En lien avec la campagne d’automne de DM : « Semez l’espoir ! »
Prédication par Thomas Wild
Lecture biblique :
- Luc 12, 22-34
Prédication :
Ne pas s’inquiéter, vite dit ! Je ne vous cacherai pas que je n’étais pas tranquille tant que tout n’était pas prêt pour ce séjour parmi vous : Powerpoint pour présenter les chrétiens d’Orient, prédication, billets de train, tout cela demande des préparatifs, rien de cela n’est insurmontable, bien sûr, et il n’y pas de vrai risque (comme les risques que courent mes amis de Syrie ou du Liban lorsqu’ils voyagent dans leur pays). Invoquer la vie des corbeaux et des fleurs, j’entends bien ce que dit Jésus, mais les corbeaux ne font pas d’animations missionnaires, et les fleurs ne sont pas appelées à donner une prédication.
Cela a-t-il un sens de dire aux chrétiens de ne pas s’inquiéter sous forme d’injonction ? En tous cas, ce n’est pas efficace : vous connaissez sûrement des gens qui sont anxieux, que la moindre incertitude plonge dans des abîmes de réflexion et de doutes, et que de telles paroles n’aident pas du tout, même lorsqu’elles sont dites avec bienveillance. Et d’autres, au contraire, vivent au jour le jour comme les oiseaux, et viennent frapper aux portes des prévoyants lorsque le porte-monnaie est vide. Jésus voulait-il appeler à l’insouciance et l’improvisation ?
A aucun moment, Jésus n’appelle à l’imprévoyance, et Paul dit dans l’un de ses courriers qu’il demande à tous de prendre leurs responsabilités et d’exercer un travail. Jésus s’adresse à des personnes qui vivent dans la précarité. Leur espérance de vie n’était pas très grande, leur vie quotidienne était marquée par l’insécurité, il y avait du banditisme, une maladie pouvait à tout moment emporter une vie, et les gens vivaient du peu qu’ils pouvaient produire. Les auditrices et auditeurs de Jésus avaient des raisons objectives de se soucier, ils étaient exposés à des risques très concrets, et c’est d’abord eux qui reçoivent ce message. Ils ne devaient pas être très différents de nous dans leurs réactions : les uns positifs, confiants, et les autres inquiets, soucieux. Mais c’est après la croix et la résurrection, lorsque l’on a commencé à appeler ceux qui suivaient Jésus des chrétiens, ces paroles ont pris un sens nouveau. Même la mort n’était plus la fin de tout !
Ces premiers chrétiens ont été des exemples pour leur entourage : ils étaient habités de la Bonne Nouvelle, Ils se sentaient liés au Christ, leur Sauveur, ils se savaient aimés de Dieu. Sur le plan de la sécurité, cela leur amenait plutôt des ennuis ! Mais malgré persécutions, difficultés sans nombre, exclusion de la société et souvent mise au ban de l’empire, ils arrivaient à vaincre leurs peurs et leurs soucis. Leur foi était plus forte que ces inquiétudes par ailleurs tout-à-fait légitimes.
Et l’histoire regorge de tels exemples. Dans mon parcours personnel, je n’ai jamais été persécuté. Mais, tout jeune pasteur, j’ai vécu deux ans au Gabon, au service de l’Église Évangélique.
Une Église imparfaite, humaine, trop humaine, mais j’y ai vu à quel point l’Évangile pouvait changer une vie, j’y rencontré des croyants exemplaires, qui au milieu des menaces et des pressions gardaient sereinement leur cap, et depuis, le souci des relations avec ces sœurs et frères ne m’a plus lâché. Car dans la grande famille chrétienne, lorsque le partage fonctionne, lorsque l’on s’écoute, tout le monde en sort simultanément mis en question et enrichi.
J’ai eu la chance de pouvoir durant les dix dernières années de mon ministère avant ma retraite être au service des chrétiens d’Orient dans l’Action Chrétienne en Orient. L’ACO, qui vient de fêter le centenaire de sa naissance, est aujourd’hui un lieu de partage et de solidarité entre protestants suisses, français, hollandais, syriens, libanais et iraniens.
Je ne vais pas décrire la manière dont l’ACO est organisée. Mais tenter recevoir et transmettre un encouragement de la part de cette rencontre. Le protestantisme oriental est une minorité dans la minorité chrétienne, bien acceptée au Liban, partageant les souffrances du conflit syrien, et tout juste toléré sinon persécutée en Iran. Et sa branche arménienne a été confrontée à une violence extrême, la volonté explicite liée à une réalisation commencée : celle de faire disparaître ce peuple de la surface de la terre, ce que l’on appelle maintenant un génocide. Un traumatisme qui reste très fortement présent dans la mémoire de ce peuple. Et qui est réactivé lorsque la toute petite Arménie est attaquée par son voisin, ce qui est encore arrivé récemment.
