Culte du samedi saint, 26 mars 2016, temple de Môtiers, 17h – David Allisson
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Samedi
Je ne savais pas que tu pouvais mourir,
Mourir en moi.
Je ne crois plus en toi.
Il m’arrive même d’en rire.
Je t’avais pourtant aimé.
Tu m’aimais aussi: je le savais bien.
Maintenant, tu n’es plus rien.
Je t’ai même embaumé.
Il me reste pourtant un espoir,
Que tu ne sois pas vraiment mort,
Ou qu’un autre Dieu naisse alors,
J’espère quand même te revoir.
Tu es mort, ce vendredi.
Dimanche peut-être viendra.
Mais le plus dur, tu vois,
C’est d’être en samedi.
François (19 ans), brochure « Risquer Dieu », éditions ouverture, 1984
Aujourd’hui c’est samedi et nous ne sommes pas en paix.
C’est comme si le trouble du monde était venu se concentrer dans ce jour de l’absence où Christ est enfermé dans le noir du tombeau.
Souvenez-vous. C’était il n’y a pas si longtemps:
L’ange leur dit : « N’ayez pas peur, car je vous apporte une bonne nouvelle qui réjouira beaucoup tout le peuple : cette nuit, dans la ville de David, est né, pour vous, un Sauveur ; c’est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous le fera reconnaître : vous trouverez un petit enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Luc 2,10-12
L’enfant a grandi. Il s’appelait Jésus.
Maintenant il est mort.
Le Seigneur est dans le tombeau.
Des hommes, des femmes et des enfants meurent en Syrie sous les balles, les bombes et les gravats.
Le Seigneur est dans le tombeau.
Des hommes des femmes et des enfants sont morts à Bruxelles mardi dernier.
Le Seigneur est dans le tombeau.
Nous nous épuisons au travail ou à la recherche d’un sens à ce que nous vivons et faisons.
Le Seigneur est dans le tombeau.
Que nous reste-t-il, alors ?
Une triste méditation. Avec l’attente d’une lueur, tout au bout.
Méditatif auprès de la croix – extraits, Traces Vives p. 158ss
Entrer dans le silence.
S’y terrer comme le grain dans le sol.
Demeurer muets, frappés au cœur de l’espérance.
Etre vide sans espace intérieur.
Habiter samedi saint comme le temps du passage.
Vivre ce jour-là comme le possible au cœur de l’impossible.
Percevoir dans l’absurde la promesse de Présence,
comme on voit mourir le bourgeon pour que s’ouvre la fleur.
Percevoir une lueur au bout du chemin, annonce de résurrection, comme on voit naître l’aurore après une longue et sombre nuit.
Habiter samedi saint dans la continuité des actes d’amour.
Vivre l’absence vers l’élargissement d’un temps nouveau.
Effleurer d’un murmure le Nom qui est au-dessus de tout nom et tendre les mains au poudroiement de lumière, dans l’ouverture à demain.
Suzanne Schell, in Traces Vives, extraits inspirés de Méditatif auprès de la croix, Labor et Fides, Genève 1997
Lecture de la Bible
Aujourd’hui, nous lirons la Bible dans 2 livres. Chaque fois, la lecture sera suivie d’une méditation.
Dans l’Ancien Testament, le livre des Lamentations dites de Jérémie fait face à l’évidence du désastre. C’est un petit livre peu lu et médité lors du culte. Les cinq poèmes qui le constituent n’ont qu’un sujet : la ruine de Jérusalem, détruite par l’armée babylonienne en 587 avant J.-C. Cette catastrophe a marqué la fin du royaume de Juda en tant qu’Etat indépendant. Elle semble en même temps annuler la promesse qui avait été faite à David : « Un de tes descendants régnera toujours après toi, car le pouvoir royal de ta famille sera inébranlable » (2 Sam 7,16).
