Prédication de David Allisson, 13 et 14 février 2016, Môtiers et Travers – carême 1
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Lecture de la Bible
Deutéronome 26,2.4-10
Luc 4,1-13
Message
« Donne-moi le premier qui vient, il sera parfait, merci » – C’est ce qu’on dit à table quand on se sent bien en bonne compagnie et que l’ami va nous resservir. Oui, tout est bon. Et je vais en profiter. Peu m’importe le morceau de pain ou de fromage, donne-moi le premier qui vient. Ce sera parfait. Merci.
Il y a un peu de cela dans ce qu’évoque le Deutéronome, sauf qu’en l’occurrence, il est question du meilleur des prémices de la récolte, des premiers produits de la terre. Ce meilleur des premiers produits est pris, apporté au temple et donné au prêtre, pour que ce meilleur des premiers produits soit offert à Dieu.
L’homme donne avant même de posséder. Ceci vient du sentiment profondément ancré qu’au fond, rien ne m’appartient. Tout m’est donné. Tout m’est prêté. Dans ce texte du Deutéronome, ce qui est prêté, c’est la terre que nous confie le Seigneur.
Nous n’avons aucune prétention sur cette terre.
Nous ne l’avons pas acquise par un fait que nous aurions accompli.
C’est à une spiritualité de la reconnaissance que nous sommes invités en lisant le Deutéronome.
Jésus puise à cette spiritualité du Deutéronome pour éviter les croche-pattes que lui fait le diable pour le tenter.
Il sait à qui il a à faire, le diable. Il flatte Jésus en évoquant la force et les pouvoirs du Fils de Dieu : le pouvoir de nourrir et calmer la faim, y compris la sienne propre, le pouvoir de possession et de domination de la terre, et finalement le pouvoir de Dieu lui-même. Dans cette tentation du pouvoir, ce n’est même pas le pouvoir le problème. Le problème est que la tentation proposée à Jésus est d’utiliser le pouvoir pour lui-même, pour sa propre personne. Et le diable est malin : il va jusqu’à rappeler la promesse d’un psaume : « Dieu ordonnera à ses anges de te garder. Ils te porteront sur leurs mains pour éviter que ton pied ne heurte une pierre » [Ps 91,11-12]
Mais Dieu n’est pas un assureur et sa protection n’est pas un produit de consommation. Jésus ramène à chaque fois son interlocuteur à ce qui vient avant toute chose et qui est rappelé tout au long du Deutéronome et de nombreux textes bibliques : ce dont je dispose m’est donné par Dieu, c’est à faire fructifier pour le bien de tous. Comme nous le lisions dans la première lettre de Jean avec les catéchumènes l’autre jour : « L’amour consiste en ceci : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés en premier. » [1 Jn 4,10]
Voilà justement pourquoi les agriculteurs ne sont, pour le Deutéronome, que des locataires, des métayers. La terre appartient d’abord à Dieu. Les humains la travaillent et en récoltent des fruits dans la reconnaissance à Dieu.
A notre époque et dans nos sociétés, il n’y a pas que les terres cultivables qui nous sont confiées et prêtées car en Suisse, nous vivons sur un terreau économique fertile sur lequel foisonnent tout un tas de petites entreprises diverses et variées, tout comme de grandes multinationales : elles aussi s’épanouissent pleinement sur ces terres qui nous sont mises à disposition. La Suisse est le deuxième pays mondial pour le commerce des matières premières. En outre, plus de la moitié de l’or échangé dans le monde passe par la Suisse. Par ailleurs, bien que nous n’en cultivions pas du tout, notre pays compte parmi les plus grands exportateurs de café de la planète. Enfin, près d’un tiers des travailleurs suisses sont employés par des multinationales.
Dans ce contexte mondial, que veut dire le passage suivant : « C’est pourquoi maintenant j’apporte au Seigneur les premiers produits des terres qu’il ma accordées » ? [Dt 26,10]
L’attitude fondamentale de gratitude est un fil rouge tout au long du texte de la Bible. C’est la clé de compréhension de cet extrait :
Cette gratitude nous fait reconnaître que le fait de posséder et de profiter s’accompagne d’une bonne dose de responsabilité. Posséder et profiter ne doit pas seulement servir l’intérêt individuel, mais doit tendre vers un objectif supérieur. L’agriculteur qui se prosterne devant Dieu admet ainsi qu’il y a quelque chose qui le transcende lui et son profit personnel : Grâce à mon travail et à mes biens, je sers Dieu. Et par là même occasion, je sers la vie et le bien-être de tous.
En éthique, on parle de l’obligation sociale qu’induit la propriété : tout ce que je possède, que ce soit mes terres, mon argent, mais aussi ma sécurité, mon éducation, mes amis, ou encore mes capacités physiques, est assorti d’une responsabilité envers l’intérêt général. Pour les entreprises dont l’empreinte est globale, cette responsabilité ne s’arrête pas à nos frontières, mais couvre aussi toute personne et toute ressource touchées par leurs activités.
La gratitude apporte la joie : « Ensuite, avec les lévites et les étrangers qui habitent votre pays, vous vous réjouirez de tous les bienfaits que le Seigneur votre Dieu vous a accordés, à vous et à vos familles. » [Dt 26,11]. C’est ce que dit le verset 11 du texte que nous lisons aujourd’hui, juste après l’extrait que nous avons entendu. Cet appel inclut une dimension sociale. Cette joie n’est rien d’égoïste puisque tous devraient se réjouir, y compris les lévites, qui travaillent au temple et ne possèdent aucune terre, tout comme les étrangers qui habitent le pays. En effet, le profit et la joie doivent bénéficier à tous.
Soyons reconnaissants de ce qui nous est offert, réjouissons-nous de ce que nous possédons qui nous permet de réaliser tout un tas de choses. Employons ces deux choses, le don et le gain, de manière responsable pour les partager au profit du plus grand nombre. Ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons à apporter à Dieu aujourd’hui les prémices des fruits du sol.
« C’est pourquoi maintenant j’apporte au Seigneur les premiers produits des terres qu’il ma accordées » [Dt 26,10]
Mon histoire est mêlée à celle des ancêtres des croyants : Abraham, Joseph, Moïse, Josué et leurs descendants.
Mon histoire est mêlée à celle de mes ancêtres qui comme ces patriarches ont eu une confiance reconnaissante en Dieu de qui ils ont tout reçu.
« C’est pourquoi maintenant j’apporte au Seigneur les premiers produits des terres qu’il ma accordées » [Dt 26,10]
Amen.