Message de Véronique Tschanz A, selon textes bibliques : Hébreux 3, 7-15 et Matthieu 20, 29-34
Au temps de Jésus, les aveugles sont socialement exclus parce qu’ils sont différents, impurs. On attribuait leur cécité à des péchés ou aux fautes de leurs parents.
Ces 2 aveugles sont assis, au bord du chemin… belle métaphore pour dire que leur vie est en arrêt, en dehors. Malgré eux, ils ne peuvent s’intégrer.
Il ne leur reste rien… ou sinon leurs CRIS.
Définition : Le cri sert à exprimer une émotion, une sensation. Crier amène à exprimer un sentiment avec vigueur et force.
Qu’est-ce qu’expriment les cris des 2 aveugles ? La souffrance, la solitude, le sentiment d’injustice ?
Mais leurs cris expriment aussi l’espoir… de croiser en ce Jésus leur dernière chance.
Ces cris témoignent également de leur certitude que cet homme inconnu est « Maître, Fils de David », donc le seul à même de les sortir de leurs ténèbres physiques, morales et sociales.
Nous connaissons beaucoup d’autres CRIS de souffrance et de désespoir dans la Bible :
- Le Christ sur la Croix (Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », emprunté au Psaume 22
- Bartimée
- Job qui crée son désespoir d’être né et en appelle à mourir
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Les CRIS n’appartiennent pas seulement à la Bible. De tous temps, des femmes, des hommes ont crié pour dénoncer l’injustice, pour clamer la peur la souffrance.
Je pense à Dietrich Bonhoefer, à Martin Luther King, à l’abbé Pierre, aux Mères de la Place de Mai, aux manifestants de la place Tian’anmen, à Greta Thunberg et bien d’autres.
Dans notre récit, il est dit que ces cris gênent. Les disciples et les badauds veulent empêcher les 2 aveugles de s’exprimer.
Ces CRIS sont dérangeants parce qu’ils proviennent de gens considérés comme impurs, qui n’ont pas droit à la parole.
Ces CRIS sont embarrassants car ils troublent l’ordre établi, bousculent le chemin bien tracé des disciples et du peuple juif.
Et de nos jours ??… je crois que les CRIS des opprimés et de ceux qui subissent des injustices gênent toujours, et pour les mêmes raisons qu’à l’époque : ils nous renvoient à nos propres incohérences, ils dérangent nos routines et remettent en question l’ordre établi.
Mais je pense aussi que nous avons 3 problèmes autour des CRIS :
- Les CRIS sont étouffés par les bruits incessants et les informations qui surgissent de partout. Nous avons perdu l’habitude du silence et du recul. Nous sommes devenus les otages de nos technicités. Tous les CRIS se confondent, nous ne savons plus trier ni même entendre.
- Peut-être que nos CRIS sont devenus timorés, nos prières muettes. Ou c’est peut-être pire : nous ne crions plus !
Nous avons tout à disposition. Et si nous connaissons la vie essentiellement sous l’aspect de la consommation et des plaisirs, nous n’avons pas besoin de crier et surtout pas envie d’entendre les CRIS des pauvres autour de nous !
- Le 3ème souci autour du CRI, je l’entends souvent en tant qu’aumônière : c’est l’absence de réponse. A quoi bon crier si personne, ne nous écoute, ne nous répond ! On me parle souvent du silence de Dieu et du silence des êtres humains.
J’aimerais développer un peu plus ce point du silence de Dieu.
Cela peut paraître blasphématoire de juger Dieu silencieux. Mais le Christ lui-même a crié son désespoir devant le silence de son Père.
Honnêtement, n’est-ce pas ce que nous ressentons dans nos moments de « creux », de dépression, de souffrance extrême ?
Cela me parait normal, propre à l’être humain et dans le milieu hospitalier, j’insiste sur cet état normal d’éprouver un silence de Dieu.
Dans ces temps de gouffre, nos forces sont focalisées sur notre mal-être. Il ne nous reste plus de ressources pour prendre du recul et pour voir, entendre, toucher Dieu.
Et pourtant, je crois que Dieu agit dans ces périodes d’intenses désolations.
Jamais il n’a promis de nous épargner les aléas de la vie. Par-contre, ce qu’il promet c’est de nous porter durant ces moments et de ne pas nous laisser nous noyer (Lire Esaie 43, 1-4)
La réponse de Jésus aux cris des 2 aveugles est immédiate, opérante directement.
Mais beaucoup d’autres témoignages parlent de la découverte de la réponse de Dieu après que le plus fort de la crise soit passée.
On se souvient du Psaume 23, « l’Eternel est mon berger »… c’est le récit imagé d’une marche douloureuse dans une vallée d’ombres et de mort. Mais le Psalmiste témoigne de la présence de l’Eternel, tel une Lumière non perçue immédiatement, comme une source de vie non détectée sur le moment.
Et cette vallée de ténèbres débouche sur une autre expérience de la vie. Il ne s’agit pas d’un bonheur total et acquis une fois pour toutes, mais une vie normale, marquée par une trace réelle, visible de bonheur et de paix.
Quand tout semble bouché, obscur et sans issue, il est difficile d’entendre des encouragements. Il est presque impossible de voir une lumière. C’est compliqué de sentir la présence de Dieu… et même des celles et ceux qui gravitent autour de nous !
Et pourtant, il nous reste le CRI : oser crier à Dieu son désespoir, prendre le risque de demander de l’aide, hurler dans le silence.
Je dis toujours aux gens endeuillés que je côtoie que CRIER à Dieu est une bonne idée car :
- Dieu seul est capable de recevoir nos cris, nos colères, nos insultes en continuant de nous aimer et sans nous juger.
- Dans le brouhaha de la vie quotidienne, Dieu est le premier à entendre nos CRIS et à y répondre, certes de façon mystérieuse.
J’aimerais terminer avec un autre CRI qui est tout aussi représentatif des psaumes : le CRI Alléluia !
Ce cri, inconnu des autres livres bibliques, définit mieux que tout autre le climat de la prière biblique. Idéalement, toute prière tend à la louange.
Celle-ci demeure la vocation ultime non seulement du peuple des psaumes mais de l’ensemble de la création : « Que tout être vivant chante louange au Seigneur. Alléluia ! »
En guise de conclusion, je vous propose des extraits du Psaume 145 : Lire Ps 145, 1-5 + 10-21. Amen