Prédication dite aux temples de Môtiers et de Fleurier, les 11 et 12 janvier 2020, par Eric Bianchi, diacre stagiaire.
Textes du jour :
- Livre du prophète Esaïe (Es 42, 1-4.6-7)
- Livre des Actes des apôtres (Ac 10, 34-38)
- Évangile selon Matthieu (Mt 3, 13-17)
Prédication
Vous savez, la musique est en quelque sorte comparable aux textes bibliques et j’espère que notre organiste qui est là-haut, sera de cet avis, faute de quoi je risque de me faire taper sur les doigts à la fin de ce culte…
En fait et dans toute musique, il y a les notes que l’on entend et qui nous portent, qui chantent à nos oreilles. Mais derrière elles, il y a l’état d’esprit avec lequel elles ont été posées sur la partition et le contexte au sein duquel vivait leur compositeur.
Si je demande à chacune et à chacun de vous comment il a ressenti le morceau d’orgue joué au début de ce culte, il est fort à parier que les sentiments différeront. Et je présume que cela sera aussi vrai dans 200 ans, avec le même morceau, dans un contexte de société qui sera probablement différent lui aussi.
Pour les textes bibliques, c’est un peu pareil. Il y a les mots que l’on entend, ce que l’auteur a voulu faire passer, et le contexte dans lequel il a écrit. Les 3 éléments conjugués nous permettent d’entendre les notes et les mots d’une façon différente mais complémentaire.
Lorsqu’on prend le passage du livre des Actes des apôtres que nous avons entendu, on sait que Pierre fait une sorte de résumé de l’Evangile. Mais à qui parle-t-il ? On ne le sait pas. Pourquoi parle-t-il de cela ? On ne le sait pas non plus.
On pourrait s’arrêter là et se borner à décrypter ces quelques lignes en les comparant aux autres lectures. Mais nous y perdrions l’essentiel.
Parce qu’en fait et si on prend en considération ce qui précède et ce qui suit ce passage, nous apprenons plusieurs chose. La première, c’est que Pierre s’adresse au centurion romain Corneille, qui un officier, un capitaine de la force d’occupation. Et nous apprenons aussi que les deux hommes se trouvent dans la maison du militaire. Accompagné de plusieurs autres personnes, Pierre s’y est rendu parce que l’Esprit le lui avait commandé. Corneille avait quant à lui, sur demande d’un ange qui lui était apparu, envoyé un soldat et deux de ses serviteurs chercher Pierre. Et rappelez-vous, dans le contexte de l’époque, il était strictement interdit dans le judaïsme de se rendre chez un étranger, chez un païen.
C’est alors que les frontières de Pierre volent en éclats ; il le dit : « Maintenant, je comprends vraiment que Dieu n’avantage personne : tout être humain, quelle que soit sa nationalité, qui le respecte et fait ce qui est juste, lui est agréable. ».
Il comprend alors que Dieu est le Dieu de toutes et de tous ! Et ainsi, l’Evangile est transmis à des non-Juifs. Tout de suite après les quelques lignes que nous avons entendues, l’Esprit-Saint interrompt le discours de Pierre en descendant sans prévenir sur tous ceux qui l’écoutaient. Pierre, qui avait une vision bien précise des frontières qui bordaient sa religion, et sans qu’il ne sache comment, a vu ces limites repoussées par l’amour de Dieu. Pierre avancera alors d’un pas de géant dans sa foi et il baptisera sur-le-champ les païens au nom de Jésus-Christ.
Il y a ce que ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, et ce que l’on nous donne à connaître…
Pour le livre du prophète Esaïe, c’est important de savoir qu’il comporte 3 parties distinctes, lesquelles ont été écrites à différentes époques.
Le passage que nous avons écouté a été rédigé pour sa part au 6ème siècle avant la venue du Christ. Il s’agit de la seconde partie du livre. Le peuple était alors en exil à Babylone et il fallait donner du courage à ceux qui n’avaient pas été déportés. C’est pourquoi on appelle cette œuvre « le livre de la consolation d’Israël ».
Ce mystérieux serviteur dont on parle, peut être attribué au noyau du peuple d’Israël qui n’a pas été déporté et qui lui-même est invité à apporter aux nations, le droit que Dieu instaure. Mais lorsqu’on écoute ce texte avec 2600 ans de recul, on pourrait l’entendre, comme les premières générations chrétiennes d’ailleurs, comme étant le fondement de la mission universelle du Christ.
