Porté disparu !

Culte du dimanche 12 mai 2024 à Môtiers

Prédication d’Ion Karakash

‘Porté disparu !’

Pour les disciples des Jésus, pour celles et ceux qui le suivaient, son Ascension est une disparition : une distance, une séparation nouvelle : plus de Jésus à portée de mains, de regards, d’oreilles !

Une page est tournée ; la suivante, ils l’écriront eux-mêmes, en son absence.

La nuée est comme un voile à leurs yeux qui les empêche désormais de voir leur maître et leur ami :

Désormais il leur faudra croire sans voir…

Mais ils vont bientôt découvrir que cette nuée, ce voile qui les sépare de lui est également une voile,

– une voile qui se tendra bientôt au souffle de l’Esprit et les poussera vers des terres nouvelles !

Si leur maître et ami doit revenir, – et il reviendra ! -, ce n’est pas en regardant le ciel qu’ils guetteront au mieux son retour, mais à fleur de terre, à taille d’humain, en pleine pâte d’humanité.

L’Ascension est un appel à redescendre et à rester sur terre !

‘Porté disparu, il reviendra !’

A partir de l’Ascension de Jésus, l’espace est orienté.

Le chemin qui peut nous conduire vers le Ressuscité n’est pas une vaine tentative, – ni une tentation -, de nous élever au-dessus de notre commune condition d’humains, au-dessus de notre grande et de nos mille petites histoires : ce n’est pas nous qui monterons vers lui, – c’est lui qui reviendra, à fleur de terre, là où les humains préservent leurs racines d’humanité… pour autant qu’ils n’oublient pas que l’humain va de pair avec humus et humilité.

‘Porté disparu, il reviendra !’

A partir de l’Ascension de Jésus, le temps aussi, comme l’espace, est orienté.

Nous ne savons pas quand, mais nous savons qu’il reviendra.

Et nous ne le ferons pas revenir plus vite en nous agitant, car son retour ne dépend pas de nos efforts :     c’est lui qui reviendra, – il est déjà en route, remontant le temps à la rencontre de notre temps.

Chaque jour qui passe nous rapproche de lui, comme l’écrivait si bien l’apôtre Paul :

‘Aujourd’hui, le salut est plus proche de nous qu’au premier jour de notre foi !’  (Romains 13/12)

‘Il reviendra !’

L’évangéliste Luc souligne que l’Ascension de Jésus se passe au Mont des Oliviers, là même où Jésus avait prié, la veille de sa mort, là même où il avait consenti à sa souffrance…

Et le choix de ce lieu n’est pas dû au hasard : il nous rappelle que c’est un chemin d’épreuves, de combats et parfois de souffrance qui attend les témoins de Jésus dans l’attente confiante de son retour. Ce n’est pas, – ou du moins pas encore -, un chemin de gloire, une ascension vers les hautes sphères du firmament religieux ou des contemplations mystiques… 

                        *                                             *                                             *

Voilà pourquoi l’évangéliste Luc fait suivre immédiatement le récit de l’Ascension céleste de Jésus par celui de la descente des apôtres.

Une descente dans l’espace, puisqu’ils quittent aussitôt le Mont des Oliviers pour retourner en ville, à Jérusalem, là où leur maître avait été brièvement acclamé et fêté le dimanche des Rameaux avant d’être raillé, jugé et crucifié.

Mais plus surprenante encore à mes yeux est la descente des disciples dans leur humanité : elle se manifeste dans la première décision qu’ils prennent à Jérusalem.

Afin qu’il y ait de nouveau douze apôtres-témoins, ils choisissent de désigner un successeur à Judas, celui qui avait livré Jésus aux mains de ses ennemis… et qui venait à peine de se donner la mort.

Après la grande histoire, – l’Histoire sainte de l’Ascension de Jésus au ciel -, les Actes nous ramènent aussitôt sur terre, à la petite histoire de l’Eglise, avec ses faiblesses, ses trahisons et ses reniements…

Et ce qui m’étonne le plus, dans cet épisode, c’est la manière dont les apôtres procèdent pour désigner ce nouveau compagnon-disciple qui doit rejoindre et compléter leur cercle : ils ne fixent qu’une seule et unique condition, – ‘qu’il ait connu et suivi Jésus’ lorsque Jésus était encore au milieu d’eux.

