Il va falloir beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amour

Culte du jeudi saint 6 avril 2023 à Fleurier

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Lecture de la Bible: Jean 13,1-20

Prédication de David Allisson

Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour.

J’ai vu il y a déjà 7 ans, cette réaction sur internet au moment des attentats qui ont meurtri Bruxelles. C’est une phrase que j’ai envie de redire en pensant aux moments où nous nous blessons les uns les autres, ou en pensant à la guerre en Ukraine et dans d’autres régions que la violence proche nous fait oublier. C’est une phrase à redire quand nous avons à affronter les blessures du deuil, de la trahison, de la maladie, des défis qui paraissent insurmontables.

Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour.

L’amour, c’est justement la posture de Jésus, soulignée particulièrement fort dans l’évangile de Jean : « Jésus a toujours aimé ses amis qui sont dans le monde, et il les aime jusqu’au bout. » Jn 13,1

Jusqu’au bout, ce n’est pas seulement jusqu’à ce que la vie les sépare. Il les a aimé jusqu’au bout, c’est dire qu’il les a aimé à l’extrême, à fond. C’est le même mot que dit Jésus au moment de mourir : tout est accompli, tout est fini. (Jn 19,30) Jusque-là, il les a aimés.

La fin, c’est là où l’histoire s’arrête, mais c’est aussi le but, ce vers quoi tout le récit est orienté. La fin, c’est ce vers quoi le récit mène le lecteur.

C’est une manière de dire qu’il n’y a pas de plus grand amour que celui que Jésus manifeste pour les siens. Il n’y a pas de plus grand amour que celui que Jésus manifeste pour l’humanité.

Il n’y a pas d’autre force que celle de l’amour qui pourra venir au secours de l’humanité perdue dans sa violence, son isolement, ses trahisons ou ses reniements.

Ce ne sont pas les frappes aériennes sur les pays d’origine des terroristes qui construiront une plus grande sécurité à Bruxelles, Paris ou New York.

Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour.

Ce ne sont pas les frontières fermées et des peines plus sévères prononcées par la justice qui assureront travail, bien-être et sécurité pour nous et nos enfants. Dans l’évangile de Jean, Jésus avance vers son élévation dans tous les moments du récit. Quand Jésus marche vers Jérusalem, les lecteurs ont beau savoir qu’il va à sa mort, le texte continue de parler du lieu où Jésus doit être élevé. Il est écrit que c’est là qu’il sera glorifié. Cette élévation, cette glorification, c’est celle d’une mort suspendue et clouée à une croix. Et c’est de là que la vie est annoncée. C’est parce que Jésus a été réveillé de cette mort que nous continuons de nous en souvenir.

Jésus répète plusieurs fois « je suis » : « je suis le pain de vie », « je suis la lumière du monde », « je suis la résurrection et la vie ». L’évangile de Jean montre un Jésus qui a une pleine conscience de qui il est et du lien unique qu’il a avec Dieu le Père. Il a en lui ce qui fait que Dieu est Dieu. Il est appelé Fils de Dieu et c’est une manière de dire qu’il est Dieu lui-même. Et c’est une des choses que les autorités religieuses vont lui reprocher : on ne prétend pas être Dieu sans risquer d’être puni de mort.

« Jésus est venu de Dieu et il va auprès de Dieu. Jésus sait cela, et il sait aussi que le Père a tout mis dans ses mains. » Jn 13,3

Jésus est à table avec les siens et il va se passer quelque chose. L’introduction est solennelle : attention, celui dont on parle ici est fait de la même matière que Dieu. C’est de là qu’il vient et c’est là qu’il retourne.

Jésus se lève de table. Il va prononcer un discours. Ce sera un long discours en fait, surnommé « discours d’adieu ». C’est son testament en somme, puisque le début du chapitre signale que Jésus savait que l’heure était venue pour lui de quitter ce monde pour aller auprès du Père.

Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour.

