Prédication de Ion Karakash au temple de Couvet le 11 septembre 2021 – accessible en fichier pdf par ce lien
Prédication sur Marc 9 / 14 – 29 Couvet, 11.9.2021
Il y a quelques phrases de la Bible qui sont pour moi comme des phares qui éclairent mon chemin de foi, avec ses jours tranquilles et ses temps de tempête et d’incertitude.
L’une d’entre elles est au cœur du passage de l’Evangile que nous venons d’entendre, et ce n’est pas Jésus qui la prononce, mais un homme, – un père qui refuse de perdre espoir face à la maladie de son fils, des crises d’épilepsie, et qui appelle Jésus à son secours.
‘Si tu le peux, – dit-il -, fais quelque chose pour cet enfant !’
Et comme Jésus lui répond : ‘Si je peux ?!… Tout est possible à celui – ou à celle – qui croit !’, cet homme s’écrie : ‘Je crois, Seigneur ! Viens à mon aide dans ma non-foi !’
Un cri de foi – et d’absence de foi – qui m’accompagne et renouvelle ma confiance de croyant, comme la plus belle, la plus forte, la plus sincère des confessions de foi.
Qu’est-ce donc que la foi ?
– Est-ce la conviction intime, née d’une expérience ou de la contemplation de la nature, qu’’il y a au-dessus de nous ‘Quelque chose’ ou Quelqu’un’, une Puissance qui nous donne vie ?
– Est-ce un optimisme à toute épreuve, persuadé que ‘tout finit toujours par s’arranger au mieux dans le meilleur des mondes’ grâce à une intervention divine providentielle ?
– Ou bien encore est-ce l’adhésion à une doctrine, à un catéchisme enseigné par l’Eglise au sujet de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, ou de la naissance miraculeuse du Christ ?
– Mais la conviction qu’‘il y a Quelqu’un (ou Quelque chose) au-dessus de nous’ reste vague, elle n’engage pas à grand-chose et n’offre pas grand réconfort face aux difficultés et aux dilemmes de la vie quotidienne…
– Quant à l’optimisme confiant en une Providence céleste, il ne cesse d’être contredit par les événements, par les malheurs et les violences : où donc est-elle, cette Providence, lorsque meurt un enfant, lorsque des gens qui aspirent à vivre en paix se noient dans la Méditerranée, lorsque des inondations, des incendies ou des attentats font des dizaines de victimes ?
– Reste l’adhésion à une confession, à une doctrine transmise de génération en génération ; mais un tel credo transmis, appris et accepté n’aboutit-il pas aussi à des impasses, parce que ses mots d’un autre temps reflètent d’autres visions du monde, de l’humain et de la vie que celles qui nous habitent en ce 21ème s., après Newton, après Darwin, après Freud et Einstein ?
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‘Je crois, Seigneur ! Viens à mon aide dans ma non-foi !’
Je tiens absolument à cette manière de traduire le cri du père désespéré et néanmoins confiant, tel que l’évangéliste Marc l’a rapporté en grec : ‘viens à mon aide dans ma non-foi !’
Il n’est pas question ici d’un ‘manque de foi’, comme on le traduit généralement, mais bien, littéralement, de ‘non-foi’, – une ‘non-foi’ qui accompagne et qui complète le ‘je crois’ !
Cet homme remet au Christ sa foi et sa non-foi, comme si l’une n’allait jamais sans l’autre : la confiance et le doute, la certitude et les questions…
Et Jésus accueille cette part de non-foi : il répond à l’appel de ce père en délivrant son fils de la force maligne qui l’agitait, des crises imprévisibles qui le tenaient à leur merci.
Cette association surprenante, – paradoxale -, de la foi et de la non-foi n’a jamais été vraiment comprise ni acceptée : dès le premier siècle de notre ère, la phrase telle que la formulait l’évangéliste Marc a fait l’objet de modifications ou de corrections qui se reflètent déjà dans les Evangiles de Luc et Matthieu.
Tous deux connaissaient bien l’Evangile de Marc et s’en sont inspirés pour écrire les leurs, – mais cette parole-là, ce cri d’un père à bout d’espérance face à la maladie de son fils, tous deux l’ont censurée ou du moins atténuée.
Matthieu supprime purement et simplement la confession de cet homme et la remplace par une allusion faite par Jésus au ‘peu de foi’ des disciples qui n’avaient pas su guérir l’enfant.
La foi devient une donnée quantitative, mesurable, – comme on parle parfois d’une ‘grande’ ou d’une ‘petite foi’.
Par ailleurs, Luc comme Matthieu s’écartent aussi de Marc en évoquant les reproches que Jésus ferait à la ‘génération sans foi et perverse’ qui l’entourait, – alors qu’en Marc il n’est question que d’une ‘génération sans foi’. On en arrive ainsi à associer la foi, – ou plutôt, en l’occurrence, l’absence de foi -, à la ‘perversité’.
