Et aussitôt… l’unité ?

Texte de la prédication de Julie Paik, le samedi 20 janvier 2018

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Et voilà, c’est fini. L’attente de l’Avent est passée ; le scintillement des étoiles de Noël est derrière nous ; les mages de l’Epiphanie sont rentrés chez eux depuis longtemps, Jésus a été baptisé par Jean le Baptiste dans le Jourdain et est passé par l’épreuve de la tentation au désert. Le bébé à fossettes de la crèche, devant lequel nous étions tout attendris il y a moins d’un mois, est devenu un homme adulte – un homme mûr pour son époque, habitué à un travail manuel rude et à une vie très simple. Marie a des rides et des cheveux gris ; quant à Joseph, est-il même encore de ce monde ?

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Voici en tout cas que pour Jésus, le moment est venu : le moment de partir sur la route, le moment de proclamer la venue du Règne de Dieu, le moment de réaliser la mission qui a mûri en lui pendant toutes ces années. Et tout d’un coup, le temps de l’attente est passé. C’est celui de l’urgence qui prend sa place : « aussitôt », nous répète tout l’évangile de Marc, comme s’il n’y avait plus aucun instant à perdre pour annoncer la Bonne Nouvelle, pour accomplir ce qui doit être accompli. « Aussitôt », ce petit mot revient deux fois rien que dans les six versets que nous avons entendu tout à l’heure : « Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent » ; « Aussitôt, Jésus les appela ».

Un premier « aussitôt » qui est une réponse ; un deuxième « aussitôt » qui est un appel.

« Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes », dit Jésus à Simon et à André. Et sans hésiter un instant, ils quittent tout pour accompagner un homme qu’ils croisent pour la première fois. Pourtant, il y en a tellement, des questions à poser : qui es-tu ? devenir pêcheurs d’hommes, en quoi est-ce que ça consiste ? c’est bien payé ? est-ce qu’on partira loin, et pour longtemps ? est-ce qu’on va laisser notre barque et nos filets là, comme ça, sans les mettre au sec ? est-ce qu’on pourra rentrer chez nous ? et qui va s’occuper de nos familles pendant qu’on sera avec toi ? Simon et André ne savent rien de ce qui les attend. Ils pressentent peut-être que s’ils partent, s’ils suivent cet inconnu, rien ne sera plus jamais comme avant ; que cette voie qu’ils choisissent va les marquer, les transformer, bien au-delà de tout ce qu’ils pourraient imaginer. Et pourtant ils se lèvent, ils déposent là leur vie d’avant, et se mettent en marche avec Jésus.

Un peu plus loin, voici Jacques et Jean dans leur barque avec leur père Zébédée. Jésus les voit, et aussitôt il les appelle. Pourquoi eux et pas d’autres ? Que discerne-t-il chez eux qui lui fait dire : voilà des disciples, des compagnons de route ? Là non plus, nous ne savons rien des raisons de cet appel. Nous savons juste que Jacques et Jean ont été choisis, et que ce choix est suffisamment fort, suffisamment impérieux, pour que rien ne les retienne, pas même leur vieux père dans la barque. Eux aussi, ils se lèvent et se mettent en marche avec Jésus.

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Si nous sommes rassemblés ici ce soir, c’est que nous avons tous et toutes, un jour, entendu un appel. Peut-être, comme Simon et André, certains d’entre nous ont-ils dit « oui » sans hésitation à cet appel. Peut-être que d’autres, comme moi il n’y a pas si longtemps, ont hésité, ont été pris de vertige en prenant conscience de tout ce qui risquait de changer pour toujours, autour d’eux mais surtout en eux, s’ils se laissaient entraîner. Mais nous avons franchi le pas, et je pense que beaucoup d’entre nous pourraient témoigner des chemins inattendus, des choix, des renoncements et des accomplissements que ce « oui » peut provoquer dans nos vies.

Aujourd’hui, cela résonne pour moi de manière particulière. A nouveau, une année de plus, nous voici dans la semaine de prière pour l’unité des chrétiens ; à nouveau nous prions que ce qui nous divise disparaisse, à nouveau nous entendons ces mots de Jésus : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi. […] Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que c’est toi qui m’as envoyé. » (Jn 17,21.23) Et je me le demande à moi-même : cet appel à l’unité que Jésus nous adresse, est-ce que je l’ai pris au sérieux ? Est-ce que je ne lui dis pas oui du bout des lèvres, un oui qui est presque plutôt un non, au lieu de me lever aussitôt et de partir sur le chemin où le Christ nous appelle ? Est-ce que je ne suis pas encore assise dans ma barque, avec mes filets, au lieu de me lever et de partir, parce qu’au fond j’ai peur ?

Oui, j’ai peur. Je me dis que si je prends au sérieux, si nous prenons au sérieux, en tant qu’Eglise, l’appel du Christ à l’unité, alors nous nous engagerons sur un chemin dont nous ne voyons pas même la trace et qui nous transformera bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer ou même souhaiter. Si nous prenons au sérieux l’appel à l’unité, alors bien des choses auxquelles nous sommes attachés – tout ce qui fait de nous des chrétiens de telle ou telle confession, notre identité collective, notre tradition particulière – risquent de changer ou de disparaître. Si nous prenons au sérieux l’appel à l’unité, alors il n’y aura plus qu’une seule chose qui compte : témoigner du Christ pour le monde, pour répondre à sa promesse de devenir un en lui et de trouver dans cette unité notre joie. Mais est-ce que j’y suis vraiment prête, est-ce que nous y sommes vraiment prêts ? Aurons-nous le courage de quitter notre barque pour suivre un Inconnu sur des routes que nous ne devinons pas ? Aurons-nous le courage de le faire aussitôt, car le temps est compté et le Règne de Dieu tout proche ?

Que Dieu nous soit en aide.

Amen.