Culte du 29 décembre à Noiraigue
Prédication sur Luc 2, 21-35
D’Ion Karakash
Pour évoquer la naissance de Jésus, l’évangéliste Luc nous conduit des plus ‘grands’ au plus humbles de ce monde par une série de changements de plans :
- iI commence par César Auguste ordonnant un recensement de son immense empire pour aboutir à Bethléhem, bourgade insignifiante de Judée aux confins de l’Empire ;
- il s’ouvre dans le silence de la campagne de bergers anonymes pour éclater de chants divins des anges avant de nous ramener à un nourrisson couché dans une étable obscure ;
- enfin, quand les parents du nouveau-né montent au temple de Jérusalem pour accomplir la Loi en offrant le sacrifice des pauvres, – en lieu en place d’un agneau et d’une tourterelle, la Loi consentait aux plus démunis d’offrir seulement une paire de tourterelles -, un vieil homme surgit pour saluer en cet enfant l’accomplissement des promesses de Dieu en faveur de son peuple élu… et même de toutes les nations !
Ce va-et-vient du plus glorieux au plus humble reflète la double nature de l’enfant de Noël : à la fois pleinement humain, plongé dans la foule des enfants menacés de Judée et d’ailleurs, et pleinement né de Dieu pour annoncer au monde sa bienveillance offerte, sa paix à recevoir et à répandre malgré tous les obstacles, malgré tous les puissants.
Le sacrifice qu’offrent au Temple Marie et Joseph atteste la pleine humanité de Jésus : comme tous les parents en Israël, ils doivent ainsi remercier Dieu, le donateur, le maître de la vie, mais aussi racheter l’impureté associée aux yeux de la Loi à tout enfantement. C’est dire que cet enfant, comme tout autre, vient au monde en totale fragilité humaine, – ‘né d’une femme, né sous la Loi’, comme le résume l’apôtre Paul. (Galates 4,4)
Et le vieux Syméon intervient alors dans l’Evangile comme le témoin de l’autre face, secrète, de ce nouveau-né : poussé par l’Esprit, il reconnaît en cet enfant un triple accomplissement : – sur le plan communautaire, il voit en cet enfant une promesse pour son peuple et même pour toutes les nations, – l’accomplissement de prophéties anciennes annonçant un temps à venir de paix et de prospérité, un temps de bénédictions divines ;
– sur le plan personnel, il voit en lui l’aboutissement, la réponse longtemps attendue de sa propre espérance : celle d’avoir vu le Messie avant de mourir ; sans doute cette espérance lui aura-t-elle coûté nombre de désillusions, – mais lorsque cet enfant lui apparaît, toutes les attentes de Syméon s’achèvent dans la lumière, et avec elles sa vie de fidèle, de témoin ; – enfin, sur le plan intime de Marie, mère de l’enfant, Syméon lui prédit un déchirement futur, une blessure affective, – le prix qu’elle paiera pour que son fils, son enfant bien-aimé, aille jusqu’au bout de son chemin d’humain et de la mission que Dieu lui avait assignée.
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Au seuil du tournant de l’an, j’aime m’arrêter sur cet épisode de la Nativité pour le méditer : la rencontre d’un vieillard et d’un nouveau-né, – le carrefour d’une vie qui s’achève, parvenue à sa destination, et d’une autre qui s’ouvre avec son à-venir à découvrir de promesses et de bénédictions, mais aussi de blessures, de déchirements, de douleurs et de mort…
Passer d’une année à l’autre sur le plan collectif, c’est dresser le bilan contrasté et même contradictoire de nos efforts et de nos résultats, et c’est faire face aussi à la part sombre des menaces de conflits à venir, absurdes et inutiles assurément, mais inévitables, peut-être, aussi longtemps que nations, gouvernements et même religions opposeront leurs prétentions particulières de puissance et de gloire à l’humble sagesse de la raison et d’une solidarité salutaire dans notre commune imperfection et notre commune vulnérabilité d’humains.
Sur le plan personnel, passer d’une année à l’autre, c’est laisser aller ce qui restera à jamais inachevé de nos actes, de nos rencontres comme de nos intentions, pour que puisse advenir au fil des jours et des saisons de l’an nouveau la part d’inconnu et d’imprévu que nous aurons à déchiffrer et à défricher.
Enfin, faisant écho à ce que Syméon prédisait à Marie sur le plan de sa vie relationnelle, c’est la reconnaissance et l’acceptation que nos relations les plus intimes, les plus précieuses, demeurent toujours sous la menace de déchirements possibles, de ruptures, d’’épées qui transpercent le cœur’, parce qu’aimer, – choisir d’aimer un enfant, un conjoint, un proche -, c’est aussi s’exposer à l’épreuve d’une possible séparation.
Voilà pourquoi, comme Syméon, j’ai besoin de l’Esprit pour quitter l’année qui s’achève,
– avec sa part d’échecs, de déceptions et d’inaccompli que je remets à Dieu -, et accueillir l’année qui vient comme un enfant destiné à croître, à devenir, à apprendre autrement la vie.
Quitter ainsi une année dans la grâce de Dieu et entrer dans l’année nouvelle et inconnue avec la confiance qu’elle reposera dans la même main et la même grâce divines.
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Je constate d’ailleurs que l’an nouveau commence pour nous au septième jour de Noël, le jour où l’Evangile indique que l’enfant reçut son nom de Jésus, ‘Jehoshoua’ : ‘Dieu sauve’.
Or ‘Jehoshoua’, – Jésus, mais aussi Josué -, était un prénom des plus courants que nombre de fils d’Israël avaient en commun à l’époque avec celui de Bethléhem et de Nazareth.
Le Fils de Dieu né dans une crèche n’avait pas même un nom qui le distinguait des autres enfants : par son prénom même, Jésus était immergé dans la multitude de ses semblables, ses frères en humanité !
L’année qui vient ne peut s’ouvrir vraiment comme un temps où Dieu nous accompagne de ses bénédictions que si nous sommes prêts à quitter Noël sans regrets, – à laisser derrière nous bougies et sapins, dorures et festivités -, pour entrer dans le temps ordinaire et commun à tous les humains, au milieu et à la rencontre d’autres enfants d’humanité.
Pour entrer dans l’an nouveau à la lumière de Jésus, il nous faut délaisser rêves et contes de l’enfance et avancer derrière lui sur ses traces d’adulte, – celles qui l’ont conduit aux séparations, aux reniements et à la Croix, mais celles aussi et surtout par lesquelles il aura pu ‘rendre la vue à des aveugles, délivrer des captifs, relever ceux que l’on humiliait et proclamer à tous une année de grâce de Dieu’. (Luc 4,18-19)
Le vieux Syméon, qui reconnut l’enfant au Temple, et Marie l’attentive, dont l’évangéliste précise qu’elle gardait tout dans sa mémoire (Luc 2,19) avant de suivre son fils jusqu’au bout, nous en balisent la voie et ils l’éclairent pour nous de leur confiance et de leur foi.
Parole d’envoi
Fragment d’un poème repris par le roi d’Angleterre (George VI) à Noël 1939 dans son message à son peuple au seuil d’une année à venir d’incertitudes et de combats :
Je dis à l’homme qui se tenait à la porte de l’année :
‘Donne-moi ta lumière, pour que je puis aller vers l’inconnu dans la sécurité !’
Mais l’homme me répondit :
‘Va dans l’obscurité, et mets ta main dans la main de Dieu !
Ce sera plus sûr, pour toi, qu’une lumière ou un chemin que tu connaîtrais à l’avance…’
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