Parabole de la brebis perdue

Prédication des cultes des 24 et 25 septembre 2022 à Môtiers et à La Côte-aux-Fées

Luc 15

La brebis perdue de l’Evangile : image touchante du pécheur égaré que le Christ vient rechercher pour le ramener au bercail sur ses fortes épaules.

Combien d’allusions – en peinture, en littérature ou en prières – à des vies dévoyées par le vin, par la violence ou par toute forme de vices que le Seigneur remet sur le droit chemin au milieu des fidèles émerveillés par la grâce divine !

Mais je crois que c’est autre chose que Jésus et Luc l’évangéliste voulaient mettre en évidence par cette histoire de brebis perdue et retrouvée.

Dans les trois paraboles qui se suivent au chapitre 15 de Luc, il y a une progression frappante : une brebis sur cent, puis une drachme sur dix, et enfin un enfant, un fils sur deux : une absence et une joie des retrouvailles à chaque fois toujours plus essentielles. Comme pour dire que celui/celle qui accepte sans réagir la perte d’un centième de ce qui lui avait été confié en perdra bientôt un dixième, puis la moitié… voire davantage encore !…

Mais il y a aussi, entre ces trois paraboles, une différence marquante qui touche à la responsabilité : s’il est possible de comparer, comme on l’a souvent fait, la brebis perdue ou le fils prodigue à quelqu’un qui s’est momentanément égaré ou révolté, il est difficile d’attribuer à une pièce de monnaie perdue comme la drachme une forme quelconque de responsabilité, voire de culpabilité !

En vérité, la figure centrale, le ‘héros’ des trois paraboles n’est pas celui ou celle ni ce qui (s’)est perdu, mais celui ou celle qui les recherche et qui les retrouve dans la joie : c’est le berger qui délaisse les nonante-neuf brebis de son troupeau en quête de la centième, c’est la vieille femme qui balaie tous les recoins de sa maison pour retrouver sa dixième drachme, c’est le père qui court à la rencontre de son fils revenu, l’embrasse et lui fait fête, – malgré l’agacement de son aîné… Qui sait comment les nonante-neuf brebis docilement rassemblées ont accueilli à son retour celle qui s’était perdue ?!…

C’est le berger Jésus, témoin de la bienveillance persévérante de son Père qu’illustrent les paraboles, bien plus qu’une brebis égarée, un fils parti faire la noce ailleurs ou une drachme cachée dans un coin sombre !

Si une brebis s’est ainsi égarée, il peut y avoir à cela bien plus d’une raison :

s’est-elle écartée délibérément, par désobéissance, par déception ou par défi ?

ou bien est-ce plutôt par inadvertance, distraite en route par quelque tentation ?

et si c’était simplement parce qu’elle n’arrivait plus à suivre le reste du troupeau, par faiblesse, par fatigue ou par lassitude ?…

Le texte de l’Evangile ne permet pas de porter sur elle la moindre accusation, loin de l’image négative qu’on lui a si souvent accolée !

D’ailleurs, à lire les Evangiles ou les lettres de l’apôtre Paul, l’idée que le troupeau du Seigneur se composerait d’une unique brebis dévoyée à côté de nonante-neuf autres sages et obéissantes me paraît pour le moins sujette à caution !…

Essayons donc de nous mettre un moment à la place des nonante-neuf brebis restées ensemble : qu’ont-elles pu ressentir lorsque leur berger s’était éloigné ?

Un prédicateur disait, un jour, que cette parabole était aussi celle du ‘berger perdu et retrouvé’, parti ailleurs et revenu !

Pourquoi donc s’était-il absenté : les aurait-il oubliées ou même abandonnées ? était-il en colère contre elles ? ou bien encore voulait-il les mettre à l’épreuve ?

Quoi qu’il en soit, les nonante-neuf brebis ont dû passer par un moment d’inquiétude, livrées à elles-mêmes, désorientées, angoissées peut-être…

La parabole nous dit que si le berger s’est absenté d’elles, c’est pour venir en aide à leur compagne et la préserver des dangers qui la menaçaient.

En vérité, chacune des nonante-neuf aurait pu être à la place de celle qui s’était égarée, aucune d’entre elles n’était à l’abri d’une telle mésaventure.

Voilà pourquoi, plutôt qu’une épreuve, l’absence momentanée de leur berger était pour elles une promesse, une source de confiance pour leur propre avenir : où qu’elle puisse s’égarer un jour, de chacune d’elles le berger prendrait soin, pour éviter qu’elle ne se perde à jamais et que le malheur la terrasse…

Pour conclure, j’aimerais faire un lien entre notre parabole de ce jour et ce que nous fêtions dimanche dernier : le temple de Môtiers restauré, plus lumineux, plus beau qu’avant, – comme le chalet de ‘Jean au cœur vaillant’.

David Allisson soulignait que l’église rénovée n’était pas et ne devait pas être un lieu fermé, mais largement ouvert à tous et à toutes : aux artisans multiples qui avaient travaillé depuis bientôt deux ans à sa restauration comme aux passants inconnus qui s’y arrêteraient le temps d’une prière ou d’un silence bienfaisant…

Une église n’est pas un enclos où le Seigneur s’enferme au milieu de ses fidèles, mais un lieu ouvert où nous venons à sa rencontre pour découvrir qu’il est, en vérité, plus loin, en chemin vers les autres, – celles et ceux qui ont pu s’égarer pour une raison ou une autre, par défi ou par distraction, par lassitude ou par faiblesse : un berger attentif à tous les êtres que le Père lui a confiés, un Seigneur qui ne nous appartient pas, que nous ne pouvons garder pour nous-mêmes, mais qui nous appelle à marcher à sa suite à la rencontre de tous ces autres, – car c’est avec elles, avec eux toutes et tous qu’il nous convie à la joie du Royaume !

*                      *                      *                      *                      *     Ion Karakash