Prédication de Séverine Schlüter
Lectures bibliques :
- Esaïe 35, 1-6a. 10
- Matthieu 11, 2-11
Message : Nos attentes en question…
«Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous
en attendre un autre ?» Jean-Baptiste semble
tout-à-coup avoir des doutes…
Pourtant, il n’y a pas si longtemps, il affirmait au sujet de Jésus : «Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.» (Mt 3,11).
Que s’est-il passé entretemps ? Qu’attendait-il de Jésus ? Quel espoir nourrissait-il, qui le laisse ainsi sur sa faim, ou en tout cas le questionne ?
Le début de notre passage nous rappelle que Jean-Baptiste est en prison. D’autres passages des évangiles (notamment chez Jean) nous rapportent que le roi Hérode l’a fait emprisonner, excédé des critiques du Baptiste envers sa manière de vivre et en particulier de son mariage avec la femme de son frère ; il craignait également son influence sur les foules…
Comme ses contemporains, Jean espérait en un Messie, un nouveau Roi issu de la lignée de David, envoyé par Dieu pour libérer son peuple du joug de l’oppresseur romain, et il avait reconnu ce Messie en Jésus.
Certains commentateurs se demandent même si, en vertu des promesses annoncées par le livre Esaïe et que Jésus lui-même citera plus loin, il n’espérait pas être libéré de prison (ces promesses incluant en effet en Esaïe 61,1 la délivrance des captifs et la libération des prisonniers) – même si cela n’est pas dit dans le texte.
Ceci dit, les semaines passent, et du fond de sa prison il doit entendre les mêmes échos qui circulent : que le Christ s’affiche avec des gens de mauvaise réputation, que loin de jeûner, il mange et boit avec eux (le verset 19 nous livre d’ailleurs un écho savoureux du genre de propos à son égard : «Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs.»). En plus il se permet de guérit les jours de sabbat. Tout cela contraste avec la propre discipline de Jeûne et d’ascèse du Baptiste, et ne correspond sans doute pas à l’idée qu’il s’est faite de ce Messie attendu ! Celui-ci vient sous d’autres traits, en annonçant un autre message que ceux que Jean a imaginés…
De son côté, après des débuts qui ont suscité beaucoup d’attentes de la part du peuple, Jésus s’est fait également des ennemis, surtout parmi les notables.
Tout en annonçant la bonne nouvelle et en guérissant les malades, il remet aussi en cause le système religieux. Ce n’est pas ainsi qu’on se représentait ce Roi devant venir délivrer Israël !
Alors, oui la question de Jean se comprend : Jésus est-il finalement ce Messie attendu, ou faut-il en attendre un autre ?
Jésus ne répond donc pas directement à la question de Jean-Baptiste. Il cite les prophéties que tout le peuple d’ailleurs connaissaient bien, et qui devaient accompagner la venue du Sauveur promis :
« les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts reviennent à la vie et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Jésus semble dire à son cousin : vérifie par toi-même si c’est bien cela qui est à l’œuvre. Une manière de sous-entendre – comme le suggère Marie-Noëlle dans son commentaire : “oui, je suis bien le Messie, le vrai Fils de Dieu, tu ne t’es pas trompé. Seulement si tu es surpris, choqué par mes manières de faire, c’est qu’il te reste à découvrir le Vrai visage de Dieu… un Dieu avec les hommes au service de l’homme.”
C’est un changement de perspective. Si lui, Jean, invitait ses contemporains à s’examiner, à reconnaître ses limites, et à changer de comportement, Jésus est celui qui va venir habiter au cœur de nos limites humaines, pour les transformer de l’intérieur et aider à les dépasser.
Au-delà de ce dialogue à distance entre cousins, Jésus semble interroger nos propres attentes. En ce temps d’Avent, où nous nous préparons à célébrer la naissance de l’Emmanuel, Dieu avec nous , qu’espérons-nous du Christ, de Dieu ? De quoi voulons-nous être sauvés, libérés ?
D’un enfermement intérieur, d’un engrenage mortifère dont on n’arrive pas à sortir ? D’une maladie ou d’une infirmité ? D’un événement difficile à surmonter ? D’un défi de la vie qui approche et qui nous fait peur ? D’un choix impossible à faire ? D’un sentiment d’échec ? D’une colère, d’une honte, d’une tristesse, d’un découragement qui nous habite ? Des problèmes qui gangrènent notre société ou notre environnement ?
Oui, je pense que le Christ nous rejoint et nous accompagne dans toutes ces péripéties de nos vies, qu’il nous donne la force de les affronter et de se frayer un chemin à travers elles. Peut-être parfois différemment que nous nous y attendions…
Mais au-delà de ça, au travers de la question qui lui est renvoyée, il nous interroge en retour sur ce que lui et son Père attendent de nous : «et vous, quel usage faites-vous de la grâce que vous avez reçue ?»
Jean-Baptiste, lui, a rempli les attentes que Jésus avait placées en lui… il a été ce nouvel Elie, celui qui a préparé le chemin et l’arrivée du Christ.
La suite… et bien, la suite appartient aussi à ses auditeurs ! « Heureux celui qui n’abandonnera pas la foi en moi ! », dit Jésus au verset 6.
Les signes qu’on peut voir ne sont pas suffisants en eux-mêmes : ce ne sont pas tous les aveugles qui retrouvent la vue. La bonne nouvelle ne change pas la condition de tous les pauvres. Les puissants continuent leurs jeux de pouvoir et les Romains sont toujours là… ceux qui croient à la bonne nouvelle ont, eux aussi, la responsabilité d’œuvrer dans le même sens.
A l’image de cette exhortation de l’épître de Jacques qui fait partie aussi des textes lus lors de ce 3ème dimanche de l’Avent : «Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche.» (Jacques 5, 7-10):
Il ne s’agit pas seulement de lire les signes du Royaume autour de nous, mais d’en poser nous-même, comme des actes de foi.
Peut-être, qu’au milieu de nos questionnements et de nos peurs, c’est une invitation à se mettre à l’écoute, à l’écoute de ce qui, déjà, est à l’œuvre en nous.
Amen.