Culte d’adieux de René Perret à Môtiers le dimanche 5 mai 2019
Luc 17,5-10 – Lecture biblique en pdf
J’ai choisi pour ma dernière prédication un texte biblique qui m’a dérangé longtemps dans ma carrière ! J’ai voulu le prendre pour voir ce que je pouvais y trouver comme Bonne Nouvelle, derrière cette histoire de « serviteurs ordinaires » comme nous l’avons entendu lire, ou de « serviteurs inutiles » comme une autre version plus traditionnelle les nomme.
Tout d’abord, 1 minute 30 de témoignage personnel: j’ai beau avoir fait des études de théologie et été pasteur plus de la moitié de mes jours, je reste un homme marqué par son histoire, son éducation. Dieu, par son Evangile a été, est et sera celui qui me donne un regard nouveau ou renouvelé sur moi, sur lui, sur nous, sur le monde. Mais son regard est en lutte avec mes regards acquis, ce que j’appelle mes pré-jugés, ce que je pense instinctivement avant de pouvoir en juger autrement.
Par nature, timidité et conviction que je ne suis grand que par ma taille, j’ai vu ce texte des « serviteurs inutiles » confirmer ce que je croyais de moi-même : un pasteur est incapable de répondre aux attentes de ses paroissiens ; il est critiqué depuis son premier jour jusqu’au jour où il annonce son départ ; c’est alors qu’on lui dit qu’on le regrettera, qu’on le remercie pour ce qu’il a fait. J’ai vécu concrètement cette attitude dans deux de mes paroisses.
Et aussi, cette expression qui me semble aller dans mon sens misérabiliste : quand je dis merci à quelqu’un, et que je l’entends me répondre : « De rien ! », ça me désole ! Ma gratitude ne vaut pas la peine d’être exprimée ? Alors que la réponse « Avec plaisir ! » me remplit de joie. Et ces paroissiens traditionnels qui refusent qu’on les remercie, seraient-ils alors ceux qui ont vraiment compris et intégrés qu’ils sont des « serviteurs inutiles » ?
Il y a une Bonne Nouvelle dans ce texte. L’ai-je trouvée ? Mieux : l’ayant trouvée, vais-je la laisser m’in–former au-delà de mon esprit, jusqu’à renouveler mon regard et ma vie ?
Avant ce récit, il y a cette demande d’une foi plus grande, et que Jésus propose vivante et active. C’est comme une flèche de lumière dans notre méditation. Une parole qui passe vite, mais qu’il est bon de garder en mémoire parce qu’elle éclaire ce que nous vivons. Car nous aussi avons cette demande : que Dieu augmente notre foi pour mieux vivre selon sa volonté (comme nous aimerions augmenter nos muscles pour soulever du plus lourd, ou courir plus vite, plus loin). Et Jésus de nous répondre : votre foi, si petite soit-elle, peut réaliser de l’inédit si elle est vivante en vous et si vous la mettez en action.
Maintenant, nous chrétiens, de quel Maître sommes-nous les serviteurs ? Nous le sommes de Celui que nous reconnaissons comme à l’origine de toute vie, et confiant à l’humain la responsabilité de la gérance de la création ; nous en voyons aujourd’hui particulièrement les enjeux. Nous sommes serviteurs de Celui qui nous aime et nous accueille tels que nous sommes, depuis son premier jour. Ses bras ouverts nous permettent de nous découvrir sous un autre jour, libérant et porteur de nouvelles énergies. Nous sommes serviteurs de Celui qui s’est solidarisé de tous les vivants, y consacrant sa vie jusqu’à son terme. Nous qui le croyons ressuscité, nous tenons pour vitale sa présence à nos côtés, invisible mais perceptible comme peut l’être un souffle. Ce qui fait de nous les serviteurs de ce Maître qu’est le Dieu de Jésus-Christ, c’est l’amour que nous avons reçu de lui pour en vivre, nous en nourrir, et pour le partager.
C’est vrai que si deux personnes s’aiment, ce qu’elles s’apportent est vécu dans la reconnaissance comme quelque chose de normal, d’évident, un produit de leur union. Le calcul tuerait cet amour : si l’un des deux estime aimer mieux et plus que l’autre, etc. Ainsi pour nous, serviteurs ordinaires de Dieu : ce que nous faisons au plus près de notre conscience et au mieux de nos talents et de nos limites, c’est une réponse à ce que nous vivons de notre relation à Dieu, et de notre relation ensemble à son service.
À partir de ce constat, force nous est donnée de revoir notre service et notre réponse à ce que Dieu nous confie. Nous mettre à son écoute à Lui, et pas d’abord à l’écoute des demandes du monde, des paroissiens, ni à l’écoute du Maître impitoyable qui sommeille en nous, dont nous limons les cornes et les griffes mais que nous peinons à chasser complètement de notre conscience.
Au fond, cette histoire de serviteurs ordinaires est un revitalisant textuel pour nous encourager au service comme réponse à ce que nous avons reçu et recevons. Quel cadeau sans prix avons-nous reçu d’être accueillis par Dieu comme ses enfants, par Jésus comme ses frères et ses sœurs, et de vivre ce partage autour de nous car ce cadeau est également destiné à tous les humains que Dieu aime pareillement. Amen.