deux à deux m’interpelle par le contraste avec l’attention que nos Eglises – et nous-mêmes d’ailleurs – portons souvent à nos moyens, – à nos bâtiments, nos instruments ou nos apparences.
L’essentiel est toujours d’oser aller de l’avant, – avec nos simples sandales, nos bâtons et nos tuniques du moment, sans nous laisser décourager si le succès n’est pas au rendez-vous : aujourd’hui comme au temps des disciples, la réussite n’est pas le gage ni la condition du témoignage chrétien !

Aujourd’hui comme à l’époque de Jésus, l’échec reste possible, – l’absence de réponses ou d’approbations…

C’est que le monde n’était pas et qu’il n’est toujours pas l’Eglise, peuple que Dieu rassemble. Aussi est-il normal que l’Evangile ne soit pas accueilli par tous, et même que ses messagers, ses témoins, puissent parfois être mal reçus.
Il arrive d’ailleurs que ce rejet soit une conséquence d’erreurs passées de l’Eglise, lorsqu’on a parfois confondu l’Evangile avec le pouvoir – ou avec l’ordre moral -, et que certains prétendus témoins se plaisaient à jouer les juges menaçants et les censeurs… ou les prophètes d’apocalypses…

Le monde n’est pas l’Eglise, – … mais il est plein de femmes et d’hommes qui aspirent toujours à une guérison, à un changement de leur vie, pour parler comme l’Evangile, – peut-être d’autant plus après le temps de pandémie, de peurs et d’incertitudes qui a remis en question tant d’habitudes et de comportements…

Beaucoup de gens ressentent aujourd’hui le besoin de faire le point de leur vie et de leurs relations, – besoin aussi de retrouver confiance en eux-mêmes et en autrui pour reprendre autrement leur route…

‘Aujourd’hui est le premier jour du reste de ta vie !

Je ne sais pas qui est l’auteur de cette phrase, mais elle résume parfaitement le message de conversion et de guérison que Jésus confiait à ses disciples quand il les envoyait deux par deux, au nom de l’Evangile, vaincre les démons de toujours qui se nomment fatalisme et résignation, indifférence au prochain et repli apeuré sur soi…

A nous d’en être aujourd’hui témoins – avec nos faiblesses, nos limites et nos imperfections -, sachant que nous ne serons jamais abandonnés à nous-mêmes, isolés, et que la force nous viendra de Celui qui nous a appelés et nous envoie, – comme les disciples d’autrefois !

* * * * * Ion Karakash