18 avril 2019, La Côte-aux-Fées, Jeudi-Saint
Avant de vous livrer un texte méditatif*, j’aimerais vous livrer trois remarques sur le texte de Jean : d’abord, le lavement des pieds a lieu au cours du repas. Ce n’est pas ce geste d’hospitalité qu’un esclave ou un serviteur donnait à l’invité qui arrivait. Ensuite, j’aime Pierre le disciple réactif ! Il dit tout haut ce que d’autres pensent en eux-mêmes (Pierre n’est pas le premier dont Jésus s’approche pour lui laver les pieds). Son côté « volcanique » permet à Jésus de préciser pour tous sa pensée. Enfin, nous voyons que Judas fait partie du groupe. C’est dire que les disciples sont faillibles. La plus haute vocation se conjugue avec la plus infâme trahison. Hier comme aujourd’hui.
Il suffit de contempler Jésus lavant les pieds de ses disciples pour être bouleversé par son humilité d’amour et avoir envie de l’imiter. Mais notre méditation doit nous permettre de voir plus profondément pourquoi saint Jean commence son récit de la Passion par cet épisode. Nous sommes tentés d’aller tout de suite à la recommandation finale parce qu’il est question d’agir : « Je vous ai donné l’exemple pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous. » Pourtant, le bon cheminement c’est de méditer d’abord ce que Jésus dit à Pierre : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
« Laver » a évidemment un sens matériel mais aussi le sens spirituel, symbolique, d’une purification plus secrète et totale. C’est ce qu’on dira du baptême qui nous « donne part avec le Christ » en nous plongeant dans sa mort et sa résurrection : « Celui qui s’est baigné est entièrement pur. » Ne voyant que le geste, Pierre proteste : « Me laver les pieds ? Non ! » Comme il s’était rebellé quand Jésus avait parlé de mourir : « Toi, mourir ? Non ! » Sans réagir aussi violemment, nous avons, nous aussi, des « non ». Nous écartons ce qui nous gêne dans les gestes et les paroles de Jésus, ou bien nous ne les creusons pas assez.
Ici, « prendre part » doit nous aider à comprendre le lavement des pieds comme signe. Jésus nous demande d’entrer avec lui dans toute la pureté de son amour. Un amour si vrai, si puissant, qu’il a sauvé le monde. Il faut, pour cela, descendre jusqu’au plus humble service. L’orgueil empoisonne l’amour, l’humilité sauve l’amour. Mais quelle humilité ? L’évangéliste nous avertit : « Jésus, qui avait aimé les siens, les aima à l’extrême. » Si l’on ne voit pas bien cet extrême, on prendra le lavement des pieds pour un simple geste d’humilité un peu spectaculaire. Non, l’extrême commence ici : le Seigneur de gloire (« Le Père de gloire a tout remis entre ses mains, il vient de Dieu et retourne à Dieu »), ce Seigneur commence un « service » qui va le conduire jusqu’à la mort. Un mystère d’abaissement autant que de souffrance : « On se moquera de lui, on crachera sur lui. » nous rappelle l’Evangile de Marc. Dès le premier pas vers cette Passion le service est lié à l’humiliation. C’est nous dire que non seulement servir ne ternit aucune gloire mais que seul le service humble va à l’extrême de l’amour.
Leçon difficile. Ce qu’on pouvait prendre pour un geste assez imitable est en réalité l’acte d’un amour qui s’incarne dans un service sans limites. Le lavement des pieds engage une logique du don de soi poussée par le Christ jusqu’aux pires souffrances à et la mort. Si nous ne demandons pas d’avoir « part au Christ » pour qu’il nous lave de tout orgueil et nous communique sa force d’aimer, nous rendrons volontiers de menus service mais nous n’entrerons pas dans une vie de service. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous pouvons maintenant relire les derniers mots de ce texte en mesurant tout leur poids : « Je vous ai donné l’exemple. » Voyant jusqu’où Jésus est allé, nous savons où nous devons aller avec lui. Le geste inaugural de la Passion symbolise un amour qui doit nous jeter en pensée aux pieds de nos frères et de nos sœurs et nous pousser aux actes concrets, aux engagement coûteux. « Je vous ai donné l’exemple » par du lavement des pieds mais montre déjà la croix.
* André Sève