Prédication de Christian Vez, donnée par David Allisson le 23 mars 2014 à Couvet
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Lecture de la Bible: Jean 4,1-42
Dans la méditation et la spiritualité, nous cherchons à nous ressourcer.
Les chrétiens, pour se ressourcer, vont chercher l’eau à leur source : la Bible.
Et voici que le passage de l’Evangile que nous allons méditer nous conduit plus précisément encore vers une autre source : la source de Jacob ; la source qui coule au fond du puits où se rencontrent Jésus et la Samaritaine.
Mais avant d’aborder cette rencontre proprement dite, il faut que je vous précise où elle a vraiment lieu. Car autant nous pouvons être détendus, tranquilles, dans le calme de ce temple à Couvet, autant le lieu de Sychar où se passe cette histoire est différent.
Sychar tout d’abord, c’est en Samarie. Et la Samarie, quand on est juif, ce n’est pas vraiment un endroit idéal pour ne serait-ce que se promener ! La Samarie, c’est l’endroit exécré, l’endroit où vivent les frères ennemis : les Samaritains.
Mais – nous dit Jean – Jésus choisit étonnamment de passer par là.
« Il devait passer par la Samarie ».
Jésus devait passer par la Samarie. Et une fois en Samarie, il choisit de s’arrêter là, à Sychar.
Alors Sychar, je vous le dis tout de suite, c’est un lieu dont on ne parle, dans toute la Bible, que dans cet épisode. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’évoque rien, ce lieu. Et ce qu’il évoque est plutôt dramatique.
On nous dit en effet que le village de Sychar où nous nous sommes arrêtés avec Jésus est proche du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph.
Cela fait référence à un texte de la Genèse qui évoque la conquête armée de ce lieu par Jacob qui le donne ensuite à son fils Joseph.
Et si on va regarder d’un peu plus près ce qui s’est véritablement passé à cet endroit, on découvre avec stupeur qu’il s’y est passé des choses terribles, puisque c’est là que Sichem (qui est donc aussi un personnage, et pas seulement un nom de lieu), que Sichem avait violenté Dina, la fille de Jacob. Il l’avait violée. Et en représailles, les fils de Jacob avaient demandé aux habitants de Sichem de se faire circoncire, et profitant de leur faiblesse, ils les avaient tous massacrés.
Et si ça ne suffisait pas, le mot de Sychar évoque aussi de par sa sonorité le terme hébreu de l’ivrognerie, et aussi le terme du mensonge.
Bienvenue donc à Sychar – Sichem – lieu des ivrognes et des menteurs; bienvenue dans cet endroit si sympathique où il se passe des choses si agréables, et où Jésus choisit donc de s’arrêter.
Sychar aujourd’hui, c’est peut-être l’endroit que je vois lorsque je regarde ma télévision à l’heure des informations, et que j’entends les échos de notre monde souvent violent, souvent injuste, souvent déchiré par des tensions qui paraissent insolubles. Mais Sychar, c’est aussi chacune de nos histoires, avec ses déchirures, ses blessures, ses cicatrices plus ou moins bien refermées.
Jésus s’arrête donc là, à Sychar, et nous dit-on, il s’y sent fatigué. « Fatigué du chemin ».
Jésus fatigué.
Ça c’est ennuyeux, parce que nous, nous avions envie de lui déposer nos fatigues, de nous permettre en le rencontrant de nous ressourcer ; de recevoir de sa part un peu d’énergie, un peu d’élan, un peu de vie, un peu d’espoir. Et voilà qu’il arrive là fatigué, isolé (ses disciples sont partis et il est resté tout seul).
Cette fatigue de Jésus, elle me touche.
Elle me touche parce qu’elle me le rend bien sûr très humain.
Et, tout à coup, je me sens moins seul dans mes propres fatigues.
Ce Jésus fatigué, il me rejoint dans mes fatigues.
Ce Jésus fatigué, il me fait penser par anticipation au Jésus qu’on retrouvera sur la croix, affaibli, et bientôt mort.
La fatigue du Christ rejoint les miennes.
Elle rejoint aussi les difficultés auxquelles je me trouve confronté. Elle me rejoint même jusque dans la perspective de ma propre mort.
Mais la fatigue de Jésus c’est aussi autre chose.
C’est aussi une fatigue – et il l’exprimera après – qui vient du fait qu’il ne peut pas accomplir sa missionici, au bord du puits de Jacob.
« Ce qui me nourrit, dira-t-il à ses disciples, c’est d’accomplir la volonté de mon père. Ce qui me restaure, ce qui me redonne de l’énergie, c’est lorsque je peux accomplir ma mission. »
Et là, semble-t-il, quelque chose est bloqué.
Le lieu, la solitude, la fatigue : Jésus est en panne à Sychar. Il ne peut rien faire.
Et puis cette fatigue, on va encore la retrouver plus tard. Et c’est ce qui m’a beaucoup surpris : une fois que la rencontre avec la Samaritaine aura eu lieu, Jésus va s’entretenir avec ses disciples.
