Prédication du culte du samedi – Guillaume Klauser
26 octobre 2024 – Môtiers
Prière avant la lecture
Seigneur Dieu, toi qui es la Vie de notre vie, donne-nous ton Esprit, afin que la Parole que nous allons entendre nous ouvre à ton amour. Qu’elle soit pour nous le signe d’un partage, d’un espoir nouveau. Que ta parole se fasse lumière pour nous éclairer. Amen !
Marc 10, 46-52 (Traduction : Nouvelle Français Courant, 2019)
Ils arrivent à Jéricho. Alors que Jésus sortait de cette ville avec ses disciples et une foule de gens, un aveugle appelé Bartimée, le fils de Timée, était assis au bord du chemin et mendiait. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Jésus, Fils de David, prends pitié de moi ! » Beaucoup lui faisaient des reproches pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le. » Ils appellent donc l’aveugle et lui disent : « Courage, lève-toi, il t’appelle ! » Alors il jeta son manteau, se leva d’un bond et vint vers Jésus. Jésus lui demanda : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui répondit : « Rabbouni, ce qui signifie “maître”, fais que je voie de nouveau ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt, il retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Palestine, premier siècle
Lettre du vieux Bartimée à toi qui veut bien me lire
Salut à toi,
Quelques bons siècles nous séparent, mais je tenais absolument à t’écrire quelques mots. La communication entre nous risque d’être un peu difficile, la Poste fait ce qu’elle peut à travers les frontières, et nous vivons tout de même à deux-mille ans d’écart…
Tu viens d’entendre le récit de mon histoire. Oh pas toute mon histoire, mais l’essentiel, le moment qui aura été le plus important dans ma vie. En fait, c’est comme si la charnière de ma vie a été condensée en quelques lignes. Je voulais t’en parler directement maintenant par cette lettre, parce que je crois que toi et moi nous ne sommes finalement pas si différents.
Bien sûr, j’en ai passé du temps, assis au bord du chemin, sur le côté. Je n’ai pas cette chance de pouvoir voir le monde comme toi. Alors on me « parque » sur le bord de la route, là où je gêne le moins. Mes journées ne sont pas particulièrement passionnantes. Je ne bouge pas, je reste là, à ma place, particulièrement honteux de mon état. D’ailleurs, mon nom signifie, dans ma langue « fils de la honte »… ce n’est pas un hasard. Mais je me demande : et toi, que vois-tu du monde ? Qu’as-tu l’impression de saisir de la réalité ? Es-tu, toi aussi, sur le bord du chemin ?
Ou te sens-tu pleinement dans le mouvement général ? On me dit qu’à ton époque des gens se sentent aussi un peu mis à l’écart, et qu’il est difficile de comprendre le monde dans lequel tu vis. Comment te sens-tu par rapport à ça ?
Être sur le côté, cela a aussi du bon. Cela permet d’observer, de prendre du recul sur le flot continu, sur le tourbillon des gens qui s’agitent autour de nous. Cela permet aussi d’être attentif à ce que d’autres, perdus mais agités, ne perçoivent pas. Si je n’ai pas le don de la vue, j’ai une bonne ouïe.
Quelqu’un marche, il est accompagné. C’est Jésus de Nazareth, le fils du charpentier. Ce qui se passe à ce moment-là est quelque chose de difficile à expliquer. Au fond de mon cœur, je vois. Je sais. Je sais que Jésus est plus qu’un simple passant. Il est mon essentiel. Alors que les autres, tous ceux qui sont là et s’agitent autour de moi ne comprennent pas, moi, j’ai vu, avec les yeux de mon cœur : c’est mon Dieu qui marche non loin de moi ! Mon Dieu. Un grand mot de seulement 4 lettres qui dit « ce à quoi mon cœur s’attache vraiment. » Ne trouves-tu pas ça étrange ? Ceux qui le suivaient ils avaient pourtant des yeux qui fonctionnent bien ! Mais c’est moi, l’aveugle, qui a vu ! Mais dis-moi, toi qui me lis, ne peux-tu pas ressentir ce que j’ai ressenti ?
