Culte du 29 janvier 2022 à Couvet
Prédication de Ion Karakash sur Luc 4/22-30
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L’Evangile de ce jour ne manque pas de surprises !
D’abord, parce qu’il raconte l’un des rares échecs de Jésus au tout début de son ministère, dans sa propre patrie de Nazareth.
Et pourtant tout avait bien commencé : après une tournée pleinement réussie en Galilée, Jésus retourna dans la ville où il avait grandi : il y fut bien accueilli et se vit même confier la lecture de l’Ecriture lors du sabbat à la synagogue.
Comme dit Luc, en ouvrant le livre, – en l’occurrence : en déroulant le rouleau des Ecritures -, Jésus ‘trouva’ le texte d’Esaïe le prophète proclamant ‘l’année de grâce de Dieu’, le Jubilé.
Luc souligne ainsi que ce n’est pas Jésus lui-même qui choisit ce passage : c’était la lecture prévue pour ce jour – mais également pour lui, comme une annonce de sa propre mission (Esaïe 61).
‘L’Esprit du Seigneur est sur moi. (…) Il m’a envoyé pour annoncer aux pauvres
une bonne nouvelle, aux prisonniers la délivrance, aux aveugles la vue…’
Jésus en fit la lecture puis, selon la coutume, se mit à commenter ce qu’il venait de lire.
Luc souligne que l’assistance le regardait et l’écoutait avec attention, – probablement les gens furent-ils surpris par la brièveté du commentaire de Jésus :
‘Aujourd’hui cette Ecriture est accomplie pour vous qui l’entendez.’
Et Luc ajoute :
‘Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient de ses paroles’…
C’est alors que tout bascula, quand les gens commencèrent à se demander : ‘Qui est-il donc, ce Jésus, pour parler avec une telle autorité ? Son père, n’est-ce pas Joseph, le charpentier ?!’
Mais le plus surprenant, c’est la réaction de Jésus : plutôt que d’entrer – ou au moins d’essayer d’entrer en dialogue avec eux, il provoqua et même attisa leur colère, en plusieurs étapes.
Avant même qu’ils aient dit un seul mot, il leur lança : Vous allez me citer le dicton : ‘Médecin, guéris-toi toi-même’ en réclamant que je fasse ici les mêmes miracles qu’à Capharnaüm !
Et il ajouta : ‘Mais moi, je vous dis qu’en vérité aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie !’
Double provocation : d’une part, il s’affirmait lui-même comme un prophète, un messager divin à l’égal du grand Esaïe dont il venait de lire les paroles ; d’autre part, il accusait les gens de Nazareth de ne l’avoir pas bien reçu, alors même qu’ils l’avaient accueilli, écouté et même admiré lorsqu’il lisait et commentait les paroles d’Esaïe !
Et comme si cela n’avait pas encore suffisamment fâché ses auditeurs, il se mit à leur rappeler deux épisodes tirés des livres des Rois où des prophètes avaient agi en faveur d’étrangers : l’histoire d’une pauvre veuve de Sarepta en Phénicie dont Elie avait rendu la vie au fils unique (I Rois 17), puis celle de Naaman, l’officier syrien qu’Elisée avait guéri de sa lèpre (2 Rois 5).
Deux miracles, deux signes d’autorité et de grâce divines – comme ceux que lui réclamaient les gens de Nazareth -, mais c’est justement pour deux païens, deux étrangers au peuple élu, que Dieu était intervenu par l’entremise de ses prophètes !
C’est comme si Jésus avait déclaré à ses compatriotes : l’année de grâce divine qu’annonçait Esaïe, – celle dont je vous ai déclaré qu’elle s’accomplissait aujourd’hui même pour ceux qui l’entendent -, ce sont d’autres que vous qui vont en bénéficier, parce que vous n’êtes pas prêts à l’accueillir vraiment !
On comprend que les gens de Nazareth aient été furieux des paroles de Jésus et qu’ils l’aient littéralement ‘expulsé’ de la ville, dit Luc, comme on expulsait les démons dans les exorcismes ; ils l’auraient même emmené au haut d’une colline avec l’intention de le jeter dans le vide…
Mais Jésus, ‘passant au milieu d’eux’, s’en alla plus loin, à Capernaüm, poursuivre sa mission, enseignant et guérissant avec autorité…
* * *
Certaines choses, dans ce récit, sont difficiles à comprendre, presque paradoxales :
Premièrement, pourquoi Jésus tenait-il à passer à Nazareth, puisqu’il savait apparemment d’avance qu’il ne pouvait qu’être ‘mal reçu chez les siens’ ?!
Cela reste un mystère, – à moins qu’il n’ait voulu préfigurer ainsi le sort qui l’attendrait, plus tard, à Jérusalem, en haut d’une autre colline, surnommée Golgotha…
D’autre part, pourquoi choisit-il de provoquer les gens d’emblée, avant même de les écouter vraiment ni d’essayer de nouer le dialogue, d’entrer vraiment en débat avec
eux ?