Lors des festivités qui ont entouré ce centenaire, nous avons vécu des temps forts : nos amis iraniens vivant en Iran même, en Allemagne et aux USA ont pu se retrouver, pour certains pour la première fois depuis 15 ans ! Et nous savons maintenant qu’ils ont pu rentrer chez eux sans être inquiétés. Nous avons vécu des cultes magnifiques, où nous sentions cette communion Orient-Occident par les textes, les messages, la Cène célébrée ensemble, les langues parlées, les musiques chantées et écoutées. Hagop était aussi là, le pasteur responsable de la communauté d’Anjar, qui a lancé le projet de seeds of hope – semences d’espoir, vers lequel va le soutien suisse cette année.
Dans un Liban où à vues humaines, il n’y a pas d’espoir, où on ne voit pas de fin à la crise économique et politique, où 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, où il n’y a plus de président ni de gouvernement, où l’explosion du port suivi d’un désastre économique inimaginable en Europe a lieu, Hagop et sa femme s’occupent d’enfants au parcours difficile dans son école pour permettre à ces enfants de s’en sortir, et donner un signal qu’il est toujours possible de faire quelque chose.
Mais où est leur secret ? qu’est-ce qui les pousse à garder confiance en Dieu ? Il fait simplement confiance. Il espère en Dieu, qui sait faire jaillir la vie là où les hommes ne voient que la mort, les désastres. Et il essaie d’être témoin de ce Royaume qui vient.
Notre texte se termine par des versets surprenants, d’un coup, Luc parle de la recherche du Royaume à la place de la recherche de l’argent, du vêtement ou de la nourriture. Cherchez d’abord le Royaume de Dieu.
C’est la référence, la perspective qui permet de sortir du désespoir ou des inquiétudes : la présence du Royaume, déjà là, et la perspective du Royaume qui viendra en plénitude.
L’idée de participer à la construction du Royaume qui vient était l’un des moteurs des chrétiens à l’origine du grand élan missionnaire du 19e et du 20e siècle.
Dans un Occident qui va bien, où règne le confort, où l’on peut construire sa vie, développer ses talents, on est sûrement moins pressé de construire le Royaume de Dieu. Et lorsque surgissent des soucis, on a perdu un peu vite ce Royaume de vue !
Lors des célébrations du centenaire, un groupe d’iraniens est venu avec moi dans la paroisse de St Matthieu, à Strasbourg. La pasteure m’avait prévenu : nous avons de graves problèmes financiers, nous essayons de collecter par tous les moyens pour payer notre cible. Je prévois un petit entretien avec vos délégués après le repas. Les quinze minutes prévues sont devenues 45 minutes, et une semaine plus tard, la pasteure du lieu m’a dit : cette venue était une bénédiction. Quand nous avons entendu les difficultés qu’ils affrontent, quand nous avons vu la sérénité de ces chrétiens iraniens malgré ces difficultés, nous avons remis nos propres problèmes en perspective.
Et c’est paradoxalement auprès de mes amis d’Orient – par exemple en plein crise syrienne – que j’ai vu des pasteurs pleins d’enthousiasme et de joie, moi qui venais de ma paroisse française où les gens se faisaient des soucis pour des – à leurs yeux ! – graves questions…
Cette dimension spirituelle du Royaume comme perspective pour le chrétien apporte encore autre-chose, qui souligne une dimension importante en ces temps de nationalisme renaissant.
Dans les écrits du fondateur de l’ACO, le pasteur Paul Berron, cette option pour le Royaume est centrale. Alsacien, il a changé 3 fois de nationalité, né allemand, il est devenu français en 1918, allemand en 1940 et de nouveau français en 1945. Et ce n’était pas facile. Nombre d’Alsaciens se sont forgé une identité de victime à partir de là. Mais Paul Berron a vu que Dieu pouvait même utiliser ces circonstances pour la construction du Royaume, en tous cas, il a permis le lancement de l’ACO ! Et dans un contexte de haine ancestrale entre deux pays voisins, Paul Berron a pu dire à ceux qui lui reprochaient d’être pro-allemand comme à ceux qui lui reprochaient d’être pro-français entre, pendant et après les deux guerres mondiales : mon regard se porte sur le Royaume inébranlable, le Royaume de Dieu, pour moi, c’est le seul qui compte.
Amen.