Voici une méditation tirée de la campagne de l’ACAT de ce Vendredi Saint. Il s’agit de réflexions de Père Michael Lapsley, directeur de l’Institut pour la guérison des mémoires au Cap en Afrique du Sud.
Lien vers le site de l’ACAT Suisse – campagne de Vendredi saint 2014
La torture est une offense envers Dieu.
Nous, chrétiens, nous sommes les disciples de Jésus, celui qui a été torturé. Et, à ce titre, nous ne pouvons pas rester neutres vis-à-vis de la torture. Nous affirmons, en effet, que tous les êtres humains ont été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est pourquoi torturer un être humain constitue une offense faite à Dieu en même temps qu’un déni de notre humanité commune. La torture dégrade profondément autant la victime que son bourreau. Elle est inacceptable et ne peut pas être tolérée.
Quelles que soient leurs convictions religieuses, les gens sentent instinctivement que torturer un être humain est un acte dégradant. C’est pour cette raison que certaines personnes qui sont considérées comme « l’autre » sont particulièrement vulnérables face à la torture et que les gouvernements s’emploient souvent à déshumaniser leurs ennemis.
Les gens sont torturés en cachette et les bourreaux, aux pratiques de plus en plus sophistiquées, s’efforcent de ne laisser aucune trace qui pourrait servir de preuve. On dit aux victimes qu’elles peuvent crier tant qu’elles veulent parce que de toute façon personne ne les entend, et que si elles sont libérées personne ne les croira. Celles qui, déjà, n’ont pas le droit à la parole, sont les plus vulnérables face à la torture, comme les détenus, les prisonniers politiques, les réfugiés, les sans papiers et les minorités ethniques et sexuelles.
Aujourd’hui encore, la torture reste une pratique très répandue dans de nombreuses zones de conflits à travers le monde, et l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture joue un rôle important en orientant les projecteurs vers ces actes inhumains. Nous, chrétiens, adorons le Dieu qui donne la Vie. Il est écrit dans l’évangile de Jean, ch. 10 v. 10 : « Je suis venu pour que vous ayez la vie et la vie en abondance ». C’est la leçon de l’histoire de la résurrection. Chaque fois que des êtres humains sont victimes de violences, les chrétiens doivent être à l’avant-garde.
A l’institut pour la guérison des mémoires, en Afrique du Sud, on dit que chacun a une histoire à raconter et que chaque histoire a besoin d’une écoute. Des espaces sacrés sont offerts où les gens peuvent raconter leur histoire en toute sécurité au sein d’un groupe de parole. Ce sont des lieux où ils sont accueillis avec respect et où on les écoute avec compassion. Ceux qui ont survécu à la torture mettent quelquefois des dizaines d’années avant de pouvoir se délivrer du fardeau qui pèse sur eux, et trouver un espace où ils se sentent suffisamment en sécurité pour raconter les horreurs qu’ils ont endurées. Le fait d’être écoutés et de voir reconnu le mal qui leur a été fait, peut déjà être un pas sur la route parfois longue qui les mène à la guérison.
Les terribles événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et la réaction de l’administration Bush ont fourni aux plus hautes autorités américaines des arguments pour justifier la torture. L’invention de concepts tels que celui de « combattants illégaux » a abouti à Abou Ghraib et Guantanamo qui sont devenus synonymes du recours généralisé à la torture. Le gouvernement américain a essayé de justifier sa conduite en jouant sur la définition de la torture et en présentant ses actions comme des interrogatoires renforcés. Au contraire, la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est sans concession et donne une définition très étendue de la torture.
Dans une perspective chrétienne, les définitions légalistes ne suffisent pas. Tout ce qui déshumanise et viole l’intégrité d’une personne, que ce soit sur le plan physique, émotionnel ou spirituel, peut, d’un point de vue moral, être considéré comme une forme de torture. C’est pourquoi la lutte contre la torture doit englober les préjugés tels que la xénophobie, le racisme, le sexisme ou l’homophobie. C’est ainsi qu’en dépit de l’interdiction exemplaire des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle prévue dans la Constitution d’Afrique du Sud, la torture et le meurtre de couples homosexuels sont répandus dans ce pays. Dans d’autres régions du continent africain, certains dirigeants politiques ont malheureusement ouvert la voie en tolérant la persécution des communautés gays et lesbiennes. Cela a été illustré très récemment en Ouganda avec la nouvelle législation anti-gay draconienne et la mort d’un homosexuel brûlé vif.
Naturellement, la peine de mort elle-même est une forme de torture. En attendant le jour de son exécution, le prisonnier meurt des milliers de fois. Heureusement, dans les pays de l’Union européenne et en France, la peine de mort n’existe plus, ce qui n’est pas le cas dans de nombreuses régions du monde. Cependant, il y a des signes d’espoir puisque de plus en plus de pays dans le monde et d’Etats américains abolissent la peine de mort grâce au travail persévérant de nombreux militants. D’un point de vue chrétien, nous devons nous rappeler que, non seulement Jésus a été torturé, mais qu’il a été exécuté. Peut-être devrions-nous faire du Vendredi saint un jour pendant lequel nous nous souviendrions plus spécialement de tous les condamnés à mort du monde qui attendent leur exécution, et où nous réaffirmerions notre engagement en faveur de l’abolition de la peine de mort.
L’année 2013 a été marquée par deux personnalités hors du commun qui nous ont inspirés dans notre quête d’un monde meilleur, où règnent plus de bienveillance et plus de justice. L’un est en vie, l’autre a disparu récemment. Le Pape François nous invite tous à lutter contre la torture quand il dit : « Je préfère une Eglise cabossée, blessée et qui s’est mouillée pour être sortie sur les chemins plutôt qu’une Eglise sclérosée dans sa fermeture et soucieuse avant tout de son confort et de sa propre sécurité ». Par ailleurs, le monde s’est figé lorsque Nelson Mandela nous a quittés. De toute évidence, ses 27 ans de captivité ont été une forme de torture. Pourtant, lorsqu’il est sorti de prison, il ne s’est pas contenté de prêcher la réconciliation, il a montré l’exemple. Le jour de son investiture à la Présidence de l’Afrique du Sud, son ancien geôlier, James Gregory, devenu son ami, était assis à ses côtés à la tribune. Un peu plus tard, il s’est rendu dans une toute petite enclave de la résistance des Afrikaners en Afrique du Sud pour prendre le thé avec Betsy Verwoerd, la veuve du Premier ministre qui avait institué l’apartheid. Par son exemple d’une vie donnée généreusement pour la liberté des autres, il a incarné tout ce qu’il y a de bon dans la famille humaine et, aujourd’hui encore, il nous invite tous à promouvoir sa vision de l’homme et de ses valeurs.
En conclusion, souvenons-nous que nous sommes le peuple de Pâques ; le Vendredi saint n’est pas une fin. Le message chrétien nous incite à espérer que, malgré la torture, l’oppression et les exécutions, qui sont des offenses envers Dieu, les forces de guérison, qui sont des forces de vie, finiront par triompher. Il nous appartient d’y contribuer.