Encore une fois, il y a ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, et ce que l’on nous donne à connaître.
Chez Matthieu, on peut également voir que Jean-Baptiste avait une conception différente de l’arrivée du Christ. Je veux dire par là qu’il ne s’attendait pas à le voir arriver humblement au milieu de tous les pêcheurs sur les bords du Jourdain. Et c’est pour cela que dans un premier temps, il s’est opposé à baptiser Jésus.
Mais il accepte finalement, car ce qui se réalise ne dépend pas de lui seul et le dépasse complètement. Ses propres frontières, ses propres barrières volent elles aussi en éclats. Et ce n’est pas la seule chose qui se produit, puisqu’au sortir de l’eau, immédiatement, le ciel s’ouvre, l’Esprit-Saint descend et vient sur Jésus le Nazaréen. La voix qui vient du ciel déclare alors : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; je mets en lui toute ma joie. » Et ce que l’on a entendu, ce n’est rien de moins important que l’investiture de Jésus-Christ dans son ministère…
Cette fois, il y a ce que l’on croit savoir, ce que l’on ne sait pas encore, et ce que l’on nous donne à connaître…
Comme je l’ai dit au début du culte, nous quittons le temps de Noël pour entrer dans le temps ordinaire, autrement nommé le temps de l’Eglise, qui est appelée à être envoyée en « mission » dans le monde. Les 3 textes du jour sont par ailleurs reliés entre eux car ils nous montrent le début de la mission de salut du Christ pour le monde entier.
Maintenant, que nous avons entendu ces mélodies, que nous avons lu certaines partitions, et que nous avons replacé le contexte de vie des compositeurs, il reste une étape fondamentale… Ecoutons dans nos cœurs d’aujourd’hui leurs résonnances…
Et moi, ce que j’entends au plus profond de ma toute petite personne, ce sont les bruits de ces barrières qui tombent, de ces frontières qui éclatent.
Celles qui volent en éclats chez Pierre par la force de l’Esprit !
Celles qui tombent chez Jean-Baptiste lorsqu’il comprend que ses conceptions humaines sont dépassées par celles de Dieu !
Celles qui brisent le désespoir dans le texte d’Esaïe lorsque Dieu dit à ce serviteur : « Moi, le Seigneur, je t’ai appelé par fidélité à moi-même. Je te donne mon appui. Je t’ai formé pour faire de toi le garant de mon engagement envers l’humanité, la lumière des nations. »
Eh bien oui, je sens raisonner en moi une grande symphonie ! Une musique jouée par vous toutes et tous !
Car voyez-vous, chacune et chacun de vous a un instrument différent et chacune et chacun joue en y mettant son cœur. Alors utilisons-là cette musique ! Pour briser, pour faire voler en éclats les frontières et les limites de nos conceptions humaines qui nous enferment. Laissons nos pensées limitées être dépassées par la vérité d’amour divine.
Comme chez Esaïe, ce n’est pas le serviteur qui est au centre du texte, mais c’est l’œuvre de Dieu.
Comme pour Pierre, ce ne sont pas les prescriptions humaines qui sont au centre de la scène, mais la volonté et l’amour de Dieu.
Comme chez Jean-Baptiste, ce ne sont pas ses propres conceptions de comment doit être le Messie qui comptent, mais le Messie qui arrive en homme simple parmi les simples hommes.
Enfin, comme dans un orchestre, ce ne sont pas les musiciens au centre, mais l’œuvre qu’ils jouent. Et ne vous méprenez pas : le chef d’orchestre aujourd’hui ici, ce n’est pas moi : mais c’est Lui !
Mais c’est bien beau monsieur le stagiaire me direz-vous : « mais quelles barrières faut-il mettre à bas et comment le faire ? »
Eh bien, d’abord où sont-elles ces barrières ? Elles sont tout autour de nous ; dans nos villages, dans nos villes, dans nos télévisions. Elles sont de différentes formes et de différentes couleurs. Elles nous séparent des autres lorsqu’on ne se comprend plus. Entre religions, entre croyants et non-croyants, entre frères et sœurs, entre parents et enfants, entre générations. Mais attention ! Elles ne sont pas faites que de bois et de métal, mais aussi de chairs et d’os. Elles sont incarnées dans les personnes qui prêchent la haine, qui prêchent le mépris de l’autre, qui prêchent la peur et qui apporte la discorde.
