Festival de La Chapelle de Couvet – présentation de l’orgue au temple par Jean-Samuel Bucher

Dimanche 3 octobre 2021, 15h30 : présentation de l’orgue du temple de Couvet par Jean-Samuel Bucher à l’occasion du festival de la chapelle au concerts.

Quand Fabienne Pantillon, dans son amabilité légendaire, m’a demandé de dire quelques mots à propos de l’instrument que voici, je dois reconnaître de m’être laissé emporter par un enthousiasme musical bien assez rapide et au final compliqué.

Puis je me suis dit que cela pourrait être une idée d’en profiter pour vous dévoiler une fois pour toutes la richesse organistique de mon vallon préféré.

En effet, du haut en bas, ses églises sont accueillantes d’instruments de plusieurs époques, de sortes et de traditions différentes, pour le dire rapidement, leur ramage est aussi varié que leur plumage. Ce qui fait que toutes sortes de musiques et de répertoire peuvent y trouver aimablement leur compte.

Pour bien des fidèles et quelques infidèles, il suffit amplement de savoir que sur des galeries et en se retournant il y a dans nos églises des meubles munis de rangées de tuyaux et que tout ceci se vaut plus ou moins.

Pourtant, je souhaite vous en dire un peu plus afin d’accorder «  amour, délices et orgues comme il se doit !

Savez-vous que c’est à Travers que chante toujours et si encore un orgue historique de 1897,  un orgue préservé et à l’identique, construit par la célèbre manufacture Goll à Lucerne. De style romantique allemand, il est tout en rondeur, en grâce, en subtilité, et c’est le préféré de Dame Pantillon, comme je la comprends.

Il y a dans la montagne aux Bayards un orgue de salon italien du 19e, certes trafiqué vers 1970, mais agréable tout de même.

A St Sulpice, le premier orgue mécanique après les pneumatiques, orné de bien jolis panneaux de Lermite, puis aux Verrières un petit orgue bien placé que j’ai eu le plaisir d’inaugurer il y a 50 ans cette année.

On pourrait dire aussi 3 mots des orgues de 1922 et 1928 de Noiraigue et de Buttes, le premier assez sauvagement trafiqué dans les années 60, le deuxième dont on avait prévu la mort dans ces mêmes années mais qui continue vaillamment son  chant et n’a jamais été modifié ou mis à la mode.

Comment dire quelque chose d’objectif de l’orgue de la Côte-aux-Fées, en quelque sorte mon  bébé, le tout premier de style nord allemand en Suisse romande, un orgue protestant pour jouer du Buxtehude, du Bach, et des chorals réformés qui font du bien dans cette tradition musicale ?

Par deux fois un actuel organiste émérite de Notre-Dame de Paris y est venu, car charmé par sa voix, son timbre. Et puis,  André Luy alors organiste de la cathédrale de Lausanne aurait semble-t-il demandé qu’on lui en donne la clef…. C’est dire….mais je m’arrête ! Je ne suis pas objectif  et je ne dois pas l’être !

A Fleurier, chez nos amis catholiques, il y a un orgue de style classique français, bien construit en Valais et qui profite au mieux d’une acoustique favorable.

Le pauvre  est trop souvent réduit à accompagner des serinettes insipides d’après Vatican 2, on en vient à regretter la belle époque du grégorien !

Par contre, au temple,  avec un buffet du plus pur style Ikea, un orgue que l’on dit  «  à tout jouer » possède quelques jeux français, d’autres allemands voire italien et finalement le tout est finalement… suisse allemand. 

Ce pauvre instrument sonne dans une acoustique digne d’une salle de bain avec moquette, et dans un environnement triste et gris, mais bref trêve de méchanceté gratuite, c’est cet orgue sur lequel j’ai appris à jouer, il y a bien des années et dès 1965 après que l’ancien soit parti en fumée !

