Mérite vs gratuité 

Prédication des 14 et 15 décembre 2024 à Môtiers

De Sébastien Berney

Lecture : Mathieu 20, 1-16

Eh bien voilà une parabole quelque peu provocatrice, comme beaucoup d’autres du reste ! Parabole que Jésus adresse non seulement à ses disciples, mais aussi à cette foule nombreuse, toujours présente, comme subjuguée par le Maître. Et parmi la foule se trouvent quelques responsables religieux de l’époque, ces Scribes et Pharisiens, qui cherchent inlassablement une faille dans l’enseignement de ce Rabbi-guérisseur, bien trop populaire à leurs yeux.

Une parabole presque révoltante, à l’image de la violente réaction des premiers ouvriers de notre récit. Pourtant, cette parabole a été pour moi, depuis toujours, une parole très forte, qui m’a travaillé, habité, nourri, fortifié, chaque fois que j’ai eu l’impression de croire en un Dieu qui me semblait injuste, trop exigeant ! Oui, une parabole qui m’a beaucoup marqué et fait cheminer dans ma foi personnelle.

Une parabole révoltante, alors que nous sommes à une semaine de Noël ? Une parabole révoltante alors que nous devrions annoncer une bonne nouvelle, pleine de féerie ? Mais une parole qui je crois, oui, annonce également une très bonne nouvelle !

Je voudrais donc partager avec vous quelque chose de ce qui m’apparaît comme central dans cette parabole, que seul l’évangéliste Matthieu, nous raconte !

Tout d’abord l’histoire : une scène courante de la vie dans un village de Palestine, au temps de Jésus. C’est ainsi que généralement ceux qui en avaient besoin procédaient pour engager de la main d’œuvre.

Un propriétaire-vigneron sort sur la place publique pour y embaucher des ouvriers qui iront travailler dans sa vigne. Et avec eux, il convient du salaire pour la journée. Les ouvriers semblent satisfaits, le contrat est clair. Ils ne se seront pas levés pour rien aujourd’hui. Ils auront de quoi nourrir leur famille avec la pièce d’argent qu’ils sont ainsi sûrs de rapporter le soir même dans leur foyer. Une bonne journée commence donc pour eux, malgré l’effort, la chaleur du soleil et la dureté du sol !

Puis le patron retourne sur la place du village à 9 heures, à midi et à 3 heures de l’après-midi : à chaque fois il embauche les hommes qui sont là. S’étaient-ils levés plus tard, ces hommes, pour faire la grasse matinée ? Ou n’avaient-ils pas envie de travailler dès le matin… trop pénible ? Ou alors, étaient-ils allés voir ailleurs sans être embauchés ? Le texte ne le dit pas !

Enfin à 5 heures, presque au moment de nettoyer/ranger les outils, le propriétaire revient une dernière fois au village pour y embaucher des ouvriers ! Est-ce bien rentable ? Je vous laisse apprécier !

Ainsi, pas bien longtemps après l’arrivée du dernier contingent, ces hommes n’ont pas vraiment eu le temps de se salir les mains, c’est déjà l’heure de la paie. Les ouvriers de la dernière heure, comme on aime à les appeler, reçoivent une pièce d’argent… la même somme que le patron avait convenu de donner aux travailleurs de la première heure.

Ces ouvriers-là ont donc pu se dire en eux-mêmes : « Chic alors, on va recevoir plus que

prévu ! ». Mais leur tour venu, ils reçoivent, comme fixé au départ, une pièce d’argent.

Je comprends alors leur réaction violente, pleine d’indignation, j’entends leurs cris de révolte, leur sentiment d’injustice, peut-être même leur dégout.

C’est vrai, ce n’est pas juste, la contestation est justifiée si l’on reste sur le plan strictement arithmétique : ou bien les uns sont trop payés, ou bien les autres sont mal payés. C’est, ou l’un, ou l’autre ; mais tout le monde la même chose cela ne joue pas ! En affaire, ça ne colle vraiment pas du tout !

Mais justement, nous ne sommes pas en affaire, ici. Jésus ne veut pas donner un cours de management ou de gestion d’entreprise, mais utilise cette histoire, peut-être un fait divers de l’époque, pour mettre en évidence, à partir du paradoxe de ce récit, notre attitude face à la grâce du salut qui nous est offerte généreusement… et à tous !

Car, vous l’avez compris, cette paie, cette pièce d’argent donnée en fin de journée, c’est l’image du salut, don de l’amour de Dieu pour ses créatures. Un salaire qui ne sanctionne pas d’abord un travail, on dirait aujourd’hui une prestation, mais qui donne sens à la vie, sens à cette journée de labeur. Les ouvriers de la première heure ont, dès le matin, trouvé sens à leur travail, alors que d’autres ont dû « attendre » jusqu’en fin d’après-midi pour être libéré de l’angoisse de finir la journée sans avoir de quoi nourrir leur famille.

Compris ainsi, le salut donné est une grâce, quel que soit le moment où dans ma vie j’en prends conscience. Il y a le bandit sur la croix qui s’ouvre au Royaume de Dieu au tout dernier moment, il y a ceux qui, dès leur plus jeune âge vivent de la grâce et du pardon de Dieu dans l’espérance du retour du Christ et qui en ont tiré les conséquences pour leur vie quotidienne.

Essayons d’être honnête et réaliste avec nous-même : n’y a-t-il pas parfois de ces « bouffées de jalousie » par rapport à celles et ceux qui semblent vivre sans foi ni loi alors que moi, j’essaie d’être « bien sous tous rapport »… ne faisant de mal à personne ?

Jalousie et frustration nées peut-être de l’idée que je me suis sacrifié en accueillant le Christ dans ma vie pour le suivre et que je n’ai pas pu, ou oser, faire tout ce que j’aurai aimé faire ?

Je vous laisse le soin de continuer à faire le parallèle entre notre parabole et la manière dont je vis, dans ma vie quotidienne, cette fidélité à l’enseignement du Christ.

Suis-je en train de chercher à mériter mon salut par mes efforts, ma bonne conduite, ma consécration, mon engagement, voire mes privations ? Dans ce cas, la bonté de Dieu, car c’est bien de cela qu’il s’agit, me rend forcément jaloux.

Ou alors la bonté de Dieu me donne des ailes pour travailler dans sa vigne, donne sens à tout ce que je fais et vis, sachant que « mon travail ne sera pas vain dans le Seigneur » pour reprendre l’expression de l’apôtre Paul.

De mon attitude face à la bonté de Dieu dépendra le sens que je donne à mon quotidien. A chacune et chacun finalement de choisir son camp, accueillant la bonté de Dieu comme un dû ou comme une grâce vivifiante !

Noël approche, une bonne nouvelle approche ! Une bonne nouvelle qui n’est pas un salaire, mais une bonne nouvelle gratuite, qui peut donner du sens à nos vies !

Amen !