Culte du dimanche 17 septembre 2023 à Buttes
Texte biblique : Matthieu 18, 21-35
Prédication de René Perret
Mon message sera composé de trois parties.
Centré sur le thème du pardon à recevoir et à donner, j’ai choisi de commencer par vous lire un texte que je trouve important. Il a été écrit par celui qui fut grand rabbin de Londres, Jonathan Sacks. Celui-ci s’exprime sur la nécessité du pardon.
« Je suis juif. En tant que juif, je porte en moi les larmes et les souffrances de mes grands-parents et de leurs parents au fil des générations. L’histoire de mon peuple est le récit de siècles d’exils et d’expulsions, de persécution et de pogromes, débutant avec la Première Croisade et culminant avec le meurtre des deux tiers des juifs d’Europe, dont plus d’un million d’enfants. Des siècles durant, les juifs ont su qu’eux ou bien leurs enfants risquaient d’être assassinés simplement parce qu’ils étaient juifs. Ces larmes sont incrustées dans l’étoffe même de la mémoire juive, c’est-à-dire de l’identité juive.
Pourquoi devrais-je renoncer à cette douleur gravée au plus profond de mon âme ? Je le dois pourtant. Pour l’amour de mes enfants et des enfants de mes enfants qui ne sont pas encore nés. Je ne saurais bâtir leur avenir sur les haines du passé, ni leur enseigner qu’ils aimeront Dieu davantage en aimant moins les gens. Quand j’implore le pardon de Dieu, j’entends, dans ma requête elle-même, qu’Il exige de moi que je pardonne aux autres. Et je pardonne parce que j’ai un devoir à l’égard de mes enfants aussi bien qu’envers mes ancêtres. Certes, les premiers déterminent les seconds. Je dois à mes ancêtres qui sont morts pour leur foi de bâtir un monde où personne ne mourra plus pour sa religion.
J’honore le passé non en le répétant, mais en en tirant les leçons, en refusant d’ajouter la douleur à la douleur, le malheur au malheur. C’est pourquoi il nous faut répondre à la haine par l’amour, à la violence par la paix, au ressentiment par la générosité et au conflit par la réconciliation. »
Voyons maintenant la parabole que Jésus nous donne pour situer l’importance du pardon à vivre. La situation décrite est caricaturale : un serviteur du roi qui doit à son maître l’équivalant du salaire de 60 millions de journées de travail, c’est inimaginable ! C’est un infini de dettes ! Comparativement, ce que doit son camarade à celui qui croulait sous ce fardeau semble « une paille » : c’est le salaire de 100 jours de travail. C’est une dette certes conséquente mais remboursable.
Voyons aussi les deux personnages principaux de la parabole. Le roi tout d’abord, qui juge ce que ses serviteurs lui doivent, applique une sentence correspondant à la dette faramineuse de son serviteur. Mais devant la supplication de celui-ci, il a pitié de lui et lui remet sa dette. Ému par la peine de son serviteur, il est plus préoccupé par sa situation désespérée que par l’argent qu’il lui doit. On lira aussi que Jésus était ému par les foules, lassées et abattues et qui n’avaient rien à manger. Le serviteur insolvable est comparable à un de ces petits, malades, affamés pour lesquels Jésus comme son Père montrent qu’ils ont, selon une ancienne formulation, « des entrailles de miséricorde ».
Le serviteur libéré, lui, revient très vite à sa réalité, puisqu’il ne montre aucune pitié envers son camarade et sa dette. Alors qu’il vient d’être gracié de beaucoup, le voilà qui juge et condamne son camarade pour peu. Ce qui lui importe, c’est que le compte soit réglé. Sa cupidité est tout l’inverse de ce qu’il vient de vivre ! C’est pourquoi le roi se fâche et le condamne. En refusant de faire grâce à son prochain, le débiteur gracié sort lui-même de la grâce. Les domaines de la grâce et de la comptabilité sont exclusifs l’un de l’autre.
Et maintenant, qu’en est-il de notre situation ? Pardonner est important, nous le savons ; mais ce n’est pas facile non plus, Pierre le disait pour nous au début du récit d’Evangile.
J’aime partir de ces paroles d’Alexandre Men, moine orthodoxe, à propos de la question : de quoi sommes-nous en dettes ? : « Rappelons-nous ceux qui nous ont donnés la vie et qui nous ont formés : notre mère, notre famille, nos maîtres et nos éducateurs, ceux qui ont exercé sur nous une bonne influence… Mais ce n’est pas tout. Nous avons aussi une dette envers la nature qui nous entoure. Qui nous donne l’air que nous respirons ? Les plantes que nous mangeons ? Lorsque nous remercions les autres ou la vie pour tout ce que nous avons de beau et de bon, en fait nous remercions Dieu. Car c’est lui qui est à l’origine de tout. C’est à lui que nous sommes redevables. »
Je retiendrai l’accent qu’il met sur « ceux qui ont eu sur nous une bonne influence » et sur « Dieu qui est à l’origine de ce qui nous fait vivre, dont la nature ».
Mais cette dette de reconnaissance s’accompagne aussi d’une dette, personnelle à chacune et chacun, sur ce que nous avons fait faux, omis de faire, et qui se cache dans les profondeurs de notre histoire et de notre être. Parfois sans en être conscients, sans l’avoir voulu. Ces dettes-là sont comme des blessures en nous, mal fermées, des kystes, des regrets pareils à des nécroses dans notre cœur, notre mémoire. C’est toute cette dette gigantesque que Dieu nous remet, quand nous nous ouvrons à lui. Et il vient toucher ces endroits abimés, peu à peu, et comme le médecin habile qu’il est, il vient nous en guérir, nous en libérer. L’assurance qu’il nous pardonne est donnée en une fois, ce qui fonde notre foi ; mais son travail de guérison se poursuit tout au long de notre vie, nous permettant de découvrir à quel point nous sommes vivants de ce pardon toujours nouveau à recevoir.
C’est alors que se pose la question de notre pardon à accorder à ceux qui nous ont offensés, et qui nous font encore du mal. C’est très exigeant de pardonner, c’est pourquoi Jésus ne nous y invite pas mais il nous le commande : « Je ne te dis pas 7 fois, mais 70 fois 7 fois. » C’est donc à lui que nous devons demander la force de lui obéir, et d’être pardonnant comme nous l’avons été premièrement. Pour franchir ces étapes parfois si délicates, il nous faut le rappel de sa grâce et son soutien pour que notre pardon accordé nous libère également.
Amen.