Jeudi 29 mars 2018 à Travers – culte présidé par Séverine Schlüter à l’occasion de Jeudi Saint
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Lecture biblique :
Prédication
«Pessah». Passage. C’est le sens de la fête de la Pâque que les Juifs s’apprêtent à célébrer. Jésus est installé autour de la table pour un dernier repas avec ses disciples.
«Pessah», c’est pour bientôt ; c’est la fête de la libération d’Israël de l’esclavage, la commémoration du passage de la mer Rouge, du passage des hébreux vers une vie nouvelle.
Pour Jésus aussi “l’heure” de son passage est venue ; le but et l’accomplissement de son ministère, approche.
Le moment est arrivé pour lui de passer de ce monde à celui du Père, de “retourner à Dieu” (v. 3).
Autour de la table, ses disciples s’attendent peut-être à un enseignement, un geste fort et solennel de sa part… mais ils ne s’attendent visiblement pas à ce qui va suivre.
Le moindre geste de Jésus est décrit avec précision. On imagine les disciples vivre l’étrangeté de ce moment : Jésus se lève, il ôte son vêtement de dessus, il prend un linge, il s’en entoure la taille, il verse de l’eau dans une cuvette, et le voilà qui se met à laver et essuyer leurs pieds… on a l’impression que le temps est suspendu, on sent les regards surpris et interrogateurs des disciples… qu’est-ce qui prend à leur maître de faire le travail réservé aux serviteurs ou aux femmes de la maison ?
Pierre – comme souvent – se fait le porte-parole du groupe : il questionne Jésus sur le sens de ce qu’il est en train de faire : “quoi, toi, tu me laverais les pieds ?” (v.6)
Mais Jésus sait que pour l’instant, ils ne peuvent encore comprendre : “tu ne saisis pas maintenant ce que je fais, mais tu comprendras plus tard”. (v.7)
Il va s’agir, pour eux aussi, de devoir opérer un passage : dans leur manière de vivre, de voir et de penser le monde et ceux qui les entourent.
C’est un renversement de valeur auquel on assiste. Son pouvoir ne réside pas là où ils pensaient… dans une capacité, une puissance ou une force surhumaine.
Son pouvoir est celui de l’amour.
Un amour qui va “jusqu’au bout”, nous dit Jean. En grec, cela veut dire non seulement jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort, mais surtout “jusqu’à l’extrême“. Un amour qui dépasse la compréhension.
Laver les pieds de ses hôtes était un geste d’accueil courant. Mais ici l’acte de Jésus a une portée toute symbolique.
Encore plus si on se penche sur le contexte culturel de l’époque – tel qu’il est décrit dans cet article trouvé sur internet* :
«Avec les pieds, nous foulons la terre, la poussière, qui les salit et peut aussi les blesser. Jésus touche ses disciples à l’endroit où ils sont terrestres et vulnérables. (…)
L’usage antique du lavement des pieds signifie à la fois purification et guérison: comme on ne portait habituellement pas de sandales, on se blessait souvent les pieds en marchant. L’esclave examinait alors les pieds pour trouver les blessures et il les massait avec de l’huile pour les guérir. En lavant les pieds de ses disciples, Jésus touche leur être tout entier. Il accueille et prend en charge leur humanité. Il les lave de la poussière qu’ils ont accumulé en traversant l’existence, il touche leurs blessures délicatement …et les guérit pour qu’ils puissent reprendre la route, libérés pour de nouveaux horizons, sur des chemins nouveaux.» (…)
C’est aussi «un acte de grande familiarité que de laver les pieds de quelqu’un, un acte permis seulement à l’épouse ou à la fille de celui qui le reçoit. (…)
Ainsi «Jésus accomplit auprès de ses disciples à la fois le service de l’esclave et un geste intime d’amour…»
Cet amour qui va jusqu’au bout retourne tout ; bouleverse.
Chez Simon-Pierre, c’est toute une gamme d’émotions qui s’expriment. Il est heurté dans ses habitudes, ses schémas de pensée. Il ne veut pas…puis il veut trop ; il ne comprend pas ; il est bousculé intérieurement.
Jésus les bouscule tous, en fait. Il les prend à contre-pied… Plus tard, ils comprendront. Quand il sera se sera relevé de la mort et que l’Esprit leur aura été envoyé. Quand ils auront compris que son amour est plus fort que la mort, que la vie-même de Dieu y réside… alors tout ceci s’éclairera et pourra prendre sens.
Jésus a eu besoin de leur donner cet exemple, pour que, quand ils auront véritablement saisi la portée de son geste, ce soient eux qui reprennent t le flambeau, qui poursuivent son œuvre.
Comme lui, il faudra parfois quitter ses aises, renoncer à un statut privilégié, rencontrer l’autre là où il en a besoin.
Car c’est ainsi, en aimant, que l’on touche le cœur-même de la foi et de la communion avec Dieu.
J’aimerais conclure avec ce texte d’un site dédié aux moines de Tibhirine à l’occasion de la semaine sainte** :
«Le coeur donne l’intelligence de toute situation. C’est le lieu de l’écoute d’en haut, le lieu de vie en toutes circonstances. Lieu de vérité et de conversion permanente. C’est au creux de notre coeur que nous nous reconnaissons profondément aimés de Dieu, et que naît le désir d’aimer à notre tour en donnant notre vie.»
(Commentaire- Marie-Dominique Minassian)
«Prendre un tablier comme Jésus, cela peut être aussi grave et solennel que le don de la vie … et vice versa, donner sa vie peut être aussi simple que de prendre un tablier.» (Frère Christian de Chergé).
Amen.
* http://www.saintvictor.net/IMG/pdf/150306_predication_jmp_2015.pdf
** http://www.moines-tibhirine.org/les-7-freres/au-fil-de-la-liturgie/190
http://www.moines-tibhirine.org/images/biblio-texte/1e-invitation-careme-2018.pdf