Rappelez-vous les paroles de Pierre lorsqu’il dit :
« vous savez aussi comment Jésus a parcouru le pays en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. » Je n’ai pas envie d’éluder ce mot terrifiant… Le diable… En grec, le diable se dit « diabolos », autrement dit : « celui qui divise, celui qui désunit, celui qui trompe ».
Mais lorsque je parle de diable, n’imaginez pas de cornes ou de fourche, car il n’en n’est pas question. N’imaginez pas non plus que je prête à une personne d’être l’incarnation de celui que l’on nomme aussi « l’adversaire ». Non, il n’en n’est pas question non plus. C’est bien plus sournois que ça, car la division ne s’immisce pas qu’entre des gens distincts, mais elle peut se faire aussi à l’intérieur de nous.
En fait, ne nous laissons pas diviser au sein de notre orchestre, au fond de nos cœurs, car tous les musiciens comptent par leurs différences et leurs propre richesse. Et par-dessus tout, c’est l’amour de Dieu qui nous aide à lutter contre ces divisions.
Pour ce qui est de la façon de mettre à bas les barrières qui nous entourent, qui nous enferment, je serais bien prétentieux de vous dire : « Faites comme-ci ou comme-ça. » Comme je serais bien prétentieux de dire à notre organiste de jouer comme-ci ou comme-ça.
Parce que votre instrument mesdames et messieurs, c’est votre cœur, et vous le connaissez bien mieux que quiconque.
Il faut être à son écoute, car dans ce cœur, c’est Dieu lui-même qui réside. Alors fermez les yeux… écoutez-le battre… ouvrez votre esprit au sien…
Dieu disait chez Esaïe : « Tu rendras la vue aux aveugles, tu feras sortir les prisonniers de leur cachot, tu retireras de leur prison ceux qui attendent dans le noir ». Autour de nous aussi, dans notre « aujourd’hui » et dans notre « demain », faisons à notre mesure ce que nous pouvons faire. Si nous ne pouvons pas rendre la vue, nous pouvons toujours accompagner en tenant la main de celui qui ne voit plus.
À celles et ceux qui sont prisonniers/ères, si nous ne pouvons pas les sortir de leurs geôles, eh bien visitons-les, soyons présents déjà pour eux, soyons une humble lumière, tel un reflet du Christ, afin qu’ils ne demeurent pas dans le noir.
Car il nous arrive aussi, si ce n’est d’être aveugles, d’être aveuglés. Aveuglés par les soucis qui nous masquent le jour ; aveuglés lorsque nos sentiments nous débordent, aveuglés par une situation qui nous dépasse.
Car il nous arrive aussi d’être prisonniers et d’attendre dans le noir. Prisonniers de notre passé ; prisonniers d’une maladie ; prisonniers d’une dépendance ; prisonniers de souffrances jamais apaisées.
Et n’oublions jamais que le serviteur d’Esaïe n’était pas seul : « Voici mon serviteur, dit le Seigneur, je le tiens par la main, j’ai plaisir à l’avoir choisi. ». Oui, « je le tiens par la main »…
Et le serviteur de Dieu n’a pas qu’un visage ; il en a des milliards. Tous différents, de toutes les couleurs, de toutes les origines, de toutes les nationalités, de toutes les classes, de tous les sexes.
Dans ce temps d’envoi de l’Eglise dans le monde, voyons pour nous aussi notre envoi auprès de celles et de ceux que nous côtoyons. Brisons ces barrières qui nous séparent. Pas avec un marteau, non… Pas à coups de Bible sur la tête, mais à coups de Bible dans le cœur, à grand coup d’amour. Parce que notre monde en a tant et tant besoin.
Car pour finir, il y a ce que ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas et ce que l’on nous donne à connaître.
Soyons complémentaires et unis. Soyons celle et celui qui doute pour celui qui pense savoir. Soyons celle et celui qui sait pour celui qui ne sait plus. Et ouvrons nos cœurs auprès de celui qui se donne à connaître.
Amen.