Et il va leur dire : « Vous, vous pouvez moissonner là où vous ne vous êtes pas fatigués. D’autres se sont fatigués et vous allez profiter de leurs fatigues. »
Qui sont donc ces autres qui se fatiguent pour moi, qui se fatiguent pour nous ?
C’est curieux ce pluriel : ces autres.
On pense bien sûr à Jésus lui-même qui nous rejoint jusque dans nos fatigues, jusque dans nos morts.
Mais ce n’est pas exclusif : il y a plusieurs autres.
Et on peut penser en l’occurrence peut-être aussi à Jean-Baptiste, précurseur de Jésus, qui avait lancé le mouvement. Et au départ de cette aventure en Samarie, il y avait une tension entre les disciples de Jean-Baptiste et les disciples de Jésus : on ne savait plus s’ils étaient vraiment ensemble ou pas. Et Jésus remet tout ça ensemble. Non ! Tout ce qui vous conduit en direction de l’amour de mon Père ; les personnes, les livres, les courants de pensée, les pratiques spirituelles qui vous poussent dans cette direction, qui vous stimulent à être vous-mêmes à votre tour, vivants de cette vie-là, de cet amour-là, eh bien vous profitez de leurs fatigues, vous profitez de leurs efforts. Il n’y a plus rien à faire.
Il n’y a plus rien à faire ! Tout est là. Tout est donné. Tout est offert. Il n’y a plus qu’à engranger, qu’à se réjouir, qu’à moissonner.
Et tout cela se passe au puits de Jacob.
Le puits de Jacob.
Il véhiculait bien des légendes au temps de Jésus, ce puits des patriarches. Par exemple, dans le Targum, il est écrit que le surnom du puits était « don ». Ce puits était surnommé « Don ». Et voilà qui me fait comprendre autrement la parole de Jésus à la Samaritaine lorsqu’il lui dit : « Si tu savais le Don de Dieu ». « Si tu savais le puits de Dieu. Là, en plein midi, au cœur de ton quotidien. Si tu savais qui est là, eh bien c’est toi qui lui aurais demandé à boire. Il y a donc un autre puits que celui auquel tu es venue puiser de l’eau : puits de vie abondante, puits de joie inépuisable pour toi, …et aussi pour moi. »
Ces paroles de Jésus – plus exactement les conséquences de ce dialogue entre Jésus et cette femme pour chacun d’entre eux – m’ont en effet poussé à voir dans ce passage de l’Evangile un miracle qu’on ne remarque pas souvent.
Un miracle qui concerne Jésus lui-même. En arrivant près du puits, Jésus était fatigué. Jésus était affamé, assoiffé. Et voici que lorsque les disciples reviennent de la ville, ils le découvrent régénéré, restauré, n’ayant plus besoin de rien. Il a pu donner à la Samaritaine ce qu’il voulait lui donner (l’eau de son puits), et c’est cela sa nourriture. Comme si cette restauration de Jésus préfigurait – cette fois – sa résurrection. Le voilà rétabli, revigoré par cette rencontre avec cette femme de Samarie. Elle aussi d’ailleurs. L’un et l’autre sont désaltérés – dans tous les sens du terme – par cette rencontre.
Il y a encore une personne dont je n’ai guère parlé.
Cette personne c’est cette partenaire de la rencontre, cette femme qui tout à l’inverse de l’histoire sous-jacente à ce puits – de cette Dina violée par Sichem – va pouvoir se retrouver elle aussi dans sa pleine dimension de femme.
Mais plutôt que de m’attarder sur un commentaire de plus, je vais terminer cette prédication en vous emmenant dans un autre lieu qui est Paris.
J’ai entendu le récit d’un voyage à Paris de gymnasiens suisses – des lycéens – accompagnés de l’aumônier de leur école. Ils ont rencontré notamment un prêtre dominicain appelé Pedro Mecca qui travaille auprès des personnes qui vivent dans la rue. Ce prêtre a raconté cette petite anecdote. Lorsqu’il va dans la rue pour rencontrer les personnes qui y vivent, souvent les clochards l’accostent et lui disent : « Allez Pedro, paie-moi un coup ! »
« Paie-moi un coup ! » Demande fréquente de la part des gens de la rue, qui nous met mal à l’aise parce qu’on sait bien que leur donner de l’alcool n’est certainement pas la meilleure façon de les aider.
Et ce prêtre disait : « Moi, quand on me dit ça, je réponds toujours : « D’accord, mais c’est toi qui m’offres la première tournée » ».
Et on lui demandait : « Et après qu’est-ce qui se passe ? Comment les gens réagissent ? »
Et il a répondu : « On ne m’a jamais refusé une tournée. »
La Samarie est aussi à Paris. Elle est aussi chez nous. Et je vous la souhaite souvent.
Christian VEZ
Revue Lire et Dire No 83 (2010/1)