Certains commentateurs en sont tellement étonnés qu’ils pensent que l’échec de son passage à Nazareth aurait poussé Jésus à changer d’attitude en se mettant à l’écoute des gens plutôt que de les affronter : cela s’avéra plus propice pour leur annoncer l’Evangile de Dieu !
* * *
Et à nous, aujourd’hui, qu’est-ce que le passage raté de Jésus dans sa propre patrie pourrait nous enseigner ? Je vous propose trois pistes à méditer.
Premièrement, par la prophétie d’Esaïe, ce texte souligne l’universalité de la grâce de Dieu : même s’il a fait alliance avec un peuple particulier, un ‘peuple élu’, ses bénédictions et sa bonté s’étendent en vérité sur toute l’humanité, – peut-être touchent-elles même en premier lieu les plus petits, ceux qui sont blessés dans leur corps ou dans leurs relations sociales : une pauvre veuve à Sarepta, un haut-gradé syrien gangréné par la lèpre, – comme plus tard, sur la route de Jésus, un centurion romain, païen, dont il donna la foi en exemple, ou ce Samaritain guéri de la lèpre et qui revint, seul, pour rendre gloire à Dieu (Luc 7/9 et 17/16).
Cela rappelle le message des Béatitudes, notamment dans la version de Luc annonçant un renversement des situations humaines de vie : ceux qui pleurent maintenant riront un jour futur, et ceux qui rient pleureront ; ceux qui ont faim maintenant seront rassasiés, et ceux qui sont repus connaîtront à leur tour la faim… (cf. Luc 6/20-26)
On pourrait dire qu’après le passage de Jésus à Nazareth, ceux qui étaient par leur origine les plus proches de lui sont devenus, en quelque sorte, les plus étrangers, – même s’il est mort pour eux aussi, – pour que ‘ceux qui autrefois étaient loin soient rapprochés (de Dieu) par (son) sang…’, comme il est écrit dans l’épître aux Chrétiens d’Ephèse (cf. Ephésiens 2/13).
Deuxième piste de réflexion, qui n’est pas sans lien avec celle que je viens d’esquisser :
pour être accueillie, – et lorsqu’elle est vraiment accueillie -, la Parole de Dieu nous fait sortir de nous-mêmes, de nos zones de confort ; elle dérange nos images toutes-faites de Dieu, des autres et de nous, nos catégories établies du bien et du mal, nos certitudes bien ficelées…
C’est une Parole qui prend le plus souvent à rebrousse-poil et qui déplace celles et ceux qui la reçoivent !
Mais c’est justement en cela qu’elle est une Bonne Nouvelle, un message libérateur qui affranchit des règles et des conditionnements pour nous ouvrir au présent de Dieu.
En Dieu, dans le Souffle et la grâce de Celui qui ‘fait toutes choses nouvelles’ (Apocalypse 21/5), le présent est allégé des pesanteurs et des entraves du passé pour nous aimanter à l’avenir : invitation à oser quitter nos habitudes et nos acquis pour découvrir ce que Dieu nous propose et nous offre !
Et cela conduit tout naturellement à ma troisième piste de réflexion à la lumière de l’Evangile :
Comme pour Jésus à Nazareth, il nous arrive, – et sans doute plus souvent qu’à lui -, d’échouer ou d’éprouver un sentiment d’échec, – qu’une initiative bien intentionnée se heurte à un refus, qu’une parole ou un geste d’attention soient rejetés, qu’une main tendue soit ignorée… Lorsqu’il en va ainsi, il nous faut, comme Jésus, continuer notre chemin et ‘passer’ plus loin.
C’est d’ailleurs le conseil que Jésus donnait à ses disciples lorsqu’il les envoyait parcourir deux à deux le pays : si quelque part les gens refusaient de les accueillir et de les écouter, ils devaient simplement reprendre la route et s’en aller ailleurs, ‘sans même garder sous leurs semelles le moindre grain de poussière’ des lieux qu’ils avaient quittés (Luc 10/10-11).
Qu’ils repartent de là sans être en dette de quoi que ce soit envers personne, mais aussi sans le moindre regret ni la moindre rancune envers ceux qu’ils laissaient derrière eux : ainsi leur attention et leurs énergies seraient pleinement tournées vers l’avenir, vers les lieux et les gens qu’ils allaient croiser le lendemain !
Tout au plus pourraient-ils, – comme Jésus le fit peut-être en quittant Nazareth -, tirer de leurs passages ratés des enseignements pour leurs rencontres à venir, afin de mieux entrer en relation avec les autres et leur faire découvrir l’Evangile, – l’annonce de cette grâce de Dieu dont Jésus proclamait : ‘Aujourd’hui même elle s’accomplit pour tous ceux qui l’entendent !’
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Ion Karakash