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C’est l’histoire d’un homme qui va chez son médecin. Il arrive avec la tête de quelqu’un qui n’a pas bien dormi depuis longtemps : le visage défait, le teint gris, les yeux rouges et cernés…
– Docteur, dit-il, il faut que vous m’aidiez. Je ne trouve plus le sommeil !
– Vous avez des soucis ? lui demande le médecin.
– Non non, tout va bien, répond l’homme. C’est juste que dès que je ferme les yeux, je fais toujours le même rêve. Je suis devant une porte fermée, et je sais que derrière cette porte, il y a quelque chose d’extraordinaire qui m’attend. Alors je mets la main sur la poignée et je pousse doucement. Rien ne se passe. Je pousse plus fort : toujours rien. Je pousse encore plus fort : la porte ne bouge pas d’un pouce. Alors je me mets à lui donner des coups d’épaule, des coups de genou, et je hurle et je tambourine à la porte à m’en écorcher les mains. Rien. Et je me réveille en sursaut, trempé de sueur.
Le médecin est perplexe, mais il essaie tout de même d’aider :
– Et cette porte, elle a quelque chose de particulier ? Je ne sais pas, une serrure ou une inscription peut-être ?
Et l’homme s’écrie :
– Ah mais oui ! Maintenant que vous le dites, je crois bien qu’il y a marqué : « Pour ouvrir, tirez » !
Le héros malheureux de cette histoire, ça aurait pu être ce jeune homme – appelons-le Jean – qui est allé un jour sur la tombe de son ami, un ami très cher disparu trop tôt dans des circonstances affreuses. Il a été averti par une connaissance commune que la tombe a été vandalisée : plus de pierre, plus de corps ! Alors, avec Simon-Pierre (un autre gars de la bande, mais un peu plus vieux que lui) il court, il court, jusqu’au tombeau, il voit la pierre roulée, le linge plié… et il s’arrête là. Il n’y a rien qui l’empêche d’entrer. Mais dans sa tête, il y a encore une porte, et c’est une porte blindée, une porte de salle des coffres dans une banque genevoise, une porte infranchissable. Il s’arrête là, sur le seuil, son élan coupé net. Peut-être qu’il pressent que quelque chose d’extraordinaire est là pour lui, à l’intérieur. Mais il ne peut pas aller plus loin.
Et franchement, je ne peux pas lui jeter la pierre. Peut-être que comme moi, en entendant l’Evangile tout à l’heure, vous l’avez intérieurement encouragé, le petit Jean : « Vas-y ! Entre ! Il est ressuscité ! »
Oui, mais voilà : ce que nous, nous savons depuis deux mille ans, lui, il le découvre à peine. Il ne sait pas qu’un jour il y aura un culte de l’aube le dimanche de Pâques, il ne sait pas qu’un dénommé Haendel écrira un oratorio de la résurrection, il ne sait pas qu’il y aura une icône traditionnelle qui le représente, cet instant où le Christ a vaincu la mort : rayonnant, triomphant, debout sur les battants de la porte du séjour des morts dont les clés et les verrous sont éparpillés à terre, vaincus, inutiles. Il ne le sait pas encore, que cette porte est brisée, défoncée, pour toujours.
Au fond, quand je regarde ce petit jeune homme hésitant que nous montre l’Evangile, c’est aussi un peu moi-même que je vois. Jésus a vaincu la mort : c’est une affirmation tellement énorme qu’elle dépasse l’entendement. Je n’arrive même pas à me représenter ce que c’est, vaincre la mort. Et je me dis que peut-être, il y a une porte plus infranchissable encore que celle de la mort : celle de mon doute, celle de ma peur, celle de mon hésitation à croire.
Mais heureusement, il y a Simon-Pierre. Il n’y va pas par quatre chemins, Simon-Pierre. Il en a vu d’autres : dans sa vie rude de pêcheur, dans sa vie rude de disciple de Jésus. La mort ? il est déjà passé tout près, plusieurs fois. Jésus, il l’aime ; et ne pas oser le rejoindre là où il est, serait-ce dans le tombeau, il a déjà essayé, non pas une fois mais trois fois, lors de cette fameuse nuit de procès au palais, avant le cri du coq. Et cet abandon lui a fait tellement mal qu’il en a pleuré toutes les larmes de son corps. Il n’est plus prêt à payer ce prix-là, même en échange de sa vie. Alors, sans se poser de questions, il entre. Et il voit.
Que se passe-t-il à cet instant dans la tête de Simon-Pierre ? Est-ce qu’il se demande, comme Marie-Madeleine, où a bien pu passer le corps de son Seigneur ? Est-ce qu’il voit et croit, est-ce qu’il comprend qu’il est inutile de chercher le Vivant parmi les morts ? L’Evangile ne nous en dit rien. Et au fond, ce n’est pas grave, car ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est le geste très simple qu’il a accompli : celui de faire un pas, de franchir le seuil, parce que celui qu’il aime l’a franchi avant lui. Le geste de passer la porte, parce que quoi qu’il y ait dans ce tombeau, la mort ou la vie, Jésus a passé cette porte en premier.
Par ce geste qui peut nous sembler si banal, si anodin, Simon-Pierre fait plus que d’entrer dans le tombeau vide. Il montre à son jeune ami, à celui que Jésus aimait mais qui n’ose pas franchir le pas, que c’est possible, que la seule barrière qui reste n’existe qu’en lui-même. Ce petit pas est un grand témoignage. Et parce que Simon-Pierre est là, parce que Simon-Pierre ose regarder en face le vide, le linge plié, l’absence incompréhensible, Jean ose faire la même chose : il regarde, et il croit.
Si aujourd’hui nous proclamons, encore une fois, que Christ est ressuscité des morts, c’est grâce à ce petit pas. Si nous nous sommes tous levés aux aurores ce matin pour nous rassembler ici dans cette église, c’est grâce à ce petit pas. Et au fond, être une communauté, c’est sans doute tout simplement cela : quand je peux, faire un pas, pour témoigner à mes frères et sœurs que c’est possible ; témoigner que la route est ouverte, que je peux y passer parce qu’avant moi Simon-Pierre y est passé, parce qu’avant lui le Christ y est passé. C’est témoigner que la victoire du Christ sur la mort de ma chair est aussi la victoire sur la mort de mon espérance. Car oui, c’est bien vrai : aujourd’hui, Christ a ouvert devant nous une porte que nul ne pourra refermer.
Amen.