Je souhaite pour toi, du fond de mon cœur, de voir, voir vraiment. Qu’est-ce qui, dans ta vie, est l’essentiel ? C’est quoi, ton essentiel ? Quand ta vie roule, qu’elle avance et que la magie du temps des découvertes, de l’enfance et des exaltations simples est passé, qu’est-ce qui te fait encore rêver, avancer ?
Ne t’en fais pas, je sais que la réponse n’est pas simple. Cela prend du temps pour comprendre ce qu’est l’essentiel dans la vie. Dans l’Evangile, je suis d’ailleurs un précurseur : j’ai reconnu Jésus comme mon essentiel avant presque tout le monde. Seuls les disciples l’avaient reconnu avant moi. D’autres découvriront sa véritable identité que bien plus tard… Rien ne presse.
Il est mon essentiel. Alors, du bord du chemin, plus rien n’a vraiment d’importance, si ce n’est rencontrer Jésus, que Dieu envoie vers moi. Je le trouve debout, arrêté au milieu du chemin. Il a déjà réussi quelque chose, à me faire me lever. En face de lui, là encore, pas de superflu, on est dans l’essentiel. Je me tiens debout et il me demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Mon intuition par rapport à lui ne fait que se confirmer. Jamais il ne s’impose. S’il guérit, ce n’est pas au hasard. Pas question de donner n’importe quel médicament au patient.
« Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Mon maître ! Que je retrouve la vue ». J’ai compris après coup que la réponse se situait non pas dans la demande de retrouver la vue, mais de l’avoir appelé « mon maître ». Le reconnaître comme mon essentiel, voilà ce qui était l’important. « Va, ta foi t’a sauvé ». Jésus a su que j’avais vu en lui plus qu’un simple homme, un simple prophète ou un charlatan. Il a compris que je savais qu’il était l’amour de Dieu en personne, que Dieu a fait passer près de moi.
Alors voilà, je te lance cette question fondamentale qui a été la mienne : « Suis-je prêt – et finalement assez humble – pour admettre que la vérité de ma vie ne réside pas dans une valeur que je crée ? » (Fr. François, Le don d’une présence, p. 145)
Car je n’ai rien eu à faire : il est simplement passé à côté de moi. Je l’ai reçu, car Dieu, on le reçoit. La vérité de ma vie m’est donnée « dans le regard qu’un Autre porte sur moi ».
J’ai retrouvé la vue. Comme un cadeau offert. Comme si Jésus m’avait dit : « Tu as eu confiance en moi, tu as vu avec les yeux de ton cœur, alors vois avec tes propres yeux, maintenant ». S’engager à la suite de Jésus, tu le vois, n’a rien d’un de quelque chose qui obscurcirait la vue, qui rendrait captif et à la merci d’un maître sadique. Marcher avec Jésus n’a rien d’un choix arbitraire qui emprisonnerait. Devenir disciple du Christ, c’est accepter qu’il me rende de plus en plus humain. Le suivre, c’est bondir dans un élan libérateur, car il m’a fait comprendre ma valeur, ma vraie identité, mon essentiel, et il m’a fait comprendre que désormais j’ai ma place au milieu du chemin, en route, avec d’autres.
J’ai vu en Christ plus que Jésus. J’ai vu, j’ai senti en moi cette confiance grandir. Je t’écris maintenant depuis une étape, sur la route. Je ne suis plus assis au bord du chemin, je suis debout, je marche avec Jésus. J’ai une place et un rôle dans l’Eglise naissante. Et je vois désormais le monde en couleur, de mes propres yeux. Amen !
Sources de la prédication
- Etienne Trocmé, L’Evangile selon saint Marc, Genève, Labor et Fides, 2000, pp. 275-278.
- Fr. François et fr. Pierre-Yves, Le don d’une présence, Taizé, Les Presses de Tai