Pas d’autre signe que celui de Jonas – prédication de David Allisson

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Lecture de la Bible

Jonas 3,10-4,11
1 Pierre 1,22-25
Mathieu 12,38-41

Prédication

Prédication de David Allisson

« Eh, Jonas ! Ecoute-moi ! C’est Dieu qui parle ! Lève-toi, prends le chemin de l’est, va à Ninive. Tu transmettras à ses habitants un message de ma part. »

En voilà un homme qui a de la chance ! Jonas fait partie de ces privilégiés qui entendent par leurs propres oreilles la voix de Dieu. Jonas est autorisé, par Dieu lui-même, par Dieu directement, à être le porteur et le messager de sa parole !

Nous aimerions bien nous aussi entendre physiquement la voix de Dieu. Nous serions au moins sûrs de ce qu’il nous veut et nous pourrions croire vraiment. Le doute s’effacerait enfin pour laisser place à une pleine confiance en Dieu.

Mais quand Jonas entend la voix de Dieu, il est plus dérangé qu’heureux de bénéficier de la ligne directe avec Dieu.

Et reconnaissons que nous sommes comme Jonas. Ce que la vie attend de nous, nous le sentons bien, mais nous n’en tenons pas compte.

Dieu demande à Jonas de partir en direction de l’est. C’est là que l’attend le travail que Dieu a préparé pour lui.

Et Jonas part tout naturellement en direction de… l’ouest ! Il cherche à fuir « hors de la présence du Seigneur », comme le dit le texte.

Ce repli sur soi est caractéristique du prophète Jonas d’un bout à l’autre du court récit dont il est le héros.

Ce repli sur soi est aussi celui de notre monde où tout appelle à se tourner vers son nombril plutôt que vers l’autre. Des moyens de communication extraordinaires sont à notre disposition. Mais internet par exemple est bien souvent une multitude de personnes seules derrières leur écran. L’illusion du contact permet de se complaire dans cette solitude qui finit par peser de tout son poids.

Les églises se replient sur elles-mêmes pour sauver les meubles et espérer perdurer.

Jonas se replie sur lui-même et n’en fait qu’à sa tête. Nous nous replions sur nous-mêmes et finissons par étouffer dans notre solitude.

Jonas a entendu la voix de Dieu, et cela ne lui a pas beaucoup plu, semble-t-il. Mais Jonas a aussi été le témoin de l’action de Dieu d’une autre façon que par ses seules oreilles.

Avalé tout rond par le poisson, Jonas s’adresse à Dieu. Cette prière témoigne d’une expérience très forte. Jonas voit une ouverture, même dans l’obscurité de l’estomac du poisson. Il affirme que son désespoir est dépassé par quelque chose de plus fort que lui. « Toi, Seigneur mon Dieu, tu me fais remonter vivant de ce trou » (Jo 2,7) « Oui, c’est toi qui sauves, Seigneur ! » (Jo 2,10)

Tout au long de l’histoire de Jonas, nous voyons que cet homme n’est pas à la hauteur des grands prophètes : il fuit, il se fâche contre Dieu qui ne détruit pas Ninive mais qui envoie un ver pour tuer la plante sous laquelle il s’abritait.

Mais malgré la petitesse de Jonas, Dieu l’accompagne tout au long de son parcours. Et même, peut-être surtout, lorsque Jonas a fui Dieu ou se sent abandonné par lui.

Tout un équipage de marins reconnaît grâce à la désobéissance de Jonas, le salut de son Dieu. C’est le Dieu de Jonas qui les empêche finalement de couler. Parce que Jonas se sacrifie et suggère qu’on le jette à l’eau, les marins se demandent qui est le Dieu qui se trouve derrière les événements en cours.

A Ninive, les paroles du prophète Jonas ont un effet surprenant. Imaginez un peu un homme sillonner le Val-de-Travers en criant partout « encore un mois et tout sera détruit ! ». Tout le monde rigole ! Et même s’il y avait des gens pour prendre cette menace au sérieux, il n’est pas du tout sûr qu’ils se convertissent. Il est bien probable qu’ils choisissent plutôt de mettre ce temps à profit pour faire encore un peu la fête et vivre pleinement les jours qui leur restent. Surtout à quelques heures de l’Abbaye !

Au lieu de cela, les autorités de la ville de Ninive prennent les choses en main et décident de proclamer une pénitence pour toute la ville. Ils remettent les choses en ordre. « Qui sait ! Peut-être que Dieu peut changer d’avis et qu’il nous donnera une nouvelle chance de rétablir les choses dans cette ville qui ne voulait rien savoir de lui. » C’est comme s’il restait une chance d’agir par rapport au climat et la destruction de la terre.

Et Dieu épargne effectivement Ninive.

C’est cela qui met Jonas hors de lui. Il ne peut pas le supporter. Il est tellement fâché qu’il s’enfonce dans une déprime noire. Il souhaite même la mort.