Et au lieu de commencer son discours, de dire ces mots importants, Jésus se lève de table, ôte son vêtement de dessus et prend un linge dont il s’entoure la taille.

Il est pleinement conscient d’être parfaitement uni au Père et c’est dans cette conscience qu’il se met au service des siens. En faisant cela, il ne s’abaisse pas, comme nous le pensons spontanément et comme Simon Pierre l’a pensé lui aussi : « Non, tu ne me laveras jamais les pieds ! ».

De la même manière, le lendemain en étant exécuté par crucifixion, Jésus reste jusqu’au bout celui qui peut dire « Je suis la vie ».

Cela paraît contradictoire ou abstrait de dire que celui est mis à mort est la vie ?

Cela paraît contradictoire ou abstrait de souligner que le service aux disciples manifeste la dimension divine de Jésus ?

Oui, c’est contradictoire, c’est sûr. Aussi sûr que la guerre ne peut pas mener à autre chose que la mort ou la destruction. La guerre en Ukraine, en Syrie, en Haïti, au Congo, en Afghanistan, au Yémen – et je n’ai pas nommé tous les lieux de violence et de conflit – la guerre ne peut connaître d’autre issue que la mort et la destruction.

Oui, c’est contradictoire de dire que celui qui est trahi et mis à mort est la vie, exactement comme c’est insensé de demander d’arrêter de bombarder les villes de l’organisation de l’Etat Islamique, ce groupe qui a revendiqué des attentats en Europe. C’est contradictoire de demander que les armes se taisent alors que beaucoup disent les utiliser pour se défendre et défendre la justice à l’égard de personnes ou de peuples bafoués.

Quand nous affirmons nous mettre au service du Seigneur, nous parlons de nous mettre au service de celui qui a ôté son vêtement de dessus pour attacher un linge à sa taille et laver les pieds de ses disciples. Il a fait cela même si c’était contre le bon sens : on ne fait pas cela au milieu du repas, quand tout le monde mange et que les discussions vont bon train. Laver les pieds des hôtes, c’est normal, mais on demande à un serviteur de le faire à l’arrivée des invités pour qu’ils soient à l’aise pour commencer le repas.

Ce n’est pas le maître de maison qui se met à cette tâche en pleine soirée !

Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour.

Chers amis, de nombreux reproches sont faits à la religion chez nous. La religion, c’est l’intolérance et le dogmatisme. C’est au nom de la religion qu’on tue et qu’on fait la guerre. Quand on s’attache à une religion, on se détache de son bon sens et de son intelligence. Si Dieu demande qu’on tue et qu’on se tue pour lui, autant devenir et rester athée.

Puisqu’on parle de religion chrétienne, nous sommes potentiellement considérés comme remplis de haine au même titre que ceux qui tuent pour leur Dieu ou leur religion.

Si Jésus a instauré une religion, vous allez démontrer le contraire là où vous vivez, partout où vous allez. Jésus, c’est l’amour qui va jusqu’au bout. Jésus, c’est une force de vie pour nos vies et pour la vie du monde. « Un serviteur n’est pas plus grand que son maître et un envoyé n’est pas plus grand que celui qui l’envoie. Maintenant vous savez cela ; vous serez heureux si vous le faites » Jn 13,16-17

Vous êtes les envoyés de celui qui a aimé jusqu’à la fin.

Vous êtes les envoyés de celui qui a ôté son vêtement de dessus pour s’entourer la taille d’un linge.

Votre force, c’est d’être habité de la toute-puissance de Dieu, c’est-à-dire que vous êtes remplis de l’amour dont il vous aime.

Avec cette force-là, vous allez vivre et traverser vendredi saint pour rejoindre Pâques. Vous allez rayonner de cette vie et de cet amour dans ce monde qui est aujourd’hui si obscur, enfermé, apeuré et rempli de haine qu’il a du mal à sentir ce souffle qui vient du Père.

Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour.

Nous avons reçu cet amour. Partageons-le pour l’ouverture, la vie et la construction d’un monde fait pour la vie.

Amen.