On ne sème pas la plante adulte !

Prédication de Hyonou Paik, le 13 octobre 2013

Texte biblique du jour : 1 Corinthiens 15,37-41 (trad. TOB)

37Et ce que tu sèmes n’est pas la plante qui doit naître, mais un grain nu, de blé ou d’autre chose. 38Puis Dieu lui donne corps, comme il le veut et à chaque semence de façon particulière. 39Aucune chair n’est identique à une autre : il y a une différence entre celle des hommes, des bêtes, des oiseaux, des poissons. 40Il y a des corps célestes et des corps terrestres, et ils n’ont pas le même éclat ; 41autre est l’éclat du soleil, autre celui de la lune, autre celui des étoiles ; une étoile même diffère en éclat d’une autre étoile.

IMGP2886 - Version 2

Certains parmi vous sont peut-être déjà au courant. On a introduit cette année une nouveauté dans le catéchisme de la 2e année : on a organisé une votation. Au lieu de leur donner un programme tout fait, les responsables du catéchisme leur ont offert la possibilité de choisir eux-mêmes les thèmes qu’ils aimeraient étudier durant cette année. Les jeunes devaient retenir 4 thèmes parmi les 6 qui leur étaient proposés. Je n’entre pas dans les détails, mais une chose a surpris les responsables du catéchisme à la fin de ce vote. Parmi les thèmes proposés, celui de la résurrection est le seul à n’avoir pas recueilli une seule voix.

Que doit-on penser de ce résultat ? Les jeunes sont-ils trop « légers » ? Je ne le pense pas, car ils n’ont pas hésité à voter massivement pour un thème aussi lourd que la mort. Je crois qu’ils ont simplement choisi les sujets qui les préoccupent de manière immédiate ou qui les intriguent. Est-ce que nous nous intéressons à la résurrection ? Les enfants et les jeunes ne sont-ils pas nos miroirs ? Qu’on le veuille ou non, ils grandissent dans un environnement que la génération précédente leur a préparé…

Pour la jeune communauté chrétienne à Corinthe, à laquelle l’apôtre Paul a écrit le passage que nous avons écouté il y a un instant, l’idée de la résurrection causait apparemment des problèmes. Il y avait en effet des gens qui se demandaient avec quel corps nous allons être ressuscités. Entendons ici par le mot « corps », pas seulement cet aspect en chair et en os, mais tout ce qui fait un être humain en tant qu’une personne qu’on peut appeler par un nom (Huguette, René…). Si je me permets de traduire la question qui a préoccupé l’Église de Corinthe et l’apôtre Paul il y a environ 2000 ans en langue moderne, voici une version possible : après la résurrection, est-ce que je serai toujours moi ? environ 1m60, myope, les yeux bridés, pas trop nul avec une raquette de ping-pong ? est-ce que je serai toujours ce moi, qui est enveloppé d’une grande bulle de souvenirs comme mon histoire personnelle et qui ne cesse de former de petits et grands projets pour demain, pour la semaine prochaine, pour l’été prochain, pour mes enfants, pour mes petits-enfants ?

Pour donner une réponse à cette question, l’apôtre Paul fait une comparaison avec le monde naturel. D’abord, il parle d’une plante et d’une graine, afin de dire qu’il s’agit de l’affaire de Dieu dans la question de la résurrection. Ensuite, il énumère la diversité dans la création.

Au cœur de cette analogie, il y a l’image d’une plante et d’une graine : on ne sème pas la plante qui va pousser, mais une graine. Le grain « meurt », comme on le disait à l’époque, pour qu’il y ait une autre vie (cf. Jn 12,24s). Nous ne pouvons pas exiger de Paul et ses contemporains l’étendue des connaissances botaniques que nous avons aujourd’hui. Intéressons-nous seulement à ce que l’apôtre veut dire par là. En effet, il s’oppose ici à une conception populaire à son époque concernant la vie et la mort. On pensait volontiers qu’il y avait un cycle de la vie et de la mort. Le monde est pendant un certain moment dans un déclin, vers la détérioration ; et quand il a touché le fond, il remonte vers l’amélioration, s’épanouissant jusqu’à son apogée ; et hop, il décline de nouveau, et ainsi de suite. Dans ce monde, un individu répète aussi le même mouvement : il arrive un jour dans ce bas monde ; il mène une vie, bon an mal an, mais en tout cas, avec toutes les limites et contraintes qu’un monde matériel lui impose, il va vers la mort ; la mort libère son âme de sa condition matérielle afin qu’elle remonte vers le monde du haut ; et hop, elle doit redescendre, et ainsi de suite. De nos jours, on a l’impression que cette ancienne conception cyclique de la vie et de la mort est de nouveau à la mode avec une touche un peu plus exotique qu’on appelle la réincarnation : à la fin de cette vie, ce que je suis serait incarné dans une nouvelle forme de vie, humaine ou autre.