Ceux qui on survécu à ce drame se remémorent les événements tragiques qu’ils ont traversés et s’efforcent de les comprendre : Qui est responsable de toutes ces horreurs ? Le Seigneur ne s’est-il pas comporté en véritable ennemi de son peuple ? Pourtant les vaincus reconnaissent leurs propres torts ; ils se rappellent aussi que « les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées » et que « sa fidélité est grande » (Lam 3,22-23). Là reste la source de leur espoir malgré les évidences du désastre.
Dans l’évangile de Matthieu, nous entendrons l’évocation d’un autre désastre : Le Sauveur, le Christ, le Seigneur dont nous avons chanté la naissance avec les anges du ciel il y a à peine quelques mois est maintenant froid au fond d’un tombeau. Il n’est même plus temps de veiller le mort. Il s’agit maintenant d’apprendre à vivre sans lui et de surmonter l’espoir déçu. Nous avions cru cette promesse et nous nous sommes trompés. Nous avons le sentiment d’avoir été trompés.
Et même : ses adversaires feront tout pour que ses amis ne puissent pas faire croire qu’il a pu se réveiller de la mort. Nous entendrons cela tout à l’heure. Nous commençons par la lecture d’un extrait du livre des Lamentations, tout à la fin du texte.
Lamentations 5,1-5.15-22 – Seigneur, est-ce possible que tu nous oublies pour toujours?
La Suisse est bénie. Beaucoup le disent : « Au nom de Dieu tout-puissant ! » en préambule de la constitution et la croix sur le drapeau placeraient le pays sous la protection du Seigneur.
Le Seigneur nous a donné un pays et la paix. Nous y avons prospéré et le chocolat, les banques, l’or et l’industrie ont augmenté les richesses de notre agriculture et de notre artisanat.
Et maintenant, nous entendons que la guerre, là bas, tue des civils : des enfants, des femmes, des hommes.
Nous aimerions que ce malheur ne nous atteigne pas.
Pourtant, nos villes et nos villages accueillent des réfugiés. Ils étaient enseignants, chercheurs, artisans, universitaires, manœuvres… Ils ont perdu des proches, leur travail, leur maison et l’espoir d’une vie encore possible chez eux.
Ils ne voient plus d’issue : c’est la mort ou le départ dans des conditions qu’ils n’auraient jamais pensé devoir accepter. Pour eux c’est la fin du monde, ou au moins : c’est la fin d’un monde.
Martin Luther, c’est la fin du monde ! Que feras-tu aujourd’hui en attendant que la fin arrive ?
Aujourd’hui, je plante un pommier.
Le conflit est si terrible, là-bas en Syrie. Ses conséquences commencent à toucher les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Il a fallu intervenir. Les pays se sont rassemblés et ont lâché des bombes pour leur signifier que cette guerre concerne aussi nos pays et qu’il faut l’arrêter. Il y a des morts, là-bas, sous nos bombes. Des guerriers, mais pas seulement. Il y a aussi des morts parmi les civils. Et nous comprenons cela dans notre chair, quand des bombes explosent en attentats suicides dans nos villes, dans des lieux que nous avons traversés, dans des endroits où nous avons de la famille ou des quartiers dans lesquels séjournent des connaissances. Le monde connaît la mort. Est-ce la fin ?
Aujourd’hui, j’ai préparé un culte dans lequel notre prière s’adresse au Dieu de la Vie.
Dans ma poche, j’ai toujours un caillou rose que mes enfants connaissent bien. C’est le caillou de Nour. Elle a 14 ans et cela fait bientôt 10 ans qu’elle sait qu’elle porte en elle une maladie qui l’empêche de grandir normalement et qui va l’emmener vers la mort. Je pense à elle à chaque fois que je sens ce caillou dans ma poche. Et quand je pense à Nour, ce n’est pas la maladie qui me vient à l’esprit en premier. C’est toute la vie qu’il y a dans son sourire et dans son amour des autres. Vous connaissez vous aussi des personnes malades. Vous les aimez. Appréciez la vie qu’il y a en elles et en vous.