Aucune trace d’une réflexion des apôtres sur la faiblesse humaine qui a pu amenerJudas à trahir ! Comment donc a-t-il été possible que quelqu’un que Jésus lui-même avait choisi et appelé comme l’un des ‘Douze’ ‘délaisse ainsi son ministère’ et livre à ses ennemis son propre maître et son ami ?!

Or les apôtres ne prennent aucune précaution particulière avant de désigner le successeur de Judas, aucune forme d’examen préalable pour éviter qu’une telle trahison se produise à nouveau.

Ils se contentent de retenir deux candidats, deux hommes qui avaient connu et suivi Jésus, comme eux, dès le début de son ministère sur les chemins de Galilée, – et ils remettent le choix à Dieu !

Et s’ils présentent ainsi deux candidats pour succéder à Judas, c’est qu’ils se reconnaissent incapables de faire eux-mêmes le ‘bon’ choix : parce qu’ils ne sont pas Dieu, ils ne savent pas ni ne peuvent savoir ce qui habite en vérité le cœur de chacun, – ils savent, autrement dit, que chacun d’eux aurait pu devenir Judas, que chacun d’eux aurait pu être amené à trahir ou à renier Jésus, – et ils le dirent d’ailleurs lorsque Jésus leur avait annoncé que l’un d’entre eux allait de livrer…

Le nouvel apôtre n’est pas appelé à corriger ni à gommer le mal que Judas avait commis en livrant Jésus, son maître et ami : il est simplement appelé à remplacer Judas pour que soit complété le collège des douze témoins, – car si la foi est toujours une affaire personnelle, l’Evangile, lui, relève d’un message transmis au fil des siècles et des générations par une communauté d’hommes – et de femmes – qui vit à fleur de terre, à cœur d’humanité, – avec ses faiblesses, ses failles et ses divisions.

Le livre des Actes indique seulement que Dieu désigne, par tirage au sort, un certain Matthias dont nous ne savons rien d’autre que son nom, – la raison pour laquelle Dieu le choisit nous reste inconnue.

Et l’humour, – l’humour de Dieu, en l’occurrence -, c’est que celui des deux que désigna le sort n’était justement pas celui à qui les gens avaient donné le surnom de Justus, ‘le Juste’ !

L’élection de Mathias dont nous ne savons rien, ou presque, souligne qu’il n’y a aucune différence de nature ni de vertu entre les apôtres et le reste des humains, pas plus qu’entre Judas ou Pierre et ce Matthias, ‘appelé par le sort’ : aucun d’entre eux ne serait digne d’être surnommé ‘Juste’ aux yeux de Dieu, parce que tous sont faillibles puisqu’ils sont simplement humains, – et c’est comme tels que Dieu les a appelés, … comme il nous a appelés, vous et moi, à notre tour.

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Un dernier mot encore à propos de ce choix des apôtres de Jésus pour compléter leur équipe de douze, qui éclaire l’un des mystères, – des heureux mystères -, de l’Eglise :

malgré les siècles qui passent et nous éloignent des lieux et des jours où Jésus appelait ses apôtres,

malgré son apparente absence dans ce monde dont il semble avoir disparu,

malgré les trahisons des uns et les reniements des autres,

malgré les divisions et les ruptures qui n’ont jamais cessé dans l’histoire de l’Eglise,

chaque fois que l’un des témoins vint à disparaître, il s’en est toujours trouvé un ou une autre, – et même souvent deux, voire davantage encore -, pour prendre le relais.

C’est que dans l’Eglise des compagnons de Jésus, il n’est pas demandé à ceux qui s’engagent de mériter des hommes ni de Dieu le surnom de ‘Juste’ : l’Eglise est humaine, rien qu’humaine,tissée d’humus et d’humilité.

Elle pourrait adopter pour devise un bref poème d’Anne Perrier, une femme de lettres de chez nous :

                                    L’éblouissant me porte

                                    Moi

                                    Porteuse d’ombre                (Anne Perrier ; ‘Feu les oiseaux’)

L’Éblouissant nous porte, nous aussi, – chacune et chacun de nous -, jusqu’à ce qu’il revienne, … et il ne cesse de revenir !