Culte présidé par Séverine Schlüter
Lectures bibliques :
- 2 Rois 2, 1-15
- Actes 1, 4-11
Prédication :
« Il venait à peine d’avoir dix mois
et s’essayait à marcher en s’agrippant à mes mains.
Bien sûr il était chancelant, en équilibre fragile,
mais il ne lui manquait plus grand chose.
Un jour, j’ai dégagé mes doigts de ses mains,
je me suis reculé; il a cru que je le laissais tomber.
Puis il s’est lancé seul.
Ce jour-là le bébé a fait place à l’enfant.
Ce jour-là, j’ai compris l’Ascension,
pourquoi il faut que le Seigneur s’éloigne,
pourquoi il semble nous quitter. »
Cette citation nous vient d’un papa nommé Éric Julien.
Oui, combien il est difficile de faire l’expérience de son père ou de sa mère qui lâche la main qui nous aidait à tenir debout !
Mais combien il est difficile aussi d’être ce parent qui accepte de lâcher-prise pour laisser ses enfants aller seuls et prendre leur autonomie…
A chaque premier pas et à chaque expérience et apprentissage de vie, combien il est réjouissant de les voir prendre leur envol, et à la fois rudede les voir chuter tout-à-coup !
Pourtant, sans cela, comment apprendrions-nous à marcher, à faire du vélo, à avancer sur le chemin de la vie ?
Il en va de même avec tous nos proches, enseignants, moniteurs, confidents, mentors, toutes ces personnes qui nous accompagnent et nous guident dans la vie.
Dans le récit des Actes, les disciples qui continuent à fixer le ciel semblent suggérer qu’ils ont de la peine à laisser aller Jésus, leur maître et leur ami. Ils viennent à peine de le retrouver après avoir cru le perdre à tout jamais, et déjà il les quitte à nouveau !
Après avoir lu le témoignage de Julien, je me suis demandé si, en fait, il n’avait pas été aussi bouleversant pour Jésus de les quitter ainsi…
Le récit d’Elie et Élisée montre combien la séparation n’est pas simple, d’un côté comme de l’autre.
Par 3 fois, alors qu’Elie lui demande de le laisser seul, Élisée affirme : « Par le Seigneur qui est vivant, et par ta vie, je ne te quitterai pas. » D’ailleurs, le rappel que certains lui font du départ prochain de son maître l’irrite au plus haut point : «Taisez-vous !» leur dit-il, comme s’il n’avait pas envie de penser à la séparation prochaine…
Elie, de son côté, semble bien en peine de lui faire accepter son départ. On ne sait d’ailleurs pas très bien pourquoi il tient tant à ce qu’Élisée reste à l’écart : est-ce une mise à l’épreuve ? est-il lui-même éprouvé par la perspective de son enlèvement ?
Tout l’enjeu va être justement de faire accepter ce départ à Élisée ; sinon, comment pourrait-il recevoir à son tour l’esprit prophétique que Dieu avait accordé à son maître ?
Il FAUT qu’il le voie partir. Comme si assister à l’événement, reconnaître et accepter le départ allait permettre à Élisée d’ouvrir les yeux sur une nouvelle dimension et de s’ouvrir au don de l’Esprit.
Sa nouvelle identité est symbolisée par le manteau, seule trace qui reste encore de son maître. Au travers de plusieurs récits bibliques, on comprend que le vêtement d’une personne était chargé de la personnalité de celui qui le porte, de son rôle, de sa place, du pouvoir qu’il exerçait. Par exemple, dans l’Ancien Testament le fils du grand-prêtre reprenait la fonction de son père à sa mort en revêtant son habit ; et dans l’évangile de Luc, on nous raconte aussi l’épisode d’une femme touchant la frange de la tunique de Jésus pour bénéficier de son pouvoir de guérison.
Ici, en revêtant le manteau d’Elie, Élisée devient en quelque sorte son fils spirituel ; il est symbole de la continuité de l’œuvre de Dieu dans sa personne.
