Je le veux : sois purifié !

Message de Ion Karakash pour les cultes du samedi 13 février à Couvet et du dimanche 14 février à Saint-Sulpice

image trouvée sur : https://www.ctamission.com/purifiez-les-lepreux

Lecture:

*Marc 1, 40-45 – Jésus purifie un lépreux

Au début de son activité en Galilée, Jésus résidait à Capharnaüm dans la maison de famille de ses disciples Simon et André. Sa réputation croissait, aussi bien par l’originalité de son enseignement que par son pouvoir de guérisseur, – la belle-mère de Simon en fut une des premières bénéficiaires.

Un jour, au risque de voir la foule s’en prendre à lui et le chasser à coups de pierres, un lépreux s’approcha de Jésus et s’agenouilla en l’implorant :
‘Si tu le veux, tu peux me rendre pur !’
Quant à la manière dont Jésus accueillit ce malheureux, les manuscrits de l’Evangile de Marc divergent : la plupart affirment que Jésus fut ému de compassion en le voyant venir, mais quelques-uns évoquent plutôt sa colère. Quoi qu’il en ait été, Jésus tendit la main et toucha le lépreux, disant :

‘Je le veux : sois purifié !’

Aussitôt l’homme fut guéri de sa lèpre et Jésus (sur ce point, tous les manuscrits concordent !) l’expulsa avec véhémence.
‘Garde-toi de rien dire à personne, mais va te montrer au prêtre en apportant les offrandes prescrites par la Loi de Moïse : ce sera pour eux un témoignage.’

‘Un témoignage’ disait Jésus, envoyant le lépreux au temple tout en lui demandant de garder le silence.
Mais à peine parti, l’homme se mit à témoigner partout de ce qui lui était arrivé et à répandre la Parole, – en sorte que Jésus lui-même ne pouvait plus entrer dans une localité ouvertement : il demeurait dehors dans des endroits déserts, et les gens venaient à lui de partout…

Message

Le récit de la guérison du lépreux dans l’Evangile de Marc surprend par son extrême sobriété : pas de formule magique, pas de geste mystérieux de Jésus, pas même une prière ni un regard levé vers les cieux !
Uniquement une parole claire de Jésus, sans la moindre ambiguïté : ‘Je le veux : sois purifié !’, accompagnée d’un geste des plus élémentaires : tendre la main et toucher le lépreux.

En ce temps-là, la lèpre signifiait une mort sociale, – même si la maladie n’était que rarement mortelle. Engendrant une dégénérescence osseuse qui affectait aussi le système nerveux, la lèpre provoquait diverses formes d’infirmité : elle pouvait déformer les traits du visage, mutiler les mains et les pieds, affecter même la vue. Considérés contagieux, les lépreux étaient qualifiés d’‘impurs’ aux yeux de Dieu, et par conséquent exclus de la communauté ; il leur était strictement défendu de s’approcher d’autrui, – si ce n’est des malheureux qui partageaient leur sort, et s’ils venaient à transgresser cette interdiction, on les expulsait aussitôt à coups de pierres.

(De nos jours, on compte encore environ trois millions de personnes atteintes de la lèpre, principalement au Brésil, en Inde et dans quelques pays africains de l’hémisphère sud, dans des régions caractérisées par la pauvreté, la promiscuité et le manque d’hygiène.)

Un lépreux était ainsi à l’époque une sorte de mort ambulant, – littéralement un ‘intouchable’. D’où le caractère inattendu, hors-norme, voire scandaleux, du geste de Jésus tendant sa main pour toucher le lépreux : un lépreux que l’on avait touché n’était déjà plus lépreux, – il n’était plus l’impurqu’il avait été jusque-là, les gens ayant peur d’être contaminés à son approche. (Il n’y a pas si longtemps, une attitude similaire discriminait les personnes atteintes du SIDA ; et le coronavirus suscite actuellement une méfiance de même nature, incitant les gens à se tenir loin les uns des autres, voire à critiquer mutuellement leur comportement…)

Mais par le geste on ne peut plus simple de Jésus, – tendre la main et toucher le lépreux -, tout était dit, tout était accompli : la vie de cet homme était transformée, il devenait quelqu’un d’autre, de nouveau, – non seulement dans sa peau, dans son corps gangréné par la maladie, mais dans ses relations et sa place en société.

Aussi Jésus lui ordonna-t-il d’aller au temple pour offrir le sacrifice rituel des lépreux purifiés : aux yeux d’autrui comme à ses propres yeux, il fallait encore qu’il soit reconnu pleinement rétabli devant Dieu, pleinement fréquentable, sans crainte ni méfiance.

***

Dans le récit que Marc, il reste à comprendre la surprenante colère de Jésus, – qu’elle ait éclaté dès qu’il vit approcher le malheureux ou qu’elle se soit manifestée seulement lorsque Jésus, après l’avoir guéri, l’envoya au temple, – littéralement l’y expulsa, dit Marc -, comme il le faisait des esprits maléfiques qui tourmentaient les possédés.

Cette fois pourtant, ce n’était pas un démon que Jésus congédiait ainsi, mais un être humain en souffrance qu’il venait de guérir. Pourquoi donc ce soudain emportement de Jésus ?

Était-il fâché d’avoir dû, une fois de plus, intervenir pour combattre le mal, alors qu’il aurait préféré s’en aller prier seul, à l’écart ? Ou bien était-il indigné par la manière dont les gens traitaient ce malheureux, – comme un dangereux pestiféré et un coupable que Dieu punirait ? Jésus en voulait-il au lépreux de l’avoir interpellé comme un seigneur velléitaire et capricieux (‘si tu le veux, tu peux…’) ? Ou pressentait-il qu’une fois guéri de son mal, cet homme ferait exactement le contraire de ce qu’il lui aurait demandé ?

