Donnez-leur vous-même à manger

Luc 9,10-17

1 Corinthiens 11,23-26

20130529CeneDeVinci

Il y a dans ces deux textes, de l’évangile de Luc et de la première lettre aux Corinthiens, une question que nous discutons chaque année à pareille époque.

Chaque année, juste après Pentecôte, nous réagissons aux cultes de confirmation et à la façon dont la fête s’est déroulée.

Nous relevons par exemple :

Il y a des conversations et du bruit, particulièrement pendant la communion de l’assemblée.

Cela est contrebalancé par la joie de voir des temples pleins. Il y a du monde. Il y a des personnes de tous les âges.

Les catéchumènes retiennent l’attention. Leur confession de foi est saluée. Ils disent des mots profonds et vrais.

La quête de vérité des catéchumènes les incite à dire aussi bien leurs doutes que leur confiance et leur foi. Nous sommes parfois surpris de les entendre dire en même temps des choses comme « Je ne crois pas en Dieu parce que je ne crois que ce que je vois » et « C’est important pour moi de confirmer ».

Ces cultes de confirmation, c’est d’un côté la fête de l’Eglise parce qu’on s’y réjouit que ses jeunes membres affirment leur indépendance et leur prise de responsabilité personnelle. Ils le font par leur confession de foi et le baptême ou la confirmation.

Ces cultes de confirmation, d’un autre côté, nous donnent un peu l’impression que l’Eglise est envahie d’une foule un peu étrangère, qui ne sait pas bien comment on se comporte à l’église et qui semble se sentir très peu familière et même un peu gênée par ce qui se passe.

Certains des fidèles habituels préfèrent rester chez eux ou assister à une autre célébration.

Figurez-vous que j’ai trouvé des parallèles dans ce qui rassemble les personnes qui se trouvent dans le récit de Luc.

Dans l’épisode précédent, Jésus avait envoyé ses disciples en mission afin d’aller « prêcher le Royaume de Dieu et guérir les malades » (Lc 9,2). C’est de là que les apôtres reviennent au début de notre récit. Ils racontent à Jésus comment cela s’est passé. Ils étaient sortis du groupe des convaincus pour aller rencontrer le monde et partager la nouvelle. Notons au passage qu’ils ont répondu à Jésus en faisant ce qu’il leur avait demandé, mais que l’évaluation est très sommaire. Le récit ne rapporte pas ce qu’ils disent ni ce que Jésus leur répond. C’est comme si le moment était venu de passer à la suite.

Jésus les emmène et se retire avec eux seuls. Jésus et les siens cherchent à se retrouver dans leur cercle. Dans l’évangile de Luc, la recherche du secret et de la solitude, c’est dans le but de prier. La petite communauté cherche à se ressourcer. Le groupe veut s’isoler pour prier.

Mais cela ne marche pas. Les gens apprennent où ils se trouvent et les suivent. Du coup, quelque chose qui est destiné à l’édification et au renforcement de la communauté se passe avec une foule de participants dont les motivations ne sont pas connues. Et les gens de cette foule trouvent leur place.

« Jésus les accueillit, leur parla du Royaume de Dieu et guérit ceux qui en avaient besoin. » (Lc 9,11)

Voilà ce qui se passe pour celles et ceux qui se trouvent dans cette foule.

Ils ont donc au moins 5 raisons possibles pour être là :

  1. ils sont touchés par l’accueil de Jésus
  2. ils sont intéressés à entendre parler du Royaume de Dieu
  3. ils ont besoin d’être guéri
  4. ils se trouvaient là et leur curiosité les fait rester
  5. ils accompagnent quelqu’un qui est là pour l’une des 4 raisons évoquées

Bien sûr, on peut cocher plusieurs options parmi les 5 nommées.

Et c’est exactement cette foule qui participe aux cultes de fête du catéchisme.

  1. il y a celles et ceux qui sont touchés par l’accueil qui leur est fait
  2. il y a celles et ceux qui cherche à entendre parler du Royaume de Dieu
  3. il y a celles et ceux qui ont besoin d’être touché et guéri de blessures de la vie
  4. il y en a peut-être qui sont entrés parce qu’ils ont entendu les cloches sonner et vu qu’il y avait du monde
  5. il y a celles et ceux qui sont là parce qu’ils accompagne quelqu’un qui voulait participer

Et nous, nous nous retrouvons aujourd’hui même s’il n’y a pas de fête pour les catéchumènes, même s’il ne fait pas beau, même si nos proches et nos amis ne nous accompagnent que dans nos pensées et nos prières.

Comme la foule, nous sommes intéressés à entendre parler du Royaume de Dieu.

Comme la foule, nous aimerions être guéris de ce qui nous blesse et nous fait mal.

Comme les disciples, nous reconnaissons des besoins à cette foule que nous savons proche et pleine de manques.

Comme les disciples que nous sommes aussi, entendons ces mots de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » (Lc 9,13)

Il est bon de souligner ici que les Douze voient les choses comme nous au premier abord : pas possible !

