Indices de vie dans nos tombeaux

Culte de l’aube pascale, le 31 mars 2024 à Môtiers

Prédication de Cyprien Mbassi

Lectures : Genèse 9, 12-16;  Josué 3, 14-17; Esaïe 49, 7-10; Jean 20, 1-10

Chers frères et sœurs,

Nous célébrons la fête de Pâques. Paradoxalement, il y a un décalage entre notre joie de célébrer Pâques et les émotions qui se dégagent de l’évangile que nous venons d’écouter. Dans cet évangile, il y a de la tristesse, il y a de l’inquiétude voire de la panique. Ce décalage est très intéressant parce qu’il nous rappelle que Pâques est avant tout un événement de foi et que la foi a quelque chose d’inconfortable humainement.

Dans cet évangile, il y a d’un côté, une logique typiquement humaine représentée par Marie-Madeleine ; d’un autre côté, une logique de foi représentée par Jean ; et puis, on pourrait ajouter une troisième logique, une logique totalement floue. Elle est représentée par Pierre. On ne sait rien de la foi de Pierre au tombeau. Pierre a couru comme Jean. Il a fait le même constat que Jean et Marie-Madeleine. Mais rien n’est dit sur sa foi. On ne sait pas s’il croit ou s’il ne croit pas.

Marie-Madeleine est en panique parce qu’elle a constaté quelque chose de grave. C’est l’absence du corps de Jésus au tombeau. Elle court alerter Pierre et Jean. Et une autre course s’engage en sens inverse. C’est une aube de Pâques très dynamique. Une procession au pas de course. Mais c’est un dynamisme qui a plus de questions que de réponses, plus d’inquiétude que de sérénité, plus de logique humaine que de foi.

L’absence du corps de Jésus au tombeau fait suite à un événement extrêmement tragique et douloureux : celui de sa mort dans les conditions épouvantables de la crucifixion. Et cela dans l’impuissance totale des disciples, hommes comme femmes. Marie-Madeleine en fait partie. Jésus, le maître, leur a été enlevé de manière tragique. Il ne reste de lui que son corps. Un corps qui a été enseveli dans la précipitation et de façon provisoire parce que la fête juive du sabbat était proche.

 Marie-Madeleine se rend au tombeau pour honorer ce qui reste de la présence du Christ : son corps. A sa grande surprise, le tombeau est vide. Et elle a déjà son interprétation : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau ». C’est une interprétation très humaine qui suscite des émotions difficiles : à la tristesse du deuil, s’ajoutent l’inquiétude et peut-être la panique. Dans la suite du récit, il est dit que Pierre et Jean rentrent chez eux, tandis que Marie-Madeleine reste en pleurs près du tombeau. Elle est complètement installée dans son deuil. Sa question n’est même pas de savoir qui a enlevé le corps, mais où on l’a déposé. Tout ce qu’elle souhaite à cet instant, c’est de retrouver le corps pour accomplir le rituel funèbre.

Deux anges lui apparaissent par la suite et lui demandent pourquoi elle pleure. Elle leur dit la même chose qu’aux disciples : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé ». La présence des anges n’ayant pas beaucoup servi, Jésus lui-même lui apparaît. Mais elle le prend pour le jardinier et dirige ses soupçons vers lui : « Si c’est toi qui l’as emporté, lui dit-elle, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre ».

Le tombeau est vide pour susciter la foi de Marie-Madeleine. Mais elle ne l’a pas compris parce qu’elle est consumée par la souffrance du deuil. Elle est aussi désespérée par la disparition du corps de Jésus. Elle va chercher de l’aide auprès de Pierre et de Jean. Sans le savoir, c’est pour sa propre foi qu’elle va chercher de l’aide. Mais elle est tellement accablée que ni la foi de Jean, ni la présence des anges, ni celle de Jésus lui-même ne la sortent de la logique humaine dans laquelle elle est engluée. Il a fallu que Jésus l’appelle par son nom pour que se produise un électrochoc.

            Marie-Madeleine, c’est tellement nous dans nos situations difficiles et parfois désespérées. Nous restons si souvent en pleurs dans les tombeaux de nos malheurs. Le bruit assourdissant de nos propres lamentations nous empêche d’écouter les témoignages de vie qui viennent à nous. Et les larmes pleins les yeux, nous sommes souvent incapables de reconnaître ces visages angéliques qui nous tendent la main. Nous sommes incapables de reconnaître Jésus lui-même qui nous appelle par notre nom pour nous rappeler que nous sommes uniques à ses yeux, et qu’il n’est jamais indifférent à ce qui nous arrive. Marie-Madeleine comprend, enfin, que le tombeau est vide parce que le Christ, qui est la vie, échappe à l’emprise de la mort. Et c’est pour nous qu’il triomphe de la mort. Dans sa mort, est contenue la mort de toute l’humanité : « je suis la résurrection et la vie », dit-il dans l’Evangile.

Contrairement à Marie-Madeleine, Jean voit et il croit.  Il croit, non parce que le corps est absent – il le savait avant d’arriver au tombeau – mais parce que le tombeau n’est pas totalement vide. Il reste des indices, des indices pour la foi : les linges funéraires sont disposés de telle sorte qu’on ne peut parler d’un enlèvement du corps. L’évangéliste précise deux fois que les linges (ou les bandelettes) sont posés à plat. Jean croit quand il entre dans le tombeau vide parce qu’il voit, à travers la disposition des linges, un indice de vie. 

Sa réaction nous apprend à savoir identifier les indices de vie dans les tombeaux de notre quotidien : les tombeaux de nos échecs ; les tombeaux de nos regrets ; les tombeaux de nos erreurs, de nos fautes, de nos maladresses ; les tombeaux de nos apitoiements sur nous-mêmes ; les tombeaux de nos souffrances et de nos malheurs. Chaque fois que nous sommes au plus bas et que nous ne ressentons plus la présence de Dieu, ouvrons grands les yeux de la foi et trouvons les indices de vie que le Christ nous offre. La grâce de Pâques nous habite réellement quand nous choisissons de voir la vie au-delà de l’abîme du tombeau.

Alors, confions au Christ ressuscité toutes ces situations de mort qui affectent notre envie de vivre et notre joie de vivre. Et si nous n’y arrivons pas, demandons à Dieu le regard unique de l’apôtre Jean :

Un regard qui sait identifier les indices de vie dans les tombeaux de notre existence.

Un regard qui voit la vie au-delà du chaos.

Un regard qui nous donne la certitude que nous pouvons nous relever du pire et revivre avec confiance sous le regard bienveillant du Seigneur ressuscité.

Amen.