La foi, ne devient pas seulement quelque chose de mesurable, de quantifiable : elle s’accompagne encore d’une évaluation qualitative, d’un jugement porté sur autrui. Celles et ceux qui ne partagent pas la foi commune deviennent des pervers et des mal-vivants, ce qui mènera plus tard, – à une époque où l’Eglise fut investie, hélas, de grands pouvoirs -, aux croisades et aux inquisitions…
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Revenons donc à l’Evangile de Marc et à ce cri d’un père qui appelait Jésus au secours :
‘Je crois, Seigneur ! Viens à mon aide dans ma non-foi !’
A l’exemple de ce père, nous n’avons pas seulement notre foi à présenter et à offrir à Dieu : notre non-foi a également sa pleine et juste place devant lui – et même en lui et grâce à lui !
Le contraire de la foi, ce n’est pas la non-foi, – ce ne sont pas le doute ni l’esprit critique ni même l’athéisme.
Le véritable contraire de la foi, c’est la mauvaise foi :
– c’est l’aveuglement conscient de la crédulité, de l’ignorance délibérée ou de la paresse d’esprit ;
– c’est l’idolâtrie de la superstition et de tout ce que l’humain vénère en lieu et place de Dieu pour masquer ses faiblesses et sa fragilité ;
– et c’est surtout le fanatisme qui s’arroge le droit de juger, se substituant à Dieu pour décider du bien et du mal, du vrai et du faux, du respectable et du blasphématoire…
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Et c’est justement là que Marc situe dans ce récit de l’Evangile la place de la prière.
A ses disciples qui lui demandaient pourquoi eux n’avaient pas su guérir l’enfant malade, Jésus répondait que ‘ce genre d’esprit malfaisant ne peut être expulsé que par la prière’.
Prier, c’est nous remettre à Dieu tels que nous sommes, avec notre foi et notre non-foi, – avec nos convictions et nos incertitudes, notre courage et nos peurs, avec nos propres infirmités et nos démons intérieurs.
Si nous pouvons le faire, si l’Evangile nous invite à oser le faire, c’est que Jésus a pleinement partagé notre condition d’humains devant Dieu : il a connu, bien avant nous, l’angoisse et la lassitude, les larmes et les colères, … et même le sentiment d’être abandonné de Dieu.
La pleine humanité de Jésus permet et appelle notre prière d’humains, – avec la part en nous de la foi et celle de la non-foi.
Car la vraie foi, faite de confiance et de reconnaissance, mais aussi de doutes et d’incertitude, n’est pas de l’ordre d’une émotion ressentie ni d’un optimisme à toute épreuve ni de l’adhésion à une doctrine particulière : elle est de l’ordre d’une relation.
La véritable foi est une relation dont Dieu est la source et dont nous sommes, – chacune et chacun de nous, personnellement, mais aussi les uns avec les autres -, les partenaires et les témoins, avec nos faiblesses et nos fautes, nos inconstances et nos contradictions d’humains.
Nous ne sommes pas et n’avons pas à vouloir devenir meilleurs fidèles que les compagnons dont Jésus lui-même avait choisi de s’entourer :
pas meilleurs que Simon Pierre, avec ses audaces aussitôt suivies de reniements ;
pas meilleurs que Thomas, avec ses doutes et son besoin de toucher pour croire ;
pas meilleurs que Judas, le compagnon de la première heure qui finit par trahir, déçu ;
pas meilleurs non plus que tous les autres, enfuis et dispersés à l’heure de la Passion…
En matière de foi, nous ne sommes pas et n’avons pas à aspirer à devenir meilleurs qu’eux ;
il suffit qu’après eux, – après l’apôtre Paul, après Martin Luther et tant d’autres -, nous osions dire ‘je’, car le verbe croire a toujours besoin d’un sujet qui se risque à dire avec confiance : ‘Je crois’,
… sans oublier d’ajouter aussitôt, comme le père de l’épileptique :
‘Viens à mon aide, – accueille-moi, préserve-moi, guide-moi -, dans ma non-foi !’
* * * * * Ion Karakash
Prière d’intercession sur Marc 9/24 : foi et non-foi
Père, ta puissance de vie est encore et toujours à l’œuvre
au-dedans de nous comme autour de nous :
elle qui a relevé Jésus d’entre les morts demeure présente dans nos vies
nous invitant à affronter les puissances de mort et de souffrance.
Nous te rendons grâce pour toutes celles et tous ceux
qui dans l’épreuve sont restés debout, témoins vivants de ta vie en eux,
et nous te bénissons pour tous les artisans de paix et de compréhension
qui nous aident à résister aux forces de haine et de violence.
Nous te prions de rassembler partout des femmes et des hommes
témoins de ta fidélité et de tes promesses
avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs convictions et leurs questions,
leur doute et leur courage, – leur foi et leur non-foi…
Oui, Père : renouvelle sans cesse en nous et parmi nous
cette foi évangélique qui n’est pas possession ni garantie,
mais relation de confiance où notre quotidien s’inscrit
entre le baptême de ton Fils et sa résurrection :
nous croyons en toi, Père, – assiste-nous dans nos absences de foi…
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