Culte du souvenir – 19 novembre 2022 – Môtiers

Méditation                                                  

Pour la plupart d’entre vous, ces derniers mois auront été marqués par le décès d’un proche.

Les circonstances de la mort étaient sans doute différentes, tout comme l’âge des défunts ; pour certains de vous, c’était il y a déjà plus d’une année, – mais pour d’autres, il y a trois mois à peine ou même moins.

Les uns auront déjà passé un Noël et un Nouvel-en l’absence de ce visage familier, tandis que d’autres voient peut-être approcher les fêtes de fin d’année avec appréhension.

Dans l’expérience du deuil, le temps compte, et certaines dates plus particulièrement…

Ce n’est pas par hasard que notre Eglise a choisi, comme d’autres, de faire mémoire des défunts fin novembre, le dernier samedi-dimanche de l’année liturgique, juste avant d’entrer dans les semaines de l’Avent qui nous préparent à Noël : un moment de recueillement pour leurs proches au carrefour d’un temps qui s’achève et d’un autre qui va commencer.

Pour baliser ce passage, je vous propose de nous laisser guider par ce que les Evangiles nous disent de Marie, la mère de Jésus, à quelques moments-clé de sa vie au côté de son fils.

Première image : celle d’une jeune mère qui vit intensément les événements entourant une naissance qui bouleverse sa vie, personnelle et sociale.

‘Elle retenait tout cela dans son cœur’ écrit l’évangéliste Luc, lorsqu’un sage nommé Syméon, prenant dans ses bras l’enfant, annonça à Marie qu’une ‘épée lui transpercerait l’âme’,  – allusion à la mort brutale qui allait la séparer trop tôt de ce fils qui venait de naître. (Luc 2)

Pour moi, cet épisode souligne la place de la mémoire dans nos deuils, trésor intime et inaliénable de souvenirs qui sont un réconfort précieux quand nous sommes confrontés à la mort d’un proche ; ce trésor nous permet de ne pas tomber alors dans une sorte de vide, sans le moindre repère auquel nous raccrocher.

Mais ce trésor peut aussi devenir blessure, – comme une épée qui ravive et aiguise le manque que nous ressentons : manque d’une voix, d’un regard, d’un parfum, manque des gestes familiers qui rythmaient nos jours et nos saisons…

L’image suivante, c’est Marie au pied de la croix de Jésus, une trentaine d’années plus tard,  

– Marie en larmes comme une mère sur le point de perdre son enfant.

L’évangéliste Jean indique que Jésus aussi avait pleuré à la mort de son ami Lazare, bouleversé, non pas tant par cette mort elle-même que par la détresse des deux sœurs du défunt, leur désarroi, leur déception lourde de reproches : ‘Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort…’                                                                                                                                       (Jean 11)

Dans le cheminement du deuil, confrontés à la mort d’un proche, il arrive que nous soyons à certains moments tentés par les reproches ou le remords, le regret de ce qui aurait pu ou dû être autrement…

Mais un décès marque toujours un point de non-retour : impossible de revenir en arrière ; c’est dans les jours et les temps à venir qu’il faut chercher une issue à ce qui reste et restera inachevé, – sur un chemin à défricher, jour après jour…

Certaines morts, de personnes âgées notamment, me font penser à un jardin familier dont le grand arbre qui se dressait au milieu serait tombé, un arbre qui était comme un repère, un point de rassemblement offrant son ombre bienfaisante en plein midi, son abri sous la pluie. Le paysage tout entier s’en trouve chamboulé, – il faut apprendre à s’orienter dans le jardin différemment qu’avant…

Mais là où s’élevait l’arbre, l’herbe se met bientôt à repousser plus dense et des fleurs à éclore, de jeunes pousses même commencent à grandir…

Est-ce par hasard qu’en voyant Jésus ressuscité dans le tombeau vidé, l’évangéliste Jean dit que Marie Madeleine le prenait pour le ‘jardinier’ chargé de l’entretien des lieux ?! (Jean 20)

C’est justement ce cheminement différent après un deuil que Jésus voulait susciter lorsque, du haut de la croix où il expirait, il confia l’un à l’autre sa mère et son disciple bien-aimé :

‘Femme, voilà ton fils’, dit-il à Marie, puis au disciple ‘Voilà ta mère’, – et le disciple la prit désormais chez lui… (Jean 19)

Il arrive ainsi que la mort d’un proche fait naître des liens nouveaux de soutien et de solidarité pour faire face ensemble à l’absence soudaine, au manque et à la solitude.

L’image suivante de Marie la situe près du tombeau de son fils lorsque, à l’initiative d’un autre Joseph que celui de la crèche, – Joseph d’Arimathée -, Jésus fut mis en terre.

Avec une précision admirable dans le choix des mots, l’évangéliste Marc écrit que Joseph alla demander à Pilate le ‘corps’ de Jésus ; sa mort ayant été constatée par un officier, Pilate remit à Joseph le ‘cadavre’ de Jésus, dit Marc ; mais ensuite, littéralement, ce n’est ni un corps ni un cadavre, – deux mots neutres en grec -, mais bien ‘lui’ au masculin, c’est-à-dire Jésus lui-même, que Joseph revêtit d’un linceul et déposa en terre en présence des femmes. (Marc 15)

Aux yeux de l’Evangile, un défunt ne se réduit jamais à une dépouille, à un corps désormais inerte et passif : même mort, il reste quelqu’un, une personne, – un être au présent.

C’est de cela que Marie et les femmes qui l’entouraient allaient faire l’expérience renversante un jour et demi plus tard lorsque, passé le temps de repos forcé du sabbat, elles se rendirent au tombeau pour honorer leur cher défunt en couvrant son corps de parfums.

Mais en lieu et place d’un corps mort, d’une dépouille dont elles s’apprêtaient à prendre soin, ce sont des nouvelles d’un vivant qui leur furent données :

‘C’est Jésus de Nazareth que vous cherchez, le crucifié ? Il a été ressuscité, il n’est plus ici : voici le lieu où on l’avait déposé. Mais allez dire à ses disciples qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’avait dit !’ (Marc 16)

Le message de l’Evangile, sa promesse, c’est que la mort n’est pas la fin dernière de quelqu’un, sa disparition totale et définitive : la mort est un passage, l’entrée dans de nouvelles relations, le commencement d’un autre chemin à parcourir ensemble, orienté à une rencontre qui demeure à venir. C’est cela qu’annoncent les paroles de l’ange :

‘Il n’est plus ici : il vous précède là où vous cheminiez ensemble ; c’est là que vous le reverrez…’

Un chemin qui de la séparation douloureuse du deuil conduit à une présence nouvelle, différente, – non pas en s’efforçant vainement de retenir ou de retrouver ce qui n’est plus, mais en s’ouvrant à quelque chose d’autre qui est encore en devenir…

A Marie Madeleine qui au tombeau le prenait pour le ‘jardinier’, Jésus déclarait :

‘Ne me retiens pas, – ne t’accroche pas à moi ! Mais va trouver les autres et dis-leur que je suis vivant !…’ (Jean 20)

Nos liens de vie et nos partages ne s’annulent pas au moment même où un proche décède : en dépit de la séparation, sa présence demeure, elle fait toujours partie de notre vie.

Nous ne sommes pas seuls, – l’amour est plus fort que la mort.

                        *                      *                      *                      *                      *          Ion Karakash