D’accord, Jonas n’est pas fiable. Il part dans la direction exactement opposée à celle que lui indiquait Dieu.

Mais Jonas, depuis sa colline qui surplombe la ville voit bien que Dieu lui-même n’est pas fiable. Il ne fait pas ce qu’il avait annoncé. Jonas est vexé à mort d’avoir travaillé pour un Dieu qui ne va pas jusqu’au bout de ses idées.

Mais le salut de Dieu est et reste toujours premier. Les marins l’ont expérimenté. Les habitants de Ninive ont parié sur ce salut et il leur a été accordé.

Quand il offre son salut aux êtres humains, Dieu revendique le droit d’avoir des sentiments. Jonas a eu pitié de la plante qu’il a vu grandir, se développer, puis dessécher. Dieu affirme avoir à plus forte raison le droit d’avoir pitié d’une grande ville comme Ninive et de ses habitants désorientés. Dans leur trouble, ils font le pari fou de la foi. Ils espèrent malgré tout le salut de Dieu. Celui-ci accepte leur désir de se retrouver, d’apprendre à de nouveau « savoir distinguer ce qui est bon pour eux », comme le dit le texte.

Les habitants de Ninive savent que la vie humaine est bien précaire. L’épître de Pierre le reconnaît aussi quand elle la compare à la fragilité de l’herbe :

« Tous les êtres humains sont comme l’herbe, et tout ce qui les rend importants est comme la fleur des champs. L’herbe sèche et la fleur tombe ; mais la parole du Seigneur dure toujours. » (1 Pi 1,24s)

Pour Jonas, la parole de Dieu ne vaut pas mieux que cette herbe qui sèche quand le vent se fait trop brûlant.

Jonas veut bien croire en Dieu, mais il tient à ce que Dieu reste fiable.

Et voilà que Dieu se propose de manière contradictoire : il annonce une chose et il en fait une autre.

L’histoire de Jonas aussi est contradictoire. Ce prophète soucieux de lui-même, peureux, fuyant la parole de Dieu est, dans le récit, l’instrument par lequel des milliers de personnes reprennent vie.

Ce n’est pas l’exemple de la conduite du prophète qui a provoqué le changement chez toutes ces personnes, mais bien la rencontre qu’ils ont faite eux-mêmes avec ce Dieu qui a envoyé Jonas.

Les scribes et les Pharisiens de l’évangile de Matthieu étaient tout près de reconnaître en Jésus un messager de Dieu. Ils s’adressent respectueusement à lui en l’appelant « Maître ». Mais il leur manque encore un tout petit quelque chose pour être convaincu. Alors, ils demandent un miracle. Et Jésus leur répond : « Les gens verront un seul miracle : ce qui est arrivé au prophète Jonas. Oui, Jonas a passé trois jours et trois nuits dans le ventre du grand poisson. De la même façon, le Fils de l’homme passera trois jours et trois nuits dans la terre. » (Mt 12,39b-40)

Dieu avait choisi d’adresser sa parole à Ninive par l’intermédiaire de Jonas. Je me demande si cette parole aurait pu prendre un chemin plus tortueux que celui-là !

C’est un chemin d’exil que prend la parole de la Vie. Elle est portée par les réfugiés qui fuient le malheur, la violence, la faim, la terreur. Leur chemin tortueux et chaotique est peut-être un chemin qui porte et transmet la parole de la vie à nos oreilles. Ne laissons pas ces femmes, ces hommes, ces enfants être jetés à la mer. Il y en a assez eu, des morts sur le chemin de l’exil. N’espérons pas leur disparition, écoutons-les et agissons.

C’est presque à son corps défendant que Jonas va finalement transmettre le message. Il en perd beaucoup de crédibilité. L’efficacité de sa parole ne peut pas être attribuée au prophète. C’est vraiment Dieu qui agit au travers de Jonas, pour démontrer que le salut vient de lui et que c’est lui d’abord qui le donne aux êtres humains.

Le seul signe que Jésus laisse aux scribes et aux Pharisiens est le signe de Jonas. C’est un signe aussi indirect que le chemin qu’a pris Jonas pour arriver jusqu’à Ninive.

Comment croire du premier coup que cet homme, Jésus, enfermé trois jours dans un tombeau après la plus misérable des morts est celui qui vient offrir le salut et la vie de Dieu aux êtres humains ?

Comment croire que Dieu épargnera Ninive en dépit de tous les reproches qui pouvaient être faits à ses habitants ?

Y croire, c’est le pari de la foi.

Nous verrons alors une ville reprendre vie.

Nous verrons nos vies prendre de la couleur.

Nous nous verrons nous ouvrir à la rencontre des autres, de tous les autres.

Croire, c’est reconnaître à l’intérieur même de nos difficultés et de nos faiblesses ce qui était là depuis le commencement et qui restera jusqu’à la fin : le salut de Dieu pour chacun.

Nous prenons des chemins différents les uns des autres. Et ensemble, nous sommes reliés à la source de la Vie.

Amen.