Môtiers, c’est actuellement un  chantier avec des échafaudages dehors et dedans : un orgue construit au Val-de-Ruz y sommeille actuellement tout emballé de plastique, il est de style classique français : Couperin, Dandrieu, Corette, Daquin et ses Noëls tant aimés, y sont très à l’aise et d’autant plus après sa ré harmonisation qui enfin lui a donné une voix aimable, douce et quelque fois même royale, et donc ce qu’il faut à la musique d’orgue baroque et classique d’avant 1789. Sans nul doute que la restauration de cette belle église contribuera à sa beauté et pourquoi pas beauté musicale !

Et enfin Couvet, osons en parler, d’autant qu’il a toute sa place dans l’environnement des orgues vallonniers !

Je suis persuadé qu’avant de venir, vous avez relu avec intérêt le très bon livre du cher Eric-André Klauser, livre intitulé : histoire de la paroisse et du temple de Couvet.

 Donc vous vous souvenez évidemment qu’à  la page 91, il est question d’orgue et que c’est ici à Couvet que l’on a installé le tout premier du genre en 1772, arrivé de Neuchâtel, un orgue du même facteur que ceux de l’époque au temple du bas et  à la collégiale, et construits par un facteur d’orgue schaffousois du nom de Jean Conrad Speisseger.

Cet orgue modifié puis jeté 100 ans après, a été remplacé par un tout nouveau de la manufacture allemande de Ludwigsburg, Walcker, le même facteur d’orgue du reste qui a fait l’ancien orgue de la collégiale, vous savez sans doute que celui-ci est en passe d’être restauré et va y retrouver tout bientôt sa place.

Notre orgue allemand et covasson sera plusieurs fois révisé, modifié, pneumatisé, baroquisé, puis finalement exilé en Belgique où il doit couler probablement des jours heureux….

C’est donc en l’an 2000 qu’arrive l’orgue actuel, savez-vous qu’il aurait pu tout aussi bien être conçu et construit dans les années 1700 en Flandre !

Il est donc scrupuleusement prévu pour la musique de cette époque et de cette région, bien qu’il n’y ait pas ou si peu de répertoire, mais entre-nous soit dit et merci de garder ce secret : c’est quand même un orgue catholique, et curieusement importé de Belgique  dans un temple protestant !

Ce qu’il faut savoir, c’est que cet orgue avec ce qu’il est, le choix de ses jeux, son harmonisation, sa tradition et bien, c’est lui qui décide et commande ce qu’il convient de jouer, ce qui lui convient. L’organiste qui le joue doit s’y soumettre humblement sinon gare !

Ne tentez pas d’y jouer de la musique romantique, ou alors avec des pamirs  , et certaines tonalités habituelles de Bach, il vaut mieux s’en passer…..

Simon auriez-vous un exemple, genre le tout début du grand prélude de Bach en mi bémol majeur ? ou autre ?

Bof, on a entendu mieux mais ailleurs…

Bien heureusement ici au Val-de-Travers, nous avons la chance de posséder des orgues  de style différents pour des répertoires variés et donc cela serait bien dommage d’en avoir qu’un seul ! Tous sont importants….irremplaçables et appréciables !

L’orgue de Couvet est donc unique,  dans sa beauté visuelle et musicale, j’ose espérer que nous en serons persuadés, d’autant que Simon Péguiron avec le talent qu’on lui connaît sait tout à la fois se soumettre à lui, tout en relevant le défi de le faire chanter une musique  tempérée pour que le résultat soit tout à la fois convainquant et très beau.

Pour conclure, je dirais volontiers qu’Il nous fallait en ce jour un grand organiste afin de nous prouver que cet orgue, bien qu’inattendu, particulier et doté d’un caractère bien trempé, sache aussi nous faire du bien dans une langue qui n’est pas franchement la sienne….

Grand merci Simon et surtout d’avance : bravo !

Jean-Samuel Bucher, conservateur des orgues du Val-de-Travers