Série de cultes d’été sur le Symbole des apôtres
29 juillet 2017, Môtiers, 17h30 – 30 juillet 2017, Saint-Sulpice, 10h
5ème partie : « Il est monté au ciel il siège à la droite de Dieu ; il viendra de là pour juger les vivants et les morts. »
Texte de la prédication à télécharger ici en format pdf
Lectures de la Bible :
Prédication de Julie Paik
Nous vivons dans un monde troublé. Moi qui suis Française, je ne peux pas m’empêcher de penser aux tristes anniversaires qui ont été commémorés ce mois-ci dans mon pays : le 14 juillet, premier anniversaire de l’attentat de Nice, visant des gens ordinaires qui profitaient d’un soir de fête ; le 26 juillet, premier anniversaire de l’assassinat du père Jacques Hamel, égorgé dans son église en pleine célébration de l’eucharistie. Et que dire du reste du monde, de la violence au Royaume-Uni, en Belgique, en Allemagne, au Moyen-Orient, au Nigéria, de la guerre civile en Syrie, au Yémen et ailleurs ? Que dire de la Méditerranée, carte postale idyllique de nos vacances d’été, avec ses calanques, ses plages, ses eaux turquoise où meurent tant de migrants et qui cachent la plus grande fosse commune du monde ?
Face à tant de violence aveugle, à tant de souffrance, à tant d’injustice, il m’arrive souvent de penser : « Seigneur, que fais-tu ? Où est ta justice ? » J’aimerais voir les assassins punis, la justice rendue, les torts réparés dans la mesure du possible. J’aimerais voir, et c’est humain, les fautes sanctionnées et les bonnes actions récompensées. Mais cette justice-là, est-ce la justice des hommes ou la justice de Dieu ?
« [Le Christ] est monté au ciel, il siège à la droite de Dieu, il viendra de là pour juger les vivants et les morts », nous dit aujourd’hui le Symbole des Apôtres. Pendant la collation qui a suivi la conférence introduisant cette série de cultes, au début du mois, une personne m’a dit qu’elle n’aimait pas cette image inquiétante. Et c’est vrai que la perspective du jugement peut avoir de quoi faire peur : qui d’entre nous, s’il est honnête avec lui-même, peut se dire qu’il n’a rien à se reprocher ? Que sa vie a été lisse et sans tache ? Nous pensons sans doute tous, quand nous entendons les mots « juger les vivants et les morts », à ces représentations du Jugement dernier où les âmes sont soupesées et évaluées : si elles ont commis plus de bonnes que de mauvaises actions, alors tout va bien et les portes du paradis s’ouvrent devant elles ; mais si ce sont les mauvaises actions qui l’emportent, alors ce sont l’enfer et ses tourments éternels qui les attendent.
Ces images effrayantes du Jugement dernier trouvent en partie leur origine dans des textes bibliques tels que l’Apocalypse. Et on peut comprendre pourquoi, lorsqu’on parcourt ces scènes qui parlent, à première vue, de destruction, de désolation, de la fin du monde tel qu’il est. Mais n’oublions pas deux choses : tout d’abord, c’est que l’Apocalypse est une vision, racontée en des termes hautement symboliques, pour encourager des chrétiens persécutés dans l’espérance que Dieu est à l’œuvre dans l’histoire et que le mal n’aura pas le dernier mot. Ensuite, je crois que nous avons tendance à lire l’Apocalypse littéralement parce que cela correspond à l’idée que nous nous faisons de la justice dans nos sociétés humaines : elle punit les méchants, et mieux vaut être du côté des bons si on veut échapper à la punition. Or, pour le dire avec les mots un peu provocateurs d’un théologien que j’aime beaucoup : la justice, c’est une mauvaise idée. Autrement dit : si on s’imagine que la justice de Dieu n’est que le prolongement amplifié de la justice des hommes, on est à côté de la plaque. Dieu, nous dit le Nouveau Testament, a déjà jugé ce monde. Il l’a fait une fois pour toutes, sur la croix. La justice de Dieu, ce n’est ni un concept ni une théorie sur la réparation des torts ; ce n’est ni une évaluation du degré de culpabilité ou d’innocence, ni une recherche de circonstances atténuantes ou aggravantes. La justice de Dieu, c’est le Christ crucifié. C’est Dieu qui s’abaisse et porte nos péchés pour que nous n’ayons pas à les porter nous-mêmes. Et je crois que c’est aussi ce que nous dit l’Apocalypse à sa manière, lorsqu’elle raconte que l’Agneau immolé – le Christ – est le seul qui puisse faire disparaître cette réalité marquée par le mal et faire advenir une création nouvelle. Car au fond, le Christ, qui est justice de Dieu pour nous, porte précisément cette promesse : dans le monde et en nous-mêmes, tout ce qui porte l’empreinte du mal et de la mort est voué à disparaître. Et pour moi, cette promesse est une promesse de libération. C’est le signe que Dieu veut être « le Dieu qui est avec nous », le Dieu « qui essuiera toute larme de nos yeux ».
On raconte que deux grands théologiens, à l’époque où ils étaient étudiants, avaient une discussion sur l’existence de l’enfer. « Je ne suis pas certain que l’enfer existe », dit le premier, « mais s’il existe, je suis sûr d’une chose : il est vide ». « Et moi», dit le second, « si l’enfer existe, je ne crois pas qu’il soit vide mais je pense qu’il n’est occupé que par une seule personne : le Christ. »
Alors, si le monde a déjà été jugé en Christ, y aura-t-il un Jugement dernier ? Dans l’épître aux Romains, Paul écrit : « Nous sommes déjà sauvés, mais c’est en espérance » (Rm 8,24). Je crois qu’on pourrait dire la même chose en reformulant : nous sommes déjà jugés, mais c’est en espérance. En espérance, parce que nous sommes dans ce temps de l’entre-deux entre l’Ascension et le retour du Christ ; en espérance, parce que si le Christ est justice de Dieu, alors le jugement de Dieu – sa promesse de poser un regard lucide et vrai sur qui nous sommes et les parts d’ombre de nos histoires de vie, de faire de nous une création nouvelle libérée de l’emprise du mal – ce jugement de Dieu n’est pas quelque chose à craindre mais à espérer. Il sera l’accomplissement de cette parole : « La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu. […] A celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive, gratuitement. […] Je serai son Dieu, et lui sera mon fils. »