Ce que demande Jésus est complètement en dehors du raisonnable et du réalisable. Avec 5 pains et 2 poissons, on ne donne pas à manger à 5000 personnes. Alors, comment fait-on ? Les disciples proposent d’aller acheter à manger. Je croirais entendre mes enfants. Quand il n’y a pas, il suffit d’aller au magasin ! C’est comme cela que nous sommes habitués aujourd’hui.

Mais l’idée n’est pas plus raisonnable que la première, vu la somme qu’il faudrait réunir pour financer ces achats.

Pour Jésus, c’est la première idée qui est la bonne. On va donner à manger à ces gens.

C’est lui qui prend la direction des opérations. D’abord il fait disposer les gens de la foule de façon à faciliter le partage.

Ensuite, avec les mots de la Sainte Cène, il se montre lui-même modèle du croyant qui vit sa vie devant Dieu. Il le fait en 4 gestes qui ensemble expriment la réceptivité à la présence de Dieu et l’ouverture aux autres.

Il se montre ouvert au Royaume de Dieu, c’est à dire accueillant la présence de Dieu dans ce qu’il y a à vivre à ce moment-là.

Il est ouvert à la présence des autres sans leur mettre la condition d’être là pour les bonnes raisons et de la bonne manière. Ils sont là. C’est tout.

Dans le récit de Luc, Jésus utilise les mots de la Sainte Cène pour exprimer cela. Il le fait en 4 verbes, en 4 actions que nous vivrons aussi tout à l’heure au moment de la Sainte Cène.

  1. « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons. » (Lc 9,16) C’est en se servant des ressources disponibles que Jésus va répondre au besoin des personnes présentes.
  2. « [Jésus] leva les yeux vers le ciel et remercia Dieu pour ces aliments. » (Lc 9,16) C’est devant Dieu et en présence de Dieu que l’événement a lieu. Chaque moment de la vie peut-être vécu devant Dieu.
  3. « [Jésus] partagea [les aliments] » (Lc 9,16) Il y a du monde rassemblé. Pour que chacun aie ce qu’il lui faut, il est nécessaire de rompre le pain et d’en faire des morceaux qui correspondent aux uns et aux autres.
  4. « [Jésus] donna [les morceaux] aux disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. » (Lc 9,16) Rien ne se passe si les disciples ne prennent pas leur part de la tâche. Bien sûr que c’est extraordinaire de nourrir une foule avec 5 pains et 2 poissons. Mais pour l’évangéliste, le miracle n’est pas la quantité de nourriture multipliée. Le miracle, c’est le partage vécu dans ce moment qui permet à chacune et chacun de recevoir ce qu’il lui faut à ce moment-là.
  1. Prendre ce qui est là, disponible.
  2. Remercier Dieu, être conscient de vivre ce moment devant Dieu.
  3. Partager, penser, et faire, qu’une partie de ce qui est là va revenir à chacun.
  4. Donner et distribuer. Nous recevons la nourriture de la part de la source qui anime notre vie. Nous sommes engagés pour faire couler et distribuer cette vie à la foule que Jésus accueille en notre présence.

Au moment de conclure bientôt, je reviens un peu aux cultes de fête du catéchisme.

Je me sens dans ces cultes un peu comme j’ai voulu voir Jésus et les Douze dans le récit d’aujourd’hui.

Le culte, c’est un lieu de recueillement et de ressourcement. Dans le culte, je recherche une forme de retraite, un moment où je peux me retrouver moi-même et me retrouver devant Dieu, en présence de Dieu et avec les membres de la communauté. Au début du récit, Jésus emmène les Douze et cherche à se retirer, seul avec eux.

Et voilà la foule qui les suit, qui s’engouffre avec eux dans la retraite. Le moment de ressourcement n’est pas annulé. Mais il est bousculé par les besoins de la foule qui est aussi là. Notre culte n’est pas abîmé par la présence de la foule des familles et amis des catéchumènes. Et la retraite et le ressourcement s’ouvrent sur une forme de partage. Il faut la présence des apôtres pour distribuer le pain et les poissons. Il faut notre présence pour partager nos ressources, rayonner de ce qui nous faire vivre dans ce que nous recevons au culte.

Voilà pourquoi nous continuons de célébrer les cultes de fête du catéchisme. Et voilà pourquoi c’est important que nous y soyons ensemble. Nous sommes les acteurs de ce partage. Nous recueillerons aussi dans au moins douze corbeilles les restes de ce partage :

–      la reconnaissance de personnes présentes

–      l’engagement de jeunes qui est renouvelé là ou qui commence à ce moment

–      l’intérêt et les questions des animatrices et animateurs du catéchisme quelques mois ou quelques années après avoir vécu eux-mêmes ce moment

–      l’enthousiasme pour les possibilités de l’orgue pour quelques catéchumènes au moment de découvrir cet instrument dans la préparation du culte

–      l’occasion de nous poser les questions que je soulève avec vous aujourd’hui

–      …

Voilà déjà 5 corbeilles. Remplissez aussi les vôtres dans le temps de silence et de musique qui vient.

« Donnez-leur vous mêmes à manger » (Lc 9,13)

Amen.

David Allisson – juin 2013