Prédication
Jonas reste dans les mémoires avec son poisson-sous marin. Mais en lisant ce petit livre de 4 chapitres, il nous enseigne beaucoup sur la façon de se comporter en tant que disciple. Jonas habite la grande ville de Ninive réputée pour sa méchanceté et toutes les dérives qui en découlent. Dieu lui dit : « Lève-toi et va proclamer que leur conduit est mauvaise. »
Jonas s’enfuit à l’opposé de la ville. Est-il à blâmer ? Quelle est mon attitude quand un ordre m’est donné, surtout de la part de Dieu ? Je crois que nous sommes pareils : on se cabre, on recule, on s’enfuit en se bouchant les oreilles. Comme les contacts pris pour renforcer le Conseil paroissial pour ce printemps : presque tous négatifs.
Alors, Jonas finit par surmonter sa peur et va à Ninive les convaincre de changer de vie. Et son message est entendu : la foule se repend dans la cendre, vêtue de sacs – signe d’humilité. Voyant cela, Dieu renonce à détruire la ville.
Et ça, Jonas ne le supporte pas, il se sent trahi. Au nom de Dieu il annonce la destruction, donc il passe pour un menteur ; il s’effondre. Là aussi notre attitude est souvent similaire : après une longue lutte victorieuse, nous sommes épuisés et la fatigue nous empêche d’apprécier le résultat. Au lieu de se réjouir du changement de mentalité à Ninive et de la clémence divine, Jonas est abattu jusqu’à en mourir.
Jonas est vraiment en quarantaine, en Carême. Il a brûlé son autel comme le peuple au désert le mercredi des Cendres. Il n’a plus rien, il a tout donné après s’être opposé longtemps à sa mission. Là aussi c’est nous : quand notre vision est chamboulée, on se vexe, nous sommes incapables de voir d’autres bénédictions que celles que nous attendions avec précision. Bien sûr nous sommes poussés en avant par un projet bien ficelé et – vous le savez bien – souvent les imprévus bousculent nos premiers plans. C’est un dur apprentissage de renoncer, de bifurquer, de prendre d’autres chemins. C’est un chemin de quarantaine, de Carême.
Le rite juif des cendres est un geste d’humilité que la tradition biblique associe au deuil et à la repentance. Donc un temps de souffrance et d’incertitude puisque nos projets de départ sont anéantis. Un deuil change tout. Tout est à reconstruire. Comment ? Avec quoi ? Il faut bien 40 jours pour être prêt à entrevoir une solution différente.
Jonas veut mourir donc RIEN ne l’intéresse. Dieu doit intervenir rapidement pour lui éviter une insolation mortelle. Ça ne suffit même pas, il est furieux pour une plante qui sèche subitement. Aujourd’hui on dirait qu’il est en pleine dépression.
À la fin du livre, Jonas est encore en pleine révolte. Pourtant, il a sauvé toute une ville de la destruction. C’est cela, le temps des Cendres : tout est consumé. C’est cela le temps de Carême : tout est mélangé. C’est cela la quarantaine : laisser se poser les choses, sortir du brouillard pour trouver une issue.
Et cette issue c’est la Pâque pour libérer le peuple de l’esclavage. Pour nous, c’est la semaine pascale où nous sommes réconciliés avec notre Père grâce à l’œuvre de Jésus Sauveur. C’est là que prend tout son sens la parabole de la lampe sur le chandelier pour éclairer toute notre existence. Sans lumière, nous restons errants et solitaires. Avec la lumière de Pâques, l’illumination de la grâce nous entoure et nous dirige.
Mais il est dangereux d’auréoler Pâques comme d’une assurance à toute épreuve. Que plus rien ne peut nous arriver. La luminosité ne peut plus s’éteindre mais nous restons les petits frères de Jonas : difficiles à convaincre, effrayés devant la tâche, révoltés d’un résultat autre que prévu.
Mais la bonté de Dieu pour nous secourir, nous attendre, nous relever reste inébranlable. Notre lampe s’éteint souvent, mais la flamme de Pâques est incandescente. Il suffit de s’approcher sans cesse, de revenir toucher cette étincelle pour que brille notre foi vacillante.
Relisez le livre de Jonas, c’est une grande histoire d’amour entre la toute-présence de Dieu et le tout-révolté de notre condition de créature fragile mais aimée
Carême ou quarantaine, c’est égal. Pour moi, le terme le plus approprié est la convalescence. Tombé, blessé, accidenté par la vie ; se relever sans cesse, mais chaque fois avec une autre vision, une autre dimension. Car ce n’est pas un retour en arrière, l’avenir est sans cesse différent, toujours à découvrir.
Le buisson ardent de Moïse n’a rien résolu, il a ouvert le chemin du futur pour ce serviteur ; la flamme de Pentecôte sur les disciples n’était pas une couronne de champion, c’était le feu du service avec la luminosité de l’engagement.
Nous sommes sans cesse en attente devant l’horizon ouvert de la grâce promise mais à saisir. Tendre l’oreille, tendre la main, tendre le cœur pour entendre battre le cœur de son prochain.
Carême et salut, un même combat avec la certitude d’être enfant de paix.
André Chédel