Je n’ai jamais été mort, en tout cas en tant que Hyonou Paik que vous voyez maintenant. Je n’ai donc aucun moyen de vérifier si cette conception de la vie et de la mort est vraie ou fausse. Je n’ai aucun moyen concret pour convaincre qui que ce soit que cette conception est juste ou fausse. Mais avec l’apôtre Paul, je choisis de ne pas croire à cette manière de voir la vie et la mort, car dans le monde que je viens de décrire, il n’y a pas de Dieu. Plus exactement, nous n’avons pas besoin de Dieu. Le monde se suffit à lui-même. Je me suffis à moi-même.

Or, la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, que nous reconnaissons comme le Christ, nous apprennent que nous ne sommes pas condamnés à ce cycle de la vie et de la mort. Nous ne sommes pas condamnés à répéter ce que nous sommes. Jésus, celui qui a voulu vivre jusqu’au bout le règne de Dieu, est mort sur la croix ; nous, les êtres humains, nous ne voulons pas que Dieu règne dans notre vie. Mais Dieu a ressuscité ce Jésus et dit par cet événement : « c’est cette vie-là que j’approuve ; c’est pour cette vie-là que j’ai vous créés ; c’est à cette vie-là que je vous appelle ». Vous vous souvenez de multiples récits qui racontent de l’apparition du Christ ressuscité : tombeau vide, disciples vers Emmaüs, pêche miraculeuse… Les disciples reconnaissent que c’est lui. Mais les récits qui en témoignent nous font entrevoir que, dans cet événement de la résurrection, la vie déborde de partout, au point que notre langage ne peut contenir cette explosion de vie en un seul récit cohérent.

Dans notre vie, il y a des moments où on fait une expérience de résurrection : une amitié qui naît d’un tas de cendre ; un sourire qui fleurit après une longue période de tristesse ; les arbres qui bourgeonnent au printemps ; un gâteau qui sort du four magnifiquement cuit malgré l’incertitude du cuisinier ; un cœur qui s’ouvre au pardon ; un élan de solidarité qui surgit au milieu d’un désastre ; une identité retrouvée mais différemment au bout d’un tunnel… Et vous, où avez-vous aperçu la dernière fois le signe du débordement de la vie malgré vous ? L’espérance chrétienne consiste à se réjouir dès maintenant de la résurrection que Dieu prévoit pour la création toute entière dans son royaume. Elle croit que ce que nous percevons comme des événements qui nous relèvent sont des préfigurations de la résurrection à venir. Nous nous reconnaitrons, nous serons toujours nous-mêmes. Mais nous porterons la vie pour laquelle Dieu nous a créés ; nous serons ce que nous sommes de manière vraie.

De ce point de vue, l’Église est le rassemblement de celles et ceux qui proclament et vivent cette Bonne nouvelle : que nous ne sommes pas condamnés à répéter ce que nous sommes. On ne sème pas la plante adulte. Je suis une graine à laquelle Dieu donne un corps. Nous sommes des semences avec lesquelles Dieu rend le monde riche en couleurs.

Et c’est vrai aussi pour l’Église elle-même. Elle n’est pas une plante qui doit être semée pour repousser comme elle est. L’Église d’aujourd’hui n’est pas identique à celle d’hier ; l’Église de demain sera sans doute différente de celle d’aujourd’hui. La Bonne nouvelle, encore une fois, c’est que c’est Dieu qui s’en occupe. Nous, nous vivons cette Bonne nouvelle en nous réjouissant des petits gestes qui nous sont permis : répandre, en signe de surabondance, quelques petites graines de nos mains sur la terre.

Selon le terreau, la graine poussera avec telle ou telle forme, avec telle ou telle couleur. C’est Dieu qui s’en occupe. Nous ne sommes pas condamnés à cloner à l’infini les plantes de notre jardin. A l’île Maurice, Dieu cultive des Églises aux couleurs mauriciennes ; en Inde, des Églises aux couleurs indiennes. Nous avons célébré hier un culte Terre nouvelle en présence des représentants de l’Église presbytérienne de l’île Maurice. Leurs contextes social et culturel sont différents, et par conséquent leurs préoccupations et projets étaient différents des nôtres, mais nous avons pu reconnaître que ce sont les Églises de notre Seigneur ; non pas « notre » mais notre Seigneur, le créateur du ciel et de la terre. Nous semons ensemble au nom du Seigneur. Notre Seigneur, c’est le Semeur qui est venu parmi nous pour devenir la semence de notre vie. Elle travaille déjà dans le sol. Nous sommes les semences de Dieu qui sèment à leur tour, dans la mesure de leurs moyens, les graines du Royaume à venir. Nous ne savons pas encore comment la Terre nouvelle sera, mais elle sera remplie de fleurs dont la beauté dépasse notre imagination. Nous serons ressuscités. Il est déjà temps de le vivre.

(Vous trouverez une version légèrement différente, partagée la veille, le samedi 12 octobre dans le cadre du culte Terre Nouvelle, en cliquant ICI)