Culte du 3 juillet 2022 aux Verrières
Prédication par Séverine Schlüter
Lectures bibliques :
- Esaïe 66, 10-14b
- Luc 10, 1-12
Durant la semaine écoulée, nous étions toute une équipe en randonnée sur les routes menant au col du Grand-St-Bernard, sous la houlette de Véronique Tschanz Anderegg qui était notre guide.
J’avais choisi les textes du jour juste avant de partir, et ceux-ci m’ont accompagné tout au long de la marche. Je vous livre ainsi quelques-unes de mes réflexions.
Au sujet de l’équipement, tout d’abord :
Certes, dans le genre de randonnée que nous avons faite, le but était de voyager léger. Mais nous avions tout de même avec nous du rechange, un pull, un imperméable au cas où, des affaires de toilettes, une gourde, des en-cas, un sac de couchage… le minimum pour bien supporter 4 jours de trek en montagne ! Et encore, pas vraiment le minimum, car nous avions la chance d’avoir un bagagiste en or qui, non content de partager chaque jour un bout de marche avec nous, transportait dans sa voiture le plus gros de nos affaires, qui nous attendaient sagement à l’arrivée de chaque étape. De quoi se permettre quelques extras comme une paire de chaussure de rechange, un livre, un petit oreiller de voyage et au retour quelques présents à apporter avec nous…
Jésus, lui, envoie ses disciples avec juste ce qu’ils ont aux pieds et sur le dos… pas de rechange, pas de sac, de valeurs, ni même de quoi se protéger des intempéries ! Leur seul bagage, c’est la paix et la guérison à partager.
Peut-être parce que, ainsi dépouillés de tout ce qui pourrait les alourdir et les encombrer, cela les rend plus disponibles ; disponibles à la rencontre des autres, à leurs besoins, au message dont ils sont porteurs.
Notre guide Véronique nous racontait d’ailleurs comment, sur le chemin du pèlerinage vers Compostelle, on retrouvait à plusieurs endroits des affaires dont les pèlerins s’étaient délestés en route. Comme une manière de réaliser ce qui, dans notre vie, est de l’ordre du superflu, et une invitation à retrouver ce qui est essentiel…
En plus, avant de les lancer en mission, Jésus les avertit qu’il les envoie “comme des brebis au milieu des loups” ! Pas très encourageant. On ne sait pas s’il fait référence aux dangers de la route, aux difficultés qui les attendent, à l’hostilité qu’ils pourraient rencontrer une fois arrivés… un peu de tout ça sans doute.
“Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups”. Cette phrase a résonné en moi quand une des vendeuse de la boulangerie de Martigny nous a dit :
“comment, vous allez jusqu’à Orsières ? Mais c’est à au moins 20 kilomètres ! Et la météo n’est pas bonne. Eh bien, bon courage !”
Cela m’a invitée à récolter, en route, des signes d’encouragement :
- Les cerises sauvages qui bordent le sentier, juste au moment où on sent la lassitude nous gagner
- La petite brise qui se lève alors qu’on est en train de transpirer dans une montée particulièrement difficile
- La bonne humeur des uns et des autres malgré la météo indésirable
- Des paysages à couper le souffle, qu’on ne peut admirer qu’en ayant consenti l’effort des passages difficiles
- Le soutien des uns et des autres dans les moments plus pénibles
- Et tant d’autres choses dont pourraient aussi témoigner ceux et celles qui m’accompagnaient…
Nous étions confiants – mais aussi bien contents d’arriver ce soir-là, fourbus, trempés comme des soupes et grelottants !
Cet envoi de Jésus dit en effet quelque chose sur la confiance, quand il envoie ainsi ses disciples en reconnaissance, sans rien à apporter avec soi.
Confiance des disciples envers celui qui les envoie, qu’ils trouveront ce dont ils ont besoin là où les guideront leur pas…
… mais confiance aussi de Jésus envers les personnes à qui il confie cette mission, en leurs capacités.
Il les envoie tels qu’ils sont, avec leur charismes et leurs manques, mais confiant que du fruit en sortira.
Il ne les envoie pas seul, d’ailleurs. D’une part parce que Dieu et le Christ restent leurs guides, mais aussi parce qu’à chacun, un compagnon sera donné. Pour se soutenir, se réconforter au besoin, se stimuler dans la tâche. Je peux imaginer que parfois, la cohabitation n’est pas forcément allée de soi, et qu’elle a pu créer des tensions ! Impossible d’être d’accord sur tout, et pas évident toujours de s’accorder sur la manière de faire. Pourtant, quand des défis nous sont posés, la solidarité devient essentielle, et au moins peut-on s’appuyer l’un sur l’autre pour avancer.