Aujourd’hui, j’ai fait de la pâte. Elle a levé. Je l’ai tressée et je l’ai faite cuire, parce que je crois que demain, elle pourra être partagée.
Il y a tant de menaces qui touchent la terre aujourd’hui que toutes sortes de religieux, de scientifiques, de philosophes affirment que c’est la fin du monde.
Des multinationales commercialisent l’eau potable dans des régions ou elle est déjà rare.
Les techniques utilisées dans les mines d’or polluent l’eau et les terres à cultiver.
Des petits paysans se retrouvent sans terre là où d’énormes exploitations mécanisées sont mises en place.
Sans sourciller, des économistes affirment que le chômage est un mal nécessaire pour réguler l’économie et qu’il est utile pour la vie des entreprises.
Aujourd’hui, j’ai acheté un œuf en chocolat, parce que je crois que demain viendra et qu’il y aura une résurrection à fêter.
« Toi, Seigneur, tu es roi pour toujours.
Est-ce possible que tu nous oublies pour toujours, que tu nous abandonne pour toute la vie?
Renouvelle notre vie, Seigneur ! »
Matthieu 27,57-66 – Qu’ils ne puissent pas dire: « il s’est réveillé de la mort »!
Chromace d’Aquilée est un père de l’Eglise. Il a vécu au IVe siècle. Voici une de ses méditations sur Jésus au tombeau :
« On le déposa dans un sépulcre neuf »
Toutes les veillées que l’on célèbre en l’honneur du Seigneur sont, certes, agréables à Dieu et agréées de lui ; mais cette veillée-ci est au-dessus de toutes les autres ; aussi cette nuit porte-t-elle tout particulièrement le titre de « veillée du Seigneur ». Nous lisons en effet dans le récit de la Pâque : « C’est la veillée du Seigneur, que tous les fils d’Israël doivent observer » (Ex 12,42). Cette nuit porte bien son titre de « veillée du Seigneur », parce qu’il s’est éveillé vivant, afin que nous ne restions pas endormis dans la mort.
Le Seigneur veillait, même dans le sommeil de sa passion, comme il le montre lui-même par Salomon : « Je dors, dit-il, mais mon cœur veille » (Ct 5,2). Il a dormi selon la chair, mais sa divinité veillait, car la divinité ne pouvait dormir. Nous lisons, en effet, cette parole à propos de la divinité du Christ : « Voici qu’il ne dort, ni ne sommeille, celui qui garde Israël » (Ps 121,4).
Dans le sommeil de sa passion, il a dormi selon la chair, mais sa divinité visitait les enfers pour en tirer l’homme qui y était retenu captif. Notre Seigneur et Sauveur voulut en effet visiter tous les lieux pour faire miséricorde à tous. Il descendit du ciel sur la terre pour visiter le monde ; il descendit encore de la terre aux enfers pour porter la lumière à ceux qui y étaient captifs, selon la parole du prophète : « Vous qui êtes assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort, la lumière s’est levée sur vous » (Es 9,2). Donc, il convient d’appeler cette nuit « veillée du Seigneur », puisqu’en cette nuit, il a non seulement fait luire sa lumière sur le monde, mais aussi sur ceux qui étaient aux enfers.
Par conséquent, les anges dans le ciel, les hommes sur la terre, et les âmes des fidèles dans les enfers, célèbrent cette veillée du Seigneur. Dans le ciel, les anges célèbrent cette veillée du Seigneur, parce que le Christ, par sa mort, a détruit la mort, foulé aux pieds les enfers, sauvé le monde et délivré l’homme. Et ils la célèbrent à juste titre, car le salut du monde réjouit les anges. Si le repentir d’un seul pécheur, comme on le lit dans l’Evangile (Lc 15,7), est cause de joie pour les anges du ciel, combien plus la rédemption du monde entier ! Les hommes eux aussi la célèbrent sur la terre, parce que c’est pour le salut du genre humain que Christ a souffert la mort, pour vaincre la mort par sa mort. Et les âmes des fidèles, dans les enfers, la célèbrent, elles aussi, parce que le Christ est descendu aux enfers précisément pour faire cesser le règne de la mort et des enfers sur elles.
