Lecture de la Bible
Esaïe 43,16-21
Jean 8,1-11
Prédication
« Ne jetez pas la pierre à la femme adultère… je suis derrière ». Vous vous souvenez peut-être de cette chanson de Georges Brassens.
Par son refrain, Georges Brassens a souligné une chose qui semble échapper aux personnages dans le récit de l’évangile de Jean et qui nous échappe du coup bien souvent à nous aussi. Cela échappe en fait probablement surtout aux hommes qui écoutent ce récit : la femme semble être en mesure d’être adultère en elle-même, toute seule. Il n’y a pas de mention de l’homme avec qui elle a commis l’adultère. Il n’y a pas de mention non plus de l’homme qu’elle a trompé. J’ai trouvé intéressant que le seul commentaire que j’ai lu qui relevait cela était écrit par une femme…
Pourtant la loi de Moïse n’oublie pas l’homme. Le flagrant délit d’adultère est puni de la mort pour l’homme et la femme. L’absence de l’homme dans cette histoire doit nous étonner. Elle doit nous étonner parce qu’en nous demandant ce que cette absence veut dire, nous pourrons voir qu’en fait le récit n’a pas besoin de l’homme parce que ce n’est pas une histoire d’adultère, c’est une histoire de grâce offerte par Jésus.
Dans la formule des maîtres de la Loi, il n’y a que la femme, enfermée dans ce qu’elle est, adultère. Il n’y a qu’elle, enfermée dans la conséquence de ce qu’elle est : selon la loi de Moïse, elle doit mourir.
Si elle est adultère, il doit y en avoir un autre impliqué dans la situation. Mais le problème n’est pas là pour les maîtres de la loi. Cette femme ne vaut pas grand-chose pour eux. Elle est surtout l’occasion de mettre Jésus à l’épreuve.
Elle a été prise en flagrant délit d’adultère. C’est ce qui définit cette femme. Elle n’est plus rien d’autre que cet adultère. Et Jésus ne pourra pas dire que c’est une bonne chose que cela. Si c’est dans les choses possibles, il nous faut éliminer l’adultère. L’adultère doit être lapidé. Il menace le bien-être du peuple et il empêche de vivre ensemble en bonne société. L’adultère implique de se cacher vis-à-vis des autres et finalement aussi de se cacher vis-à-vis de soi-même.
Apparemment, la société romaine de l’époque ne condamnait pas l’adultère. Et ce sont les autorités romaines seules qui avaient le droit de prononcer la peine de mort. Si Jésus prend la défense de la femme, il se met en contradiction avec la loi juive et avec les sages et les instruits qui viennent l’interpeller. Si, au contraire, Jésus suit les maîtres de la loi et les encourage à lapider la femme, il se met en contradiction avec les romains qui régissaient la région à ce moment-là. Et les maîtres de la loi pourront quand même l’inquiéter parce qu’il défie l’autorité. Comme souvent, il ne peut pas faire juste s’il répond au niveau de l’interpellation qui lui est faite.
Jésus pose un acte de grâce. La grâce fait autre chose que maintenir chacun dans son rôle et dans le sens qu’il s’est donné ou qu’il a reçu. Jésus va faire quelque chose qui fait que la femme se verra définie autrement que comme adultère. Les maîtres de la loi bénéficieront aussi de cette grâce qui donne une nouvelle perspective. Ils devront chercher à se comprendre comme vivants eux-aussi et non pas uniquement comme lecteurs et interprètes de la loi de l’Ecriture. Eux aussi ont péché. Ils ont manqué le but de leur vie devant Dieu. Eux aussi sont invités à se considérer comme des pécheurs qui risquent de s’enfermer dans une seule signification ou un seul rôle. La grâce que Jésus offre à la femme leur est aussi destinée, à eux.
Cette grâce donne quelque chose en plus qui va au-delà des besoins de la personne. C’est l’ouverture d’un espace plus grand que la personne qui reçoit la grâce. C’est autre chose que simplement faire comme si l’ardoise du mal commis était effacée. C’est un peu comme si l’ardoise restait mais que dans le nouvel espace ouvert par la grâce, cette dette perdait sa signification.
Dans les premières pages de son évangile, Jean définit ainsi la mission du Fils de Dieu dans le monde :
« Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 17)
Voilà exactement ce qui se passe de par la réaction de Jésus. Les maîtres de la loi ont voulu le mettre dans la position du juge. Jésus n’endosse pas ce rôle et sa réponse ouvre un espace qui permet à chacun d’ouvrir l’horizon de sa vie.
Ce qu’il écrit dans le sable semble ouvrir cette espace pour les uns et les autres. Le récit dit que Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol. Mais il n’est dit nulle part ce qu’il écrit. C’est comme s’il mettait des lettres et des mots à disposition des uns et des autres pour raconter eux-mêmes leur histoire. Ce qu’il écrit ici, c’est peut-être la possibilité à la femme, aux maîtres de la loi et aussi à nous qui entendons le récit de se situer et de nous situer nous-mêmes devant Dieu sans les rôles ou les significations dans lesquels nous nous sommes enfermés ou dans lesquels nous nous sommes fait enfermer.
C’est devant Dieu que nous sommes responsables. La faute de la femme ou le péché des maîtres de la loi ne sont pas annulés par Jésus. Ces éléments sont mis à une autre place. Ils ne sont plus les objets d’un jugement humain, même fondé sur une loi sainte. Ils sont l’occasion de se comprendre soi-même d’une manière renouvelée devant Dieu pour retrouver une manière de vivre avec les autres.
« Tu peux t’en aller, mais désormais ne pèche plus. », c’est cela : ce qui s’est passé ne t’enferme pas dans ce rôle de transgression. Tu peux le dépasser et vivre dignement devant Dieu. Tu peux le dépasser et vivre ton humanité.
En fait, ce n’est pas toi qui le dépasse. Ce qui fait que ton identité s’ouvre à une nouvelle dimension, c’est justement l’attention pour toi de la vie de Dieu, mise en récit humain par Jésus. Cet accueil met en mouvement et bouleverse. Il permet de revoir sa vie autrement.
Cet accueil met dans nos vies limitées la vie ressuscitée de Jésus. Cet accueil à la femme adultère, aux hommes impliqués, aux maîtres de la loi, à nous aussi, cet accueil nous incite à vivre dès maintenant une vie large, une vie touchée par la grâce.
Amen.
Prédication des 16 et 17 mars 2013 – David Allisson