Au centre de ce récit, il est question d’accueil.
Au moment de choisir les textes, je m’étais demandée à quel verset s’arrêter. J’aurais été plus à l’aise de finir avec la bénédiction accordée aux citoyens ayant accepté d’accueillir les disciples envoyés par Jésus : «Le règne de Dieu s’est approché de vous.» Était-il nécessaire d’y ajouter la menace à l’encontre des villes ayant fait un autre choix ?
Pourtant, quand on est voyageur, et surtout à cette époque, l’hospitalité qu’on reçoit ou non est loin d’être une question anodine !
L’hospice du Grand-St-Bernard en est une illustration, elle qui depuis le XIème siècle s’est vu donner la mission de secourir les voyageurs perdus dans la montagne…
Lors de notre trek, nous en avons fait nous-même l’expérience : la plupart du temps nous nous sommes sentis bien accueillis et attendus – avec plus ou moins de confort, mais ça, ça fait partie de ce genre d’aventure ! Comment, par exemple, oublier cette fois où, après avoir essuyé un orage de grêle et une pluie battante, notre hôte du jour a pris soin des vestes et des souliers de tout le monde, afin qu’ils soient à nouveau secs le lendemain ? Rien à voir avec cet autre moment où, voulant profiter d’une pause, nous nous sommes attablés à une terrasse… et où nous avons eu l’impression d’arriver comme un chien dans un jeu de quilles, comme si notre arrivée dérangeait ! Un endroit à laisser derrière soi. Un peu à la manière de cette poussière qu’on secoue de ses sandales…
L’accueil, d’ailleurs, cela vaut aussi dans l’autre sens : pour celui qui arrive, de quelle manière va-t-il accueillir ce qui se présente, ce qui lui est proposé ?
Tout au long de la route, nous avons dû nous adapter à des lieux bien différents : avec plus ou moins bons lits, l’intimité d’une chambre ou la promiscuité d’un dortoir, les douches plus ou moins exiguës ou équipées, la nourriture parfois inégale, la météo changeante, le chemin plus ou moins agréable, l’environnement bruyant ou apaisant…
Que l’expérience soit bonne ou mauvaise dépend aussi de nous, de notre ouverture, de notre état d’esprit !
Et puis il y a un autre aspect encore dans l’accueil, auquel on pense peut-être moins : l’accueil de soi, et de ses propres limites…
Pour plusieurs, il y a eu un moment où il a fallu composer avec nos forces du moment. Accepter de ne pas marcher aussi vite que les autres, et trouver son propre rythme ; accepter de finir une des étapes en bus, parce qu’on ne se sent pas d’aller plus loin ce jour-là ; accepter que là, vraiment, je ne peux pas rester et qu’il me faut trouver un autre endroit où loger ; accepter que pour certains passages on a besoin de la main secourable d’une compagne ou d’un compagnon de route.
C’est un exercice intéressant à faire, pas seulement en randonnée, mais dans sa vie de tous les jours !
C’est en cela que, finalement, l’idée de secouer la poussière de ses pieds reçoit un sens nouveau pour moi : oser se défaire de ses mauvaises expériences, ne pas rester fixé dessus, laisser derrière soi ce qui encombre nos pensées et le sentiment d’échec… en se rappelant que, quoiqu’il arrive, c’est Dieu qui a le dernier mot : car même là où les portes se sont fermées, peut retentir cette espérance : «Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.»
Il y a dans la mission confiée à la fois une grande responsabilité, mais aussi de liberté finalement. Les disciples sont porteurs d’un message de paix. Leur rôle est de la proclamer et de la transmettre – pas de garantir qu’elle soit reçue : « S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.»
Le texte d’Esaïe parle aussi à sa manière de cette force qui, à la manière d’un fleuve, vient apporter la paix et le renouveau – thème qui sera repris dans un chant que nous chanterons tout à l’heure.
Nous n’avons pas croisé de fleuve… mais beaucoup de rivières et de ruisseaux!
Eaux parfois tumultueuses, parfois calmes et apaisantes ; parfois claires et parfois presque noires ; taries ou abondantes ; tantôt tourbillonnantes, ou tantôt tranquilles… bien canalisées ou cascadant en tous sens… à l’image des différents paysages de nos vies.
La vie n’est pas un long fleuve tranquille dit-on… mais la paix de Dieu est capable de tout nous faire traverser, avec les compagnes et compagnons de route qui nous sont donnés.
C’est le message dont je me sens porteuse… dont nous sommes tous et toutes appelés à être porteurs !
Amen.