Quoi d’étonnant si cette veillée du Seigneur est célébrée par les anges dans le ciel, par les hommes sur la terre et par les âmes aux enfers ? Celui qui a daigné mourir pour nous n’est-il pas le créateur du ciel, de la terre et des enfers ?
Mais nous devons dire encore plus : oui, cette veillée du Seigneur, le Père lui-même la célèbre avec le Fils et avec le Saint-Esprit, parce que c’est selon la volonté du Père que le Fils a souffert la mort, pour donner la vie par sa mort. Cette veillée, donc, n’est pas seulement une fête pour les hommes et les anges, mais aussi pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit, parce que le salut du monde, c’est la joie de la Trinité.
Voilà pourquoi nous devons célébrer en toute dévotion les veillées de cette nuit si grande : en elle la mort fut détruite, le monde racheté et le peuple délivré.
Sermon 16, Sources Chrétiennes 154, Cerf, Paris, 1969, p. 259s
Intercession
Seigneur, la paix est si menacée partout dans le monde que nous avons souvent l’impression qu’elle est morte.
Nous ne savons pas quoi faire, c’est pourquoi nous te prions. Apprends nous l’amour. Réveille la paix partout où elle est maltraitée.
Seigneur, apprends-nous l’amour, fais grandir l’espérance en chacunE de nous, réveille notre foi.
Nous te prions pour nous et nos proches. Celles et ceux qui vont bien. Celles et ceux qui n’ont pas le moral. Celles et ceux qui sont malades. Donne à chacun ce dont il a besoin pour vivre et pour aimer.
Seigneur, nous te prions pour notre pays, pour ses habitants, pour ses autorités au niveau fédéral, cantonal et communal. Ravive partout l’espérance de ta résurrection.
Seigneur, ta vie est présente partout dans le monde : elle rayonne des visages de tes enfants, de leurs engagements, de l’espérance qui les anime. Protège tes enfants et bénis-les, pour qu’ils soient toujours mieux le visage de ton amour dans notre monde.
Seigneur, accueille notre prière.
Envoi – « Chez nous… »
Maintenant, nous sommes des êtres fragiles,
en proie à la maladie, à la souffrance, à la vieillesse…
Mais quand nous serons « chez nous », à la maison du Père,
nous baignerons tout entiers dans la santé…
Maintenant, nous essayons de nous aimer,
en nous faisons mal, parfois en nous décevant…
Mais quand nous serons « chez nous »,
l’amour sera quotidien comme le pain et fort comme l’aurore…
Maintenant, le bonheur
est la propriété des riches et des puissants.
Mais quand nous serons « chez nous »,
Dieu mettra son tablier et servira au plus petit
la plus large part de bonheur…
Maintenant, la mort est laide,
avec son cortège de maladies,
de vieillesse et de souvenirs qui font mal…
Mais quand nous serons « chez nous »,
la mort sera culbutée dans le néant d’où elle vient,
elle ne sera même plus un souvenir !…
Maintenant, notre cœur cherche sans cesseun peu d’amour, de tendresse, de fidélité…
Mais quand nous serons « chez nous »,notre cœur aura enfin trouvé sa vraie demeure et il se reposera…
Car « chez nous », c’est l’Amour…
l’Amour en personne qui nous attend et qui nous appelle ;
l’Amour en personne qui déjà nous habite et nous attire à Lui…
Car, maintenant, le Ciel de Dieu c’est le Cœur de l’Homme ;
Mais, quand nous serons « chez nous »,
le Ciel de l’Homme, ce sera le Cœur de Dieu.
Georges Mandore