L’Evangile ne le précise pas, nous laissant face au mystère de ce coup de colère…

Quant à la véhémence avec laquelle Jésus renvoya l’homme purifié de son mal, – il l’‘expulse, écrit Marc -, on peut y voir sa volonté d’empêcher ainsi une nouvelle forme de dépendance, – empêcher cet homme à peine délivré de se soumettre à lui comme il l’avait été jusque-là à sa maladie : Jésus lui rend sa liberté, il la lui impose même, – au risque que cet homme désobéisse à sa consigne de silence … et que Jésus lui-même soit obligé à son tour de se tenir ‘dehors, dans des endroits déserts’, exclu comme l’avait été le lépreux, – mais attirant, malgré lui, les foules comme un guérisseur, un faiseur de miracles, plutôt que de les orienter à Dieu !

***

Quelle qu’ait été la raison de la colère soudaine de Jésus, il reste que ce bref récit de guérison, pour moi, ne contient pas moins de trois miracles !

Premier miracle : que le lépreux ait trouvé le courage, – courage du désespoir, peut-être -, d’approcher de Jésus, malgré l’hostilité de la foule qui aurait pu le chasser à coups de pierres et malgré le risque de se voir rejeté par Jésus.
Un véritable miracle de la confiance : Je crois que si tu le veux, tu peux me purifier, – tu peux me délivrer du malheur qui m’accable, m’empêchant de vivre une vie pleinement humaine !’

Deuxième miracle : non seulement Jésus n’a pas reculé en voyant approcher ce lépreux, mais il a répondu à son cri par un geste qui instaurait entre cet homme et lui une relation nouvelle : il tend la main et le touche. ‘Je le veux : tu es pur, – mon semblable, mon frère en humanité !’ Rien de magique ni de surnaturel en cela, – mais une miraculeuse faculté d’entrer en relation : cette capacité rare que Jésus allait aussi mettre en œuvre avec un sourd-muet lorsqu’il inventa quasiment un langage des signes accompagné d’une unique parole, aisée à lire sur les lèvres : ‘Effata !’. (Marc 7/31-37)

L’histoire de la purification du lépreux, c’est le miracle d’une vie transfigurée, – on pourrait dire : ressuscitée -, par Celui qui allait bientôt parfaire son parcours de témoin en se laissant clouer sur une croix… avant de renaître d’entre les morts pour une vie nouvelle.

Troisième miracle : malgré la consigne de silence que Jésus lui avait expressément donnée, l’ancien lépreux se met aussitôt à révéler à tout va les pouvoirs salutaires de Jésus, – celui que l’on jugeait puni de Dieu devient témoin de l’Evangile !
Cet homme qui incarnait jusque-là aux yeux des autres – et peut-être aussi à ses propres yeux la colère et le jugement de Dieu -, cet homme devenait le messager d’une Parole de vie et de liberté, – Parole de confiance en un Dieu qui ne condamne pas, mais qui relève et bénit, rendant possible une existence et des relations nouvelles…

***

Que retenir pour nous, aujourd’hui, de cette guérison rassemblant trois miracles ?

En premier lieu, le fait qu’il n’y a aucun danger de contagion dont nous devrions préserver l’Eglise et l’Evangile, ou bien nous préserver nous-mêmes en tant que Chrétiens : la peur qui conduit au repli sur soi est l’indice d’une absence de foi, manque de confiance en ce Dieu qui nous rejoint en Jésus et nous délivre du mal.

Nous n’avons pas à craindre de nous approcher d’autrui ni de laisser autrui approcher de nous, – quelles que soient ses blessures et ses infirmités possibles, ses aspirations ou ses convictions différentes des nôtres !

La foi chrétienne n’est pas une école de soumission patiente et passive à un destin qui serait décidé d’avance et nous serait imposé d’ailleurs : elle est une invitation à agir en confiance et sans crainte, – comme ce lépreux avec sa double initiative, qui ose aller appeler Jésus à l’aide malgré son infirmité qui le rendait ‘impur’, puis s’en va témoigner partout de son Libérateur, au risque des moqueries, des médisances ou des injures … et même de lui désobéir !

Ion Karakash

Parole et prière d’envoi (parue dans la ‘Vie protestante’ en mars 1977 / auteur inconnu)

S’il me fallait dire aujourd’hui la Bonne Nouvelle du Christ mort et ressuscité, je dirais
liberté à l’égard de mon corps, autrement dit : souplesse ;
liberté à l’égard de mes biens, autrement dit : générosité ;
liberté à l’égard de mon temps, autrement dit : disponibilité ;
liberté à l’égard de mon espace, autrement dit : accueil.

Alors mon prochain connaîtrait
la tendresse, plutôt que la dureté de mon corps ;
l’abondance, plutôt que la rareté de mes biens ;
la rencontre, plutôt que la dispersion de mon temps ;
la proximité, plutôt que la fuite de mon espace.
En un mot, il y aurait quelque chose de nouveau, de changé dans ma vie !

Mais si vraiment le Christ est mort pour m’enrichir de sa pauvreté,
s’il est vraiment ressuscité,
pourquoi ne vivrais-je pas, ici et maintenant déjà, la Bonne Nouvelle de la Résurrection ?!…

O Christ, mort et ressuscité, enseigne-moi, – enseigne-nous -,
la liberté de ton amour, l’audace fondée sur tes promesses
et la confiance de nous savoir enfants de Dieu !