Première lecture : Isaïe 9, 5-6
Deuxième lecture : Luc 2, 1-14
Prédication
De Cyprien Mbassi
Chers frères et sœurs,
Ce soir, nous anticipons en quelque sorte la nuit de Noël. Noël est la fête d’une naissance ; une naissance dont nous venons d’écouter le récit. Il y a quelque chose de très frappant dans ce récit de naissance. C’est qu’il nous met en présence de deux scènes : une scène ordinaire et une scène extraordinaire. D’un côté, nous avons Joseph et Marie qui se rendent à Bethléem pour un recensement. Marie est enceinte et sa grossesse arrive à son terme. Elle enfante Jésus dans une étable parce qu’il n’y a plus de place à l’auberge. C’est la partie ordinaire du récit.
D’un autre côté, nous avons des bergers dans un champ, en pleine nuit. Tout à coup, un ange leur apparaît. Ils sont enveloppés de lumière et saisis d’une grande crainte. L’ange les rassure et leur annonce la naissance qui vient d’avoir lieu. Il leur révèle que le nouveau-né est le Sauveur attendu. C’est lui le Christ, le Seigneur. C’est le côté extraordinaire du récit.
Et les bergers ne sont pas au bout de leur surprise. D’autres anges font leur apparition. Il s’agit d’une troupe innombrable qui louent Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ».
Si on nous place entre ces deux scènes ; si on nous place entre l’étable d’un côté et les champs de l’autre, et si on nous demande d’aller vers Dieu qui se révèle, quelle direction allons-nous prendre ?
Est-ce que nous irons chercher Dieu vers l’ordinaire, ou est-ce que nous serons attirés par l’extraordinaire ? Est-ce que nous irons vers l’étable voir le nouveau-né ; ou est-ce que nous irons plutôt vers cette grande lumière dans les champs, pour voir et écouter des anges louer Dieu ?
La simplicité, d’un côté, et le faste, de l’autre, sont mis en contraste dans cet évangile. L’objectif est sans doute de nous indiquer une nouvelle manière pour Dieu d’entrer en relation avec les humains. Et par conséquent, une nouvelle manière pour nous de rencontrer Dieu. L’objectif est de nous faire passer, comme les bergers, de la gloire et de la lumière des champs vers la sobriété de l’étable.
L’objectif est de nous dessaisir de cette vision de puissance des anges, pour que nous soyons saisis par la vulnérabilité de l’enfant-Dieu. Nous sommes appelés, comme les bergers, à sortir de l’idée d’un Dieu lointain et terrifiant, pour vivre avec lui une véritable proximité d’amour. Comme le dit Jean l’évangéliste : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui (…) obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 16).
Le changement de regard qui nous est demandé est indiqué avec insistance dans les détails de ce récit :
Au lieu d’apparaître autour de l’enfant-Dieu qui vient de naître, les anges vont plutôt illuminer les champs.
Ils proclament la gloire de Dieu. Mais son Fils vient de naître dans des conditions contraires à toute gloire. Il a pour abri une étable, et pour berceau une mangeoire.
Les anges annoncent un Sauveur. Mais le signe donné pour le reconnaître est la petitesse, la dépendance, la vulnérabilité d’un nouveau-né.
Les anges annoncent l’arrivée dans le monde du Christ, le Seigneur. Dans la première lecture que nous avons écoutée, le prophète Isaïe dit de cet enfant qu’il a « le signe du pouvoir », et qu’il est le « Dieu-fort ». Mais les bergers ne verront rien de divin à Bethléem. C’est un humain qu’ils découvriront dans l’étable.
Les anges annoncent « une bonne nouvelle » et « une grande joie », mais les conditions de cette naissance ne sont pas vraiment bonnes ni joyeuses : il n’y a plus de place à l’auberge. Imaginons la déception et l’inquiétude des parents à l’idée de devoir accueillir leur enfant dans telles conditions.
L’ordinaire et l’extraordinaire, la sobriété et le faste sont mis en contraste dans cet évangile pour montrer que Dieu se fait présent, mais de manière discrète. Il vient nous sauver, mais sans les allures d’un conquérant. Il nous accompagne et nous soutient, mais sans être visible sur notre route. Ou mieux, il est visible sous les apparences humaines. Le visage humain devient désormais présence de Dieu : « Qui me voit, voit le Père », dit Jésus dans l’évangile de Jean (Jn 14, 9).
Le message est donc celui d’une présence de Dieu dans le monde sans les apparences de la divinité. C’est le message d’une action de Dieu dans notre vie sans les apparences d’une intervention extraordinaire.
C’est le message d’un salut de Dieu sans les apparences d’une victoire. La croix n’a rien d’éclatant, elle n’a rien de victorieux. Et pourtant, c’est par elle que Dieu nous sauve et nous apporte sa grâce.
La venue de Dieu au monde en assumant la nature humaine n’a pas d’explication en dehors de l’amour. Quand on aime, on essaie de se faire proche de la personne aimée. Cela est vrai pour Dieu parce qu’il est amour (I Jn 4, 8). Il nous aime infiniment. Il veut notre plus grand bien.
Par amour pour nous, il se fait proche de nous. Il se fait l’un de nous pour transformer notre humanité de l’intérieur. Sa vie devient notre vie : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie en abondance » dit Jésus (Jn 10, 10).
Dans l’ordinaire de notre vie quotidienne, dans la sobriété de notre routine, le Christ est présent. Contemplons-le avec les yeux de la foi. Dans l’enchaînement des événements de notre vie, il intervient en notre faveur. Et si nous avons l’impression que rien ne va, si nos besoins sont ignorés, s’il n’y a plus de place à l’auberge et si nous sommes obligés de loger dans l’étable, rappelons-nous que le Christ naîtra quand-même dans notre nuit. Rappelons-nous, comme dit l’apôtre Paul, que « lorsque les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8, 28).