Le fait de déchirer son vêtement est signe de deuil. C’est un signe de douleur, mais aussi le premier pas vers l’acceptation, de la reconnaissance de la séparation… il a maintenant un nouvel habit à porter, un nouveau rôle à jouer, dans la continuité de ce qui a déjà été accompli avant lui. Ce n’est pas pour rien que la narration se poursuit avec Élisée reproduisant le même geste miraculeux de la séparation des eaux qu’Elie venait de réaliser, tout comme Moïse et Josué ensuite.
Au tour maintenant des disciples de Jésus de faire l’expérience d’être les héritiers du Christ, de continuer son œuvre.
Dans l’Évangile de Jean, Jésus avait déjà prévenu ses disciples quand il est encore avec eux : « il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le consolateur ne viendra pas vers vous; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai.»
Tout l’enjeu, c’est le passage de témoin qui s’opère.
Plus qu’une fin, il s’agit d’un commencement.
L’Ascension signifie que Jésus a rejoint Dieu son Père, et que sa présence va se manifester désormais autrement, au moyen de l’Esprit qui va être répandu sur les croyants.
Il faut accepter désormais de voir, de reconnaître cette nouvelle réalité, d’accepter que désormais c’est à travers ses disciples que le Christ se manifeste, par le témoignage qu’ils en donneront aux autres.
«Ne restez pas là à regarder le ciel…», s’entendent-ils dire.
On peut se dire qu’à l’écoute de ces paroles, reste des peurs, de la tristesse, de la contrariété… mais si on y lisait aussi la confiance que Dieu fait à ceux et celles qui suivront le Christ, la joie d’être ainsi envoyé, parce que c’est une manière pour le Christ de nous redire notre valeur ?
Ne pourrait-on pas y voir un espace créé, avec toutes ses possibilités et ses chances ?
Oui, parfois est venu le moment de passer le flambeau, pour que d’autres continuent l’œuvre commencée.
Je dois avouer que ces récits résonnent très fort en moi en ce moment, alors que nous venons d’annoncer, Patrick et moi, qu’était venu justement le moment pour notre famille de quitter le Val-de-Travers pour un nouveau projet de vie dans le Jura bernois…
Avec la perspective de notre déménagement prochain, c’est l’occasion de trier, de jeter, de remettre de l’ordre dans ses affaires.
C’est aussi l’occasion de remettre la main sur plein de souvenirs qu’évoquent les documents ou les objets qu’il nous faudra emballer.
Plusieurs de ces souvenirs évoquent des événements que nous avons vécus ou des personnes avec qui nous avons partagé des moments dans cette paroisse.
Ça réveille des émotions diverses en moi, beaucoup de joie et de reconnaissance de ce qui a pu être vécu, quelques regrets de ce qui n’a pas pu être concrétisé, ou qui ne s’est pas passé comme on l’espérait, et pas mal d’envies pour l’avenir aussi.
Nous sommes partagés entre pincements de coeurs – par rapport aux projets qui vont continuer sans nous et aux personnes que nous ne cotoieront plus – et confiance.
Confiance, malgré l’inconnu, pour notre avenir à Corgémont et sonceboz, où nous nous sentons appelés désormais.
Mais confiance aussi pour votre avenir à vous, à l’avenir de la paroisse du Val-de-travers.
Notre Seigneur reste le même, notre mission, à vous et à nous, reste la même, quel que soit le terrain sur lequel elle doit s’accomplir.
Non, la séparation prochaine n’est pas évidente à appréhender… mais je nous invite à accueillir l’Esprit annoncé par le Christ, Lui qui nous met en lien les uns avec les autres, afin de cheminer ensemble dans cette transition qui s’annonce. Dans la foi que, comme il nous l’a promis, la force nous sera donnée, aux uns et aux autres, sur les différents défis qui nous attendent, où que nous